Néo-polar à l’italienne, La poursuite implacable est à la fois un brillant film policier, mais aussi un brûlot politique totalement maîtrisé dont le pessimisme fait froid dans le dos. Un petit chef d’œuvre.
Synopsis : Anna l’épouse de Cipriani, vice-directeur de la prison de Milan est kidnappée. Pour la retrouver, Cipriani doit faire s’évader le voyou Milo Ruiz. Il s’exécute mais réalise bientôt que Ruiz et lui-même ne sont que des pions dans un vaste complot qui mêle intérêts politiques et forces de police autour d’un attentat contre un magnat du pétrole.
Un polar symptomatique des “années de plomb”
Critique : En ce début des années 70, l’Italie est plongée dans une période trouble sur le plan politique appelée les « années de plomb ». Dès lors, le cinéma se fait le reflet d’une réalité complexe à travers un nouveau sous-genre florissant, le poliziottesco. Dans ce domaine, deux tendances se font jour, en fonction du positionnement politique de l’auteur. Soit les histoires présentent une société en déliquescence qui doit être redressée par un justicier (tendance de droite), soit l’Etat capitaliste est dénoncé comme étant un ogre qui dévore toute volonté de sédition (tendance gauchiste).
Sergio Sollima s’inscrit davantage dans la seconde catégorie avec ce Revolver doté d’un titre français absurde qui ne correspond à rien. Effectivement, pas de réelle poursuite dans ce film politique où, par contre, la métaphore du revolver est belle et bien développée. Selon l’auteur, le système capitaliste ne peut se maintenir que par deux solutions, soit le vote, soit le revolver. C’est cette deuxième occurrence qu’illustre brillamment ce long-métrage qui échappe aux clichés du genre pour mieux dénoncer une société gangrenée par la corruption et les assassinats politiques.
Une atmosphère paranoïaque maîtrisée
Largement inspiré par l’assassinat de Mattéi (homme d’affaire italien dont l’accident d’avion survenu en 1962 a été causé par une bombe parce que celui-ci dérangeait les autorités en place), le scénario commence tout d’abord comme une simple petite affaire entre truands et représentants de l’ordre. Pourtant, plusieurs séquences restent longtemps inexpliquées, mettant peu à peu le spectateur sur la voie d’un complot à plus grande échelle. Alors que les personnages principaux se débattent pour s’en sortir, ils comprennent progressivement qu’ils ne sont que de vulgaires pions dans un système qui les dépasse et les broie.
Toutefois, si la dénonciation des complots d’Etat est un classique du cinéma européen et américain de cette époque, La poursuite implacable se dote d’une subtilité supplémentaire. Effectivement, les deux individus pris dans l’étau représentent les deux faces d’une même société. L’un est un petit truand que l’on pourrait qualifier d’anarchiste (Fabio Testi en mode décontracté, mais finalement inoffensif), tandis que l’autre est un représentant de l’ordre, ancien flic et directeur d’une prison (excellent Oliver Reed). Alors qu’ils n’ont rien pour se rapprocher, les deux hommes vont peu à peu se lier d’amitié, ceci jusqu’à une séquence finale poignante et terriblement pessimiste.
Sollima chante la fin des illusions progressistes des années 60
Car la particularité de La poursuite implacable est de n’offrir aucune échappatoire à ses personnages. En 1973, les illusions de mai 68 se sont évaporées et ont laissé la place à un grand désenchantement dont le film se fait l’écho. Malgré toutes les tentatives de déstabilisation, le système bourgeois et capitaliste tient bon. Pire, il est capable d’ingurgiter la contre-culture pour la faire sienne. En témoigne le personnage de chanteur hippie incarné par Daniel Beretta – dans un rôle prévu initialement pour Johnny Hallyday. Ce dernier chante l’amitié en tenue de hippie, mais il vit dans un appartement bourgeois et fume le cigare avec des hommes d’affaire qui se servent de lui pour faire de l’argent. En cela d’ailleurs, Sergio Sollima fait preuve d’une vraie subtilité et ne présente donc pas la contre-culture de gauche comme la panacée.
Finalement, le cinéaste tire sur à peu près tout le monde, reprenant ainsi les concepts déjà développés dans ses westerns (Colorado et Le dernier face à face), mais en les amenant vers un désenchantement décidément très noir.
Sollima s’impose comme un auteur important
Ajoutons à cela une réalisation parfaitement maîtrisée d’un Sollima au sommet de sa forme, et l’apport considérable de la musique d’Ennio Morricone (avec une belle chanson signée Christophe pour les paroles) et La poursuite implacable peut être considéré comme un petit chef d’œuvre. Malheureusement, comme le long-métrage n’entre dans aucune case – ni film d’auteur déclaré, ni film de genre basique – il n’a rencontré que l’indifférence lors de sa sortie. Il a connu un bide cinglant en Italie, et ils ne furent que 79 238 spectateurs français à faire le déplacement en salles. Un affront vraiment injuste que l’on peut réparer aujourd’hui grâce à sa sortie dans un superbe Mediabook.
Le test du Mediabook :
Compléments & packaging : 3,5/5
Si la jaquette propose une photographie symbolique, mais assez laide, le packaging sous forme de Mediabook est plutôt réussi et agréable. L’objet s’inscrit au cœur d’une collection luxueuse qui donne irrémédiablement envie de passer à la caisse. Le Mediabook contient un livret de 24 pages richement illustrées où l’on apprend beaucoup de choses sur Sergio Sollima, ainsi que sur la création et la sortie du film proprement dit.
Sur le blu-ray, outre la bande-annonce du film et d’un autre titre de la collection, on suit avec beaucoup d’intérêt l’intervention de Jean-François Rauger durant 26min. Celui-ci, toujours aussi clair, profus et analytique, nous propose une immersion dans le cinéma populaire italien des années 70 à la suite de Sollima. Il en profite pour rappeler l’absurdité du clivage film d’auteur- film de genre au sein de l’industrie du cinéma italien où la porosité était bien plus grande qu’on veut bien le dire.
L’image du blu-ray : 4/5
Doté d’une copie superbement restaurée en 4K, le blu-ray nous permet de redécouvrir le long-métrage dans toute sa magnificence. Si certaines impuretés de pellicule sont toujours présentes, elles n’empêchent nullement de profiter d’une colorimétrie sublimée et d’une précision chirurgicale de la définition. Nous sommes bien face à un blu-ray dont la finesse du trait ne détruit pas le grain cinéma d’origine. Bref, il s’agit d’une bien belle copie.
Le son du blu-ray : 4/5
Selon la piste audio choisie, vous aurez la possibilité de regarder deux montages différents du film. Nous n’avons pas visionné le montage français, censuré et tronqué, mais le montage italien est absolument parfait. Sur le plan sonore, les deux pistes sont proposées en mono DTS HD Master-Audio. On pourra signaler un léger souffle sur la version originale, mais rien de bien gênant.
Critique et test blu-ray : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 octobre 1974
Le poliziottesco sur CinéDweller
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