La poupée : la critique du film de Wojciech Has (2022)

Drame | 2h19min
Note de la rédaction :
10/10
10
La poupée, l'affiche

  • Date de sortie: 07 Déc 2022
  • Nationalité : Polonais
  • Titre original : Lalka
  • Année de production : 1968
  • Titres alternatifs : A bábu (Hongrie) / Die Puppe (Allemagne)
  • Scénaristes : Wojciech Has, Kazimierz Brandys d'après le roman de Boleslaw Prus
  • Directeurs de la photographie : Stefan Matyjaszkiewicz, Andrzej Ramlau
  • Compositeur : Wojciech Kilar
  • Société(s) de production : Zespol Filmowy "Kamera"
  • Distributeur : Malavida Films
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Malavida Films (DVD, 2008)
  • Date de sortie vidéo : 7 juillet 2008
  • Box-office France : 1761 entrées
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 2.35 : 1 / Couleurs (Franscope) / Son : Mono
  • Illustrateur / Création graphique : Fabrice Montignier
  • Crédits : Zespol Filmowy "Kamera"
Note des spectateurs :

La Poupée est tout simplement l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma… et l’un des plus méconnus aussi. Une injustice à réparer d’urgence.

 Synopsis : Dans les années 1870, en Pologne, les stratagèmes de Stanislas Wokulski, un brillant homme d’affaires parti de rien, pour conquérir Isabella Lecka, une belle aristocrate ruinée. Les jeux de l’amour et de l’ambition à l’époque des grandes découvertes scientifiques et de la montée de la bourgeoisie en Europe…

L’adaptation sublimée d’un classique de la littérature polonaise

Critique : L’écrivain Boleslaw Prus fut à la fin du 19ème siècle un représentant très actif du mouvement réaliste qui s’opposait au courant plus romantique issu des luttes polonaises pour leur indépendance. Influencé par la terrible répression de l’insurrection polonaise de 1863 par les Russes, Prus représente tout un courant de pensée intellectuelle désabusée, ce qu’il retranscrit dans ses romans les plus populaires (Pharaon, d’ailleurs adapté au cinéma, cette fois par Jerzy Kawalerowicz et bien sûr La poupée).

Lorsque Wojciech J. Has décide d’adapter ce sommet de la littérature nationale, il vient tout juste de remporter un gros succès avec sa version audacieuse du Manuscrit trouvé à Saragosse (1965), œuvre saluée par Luis Buñuel qui restera à jamais son plus gros succès.

Vu son œuvre passée, il peut paraître étonnant de prime abord que le cinéaste se lance dans une reconstitution historique à gros budget, en couleur de surcroît. L’auteur s’était attaché, jusqu’alors, à filmer dans un noir et blanc qui seyait merveilleusement bien à ses premiers jalons que l’on qualifiera volontiers de psychologique jusqu’au Manuscrit. On pouvait dès lors craindre une certaine dérive vers un classicisme teinté d’académisme, quand bien même. A l’arrivée, il n’en est rien ; Has sublime le roman d’origine, qui sera par la suite de nouveau réadapté localement, sur de nombreux points.

La poupée, photo du film de Wojcieh Has

© Malavida

La poupée brosse un portrait sans concession de la Pologne

Sur le plan thématique tout d’abord, Wojciech Has démontre par une intrigue qui évoque immédiatement Citizen Kane (Welles, 1941) que la Pologne de la fin du 19ème siècle n’avait rien d’une grande nation, en dépit du réel héroïsme des anciens combattants de l’insurrection. En suivant les pas d’un parvenu (enrichi grâce à des affaires effectuées durant la guerre) au sein de la noblesse décadente de l’époque, le cinéaste insiste sur les freins d’une société encore marquée par des structures féodales.

La tentative de l’homme d’affaires Stanislas Wokulski, pour se faire accepter d’une aristocratie ruinée et repliée sur elle-même, est forcément vouée à l’échec du fait de son extraction populaire. Exploité par les grands de ce monde qui se servent de son idéalisme, le personnage principal ne pourra que retourner d’où il est venu, non sans une bonne dose d’amertume et de désespoir.

Pourtant, loin d’opposer les riches aux pauvres, Has décrit également une Pologne populaire rongée par l’alcool et le vice, l’appât du gain et de l’argent facile. Certes, l’auteur n’est pas connu pour être des plus politiques, et il échappe au blâme de la censure par la couverture historique de l’œuvre en costume, mais le cinéaste porte bel et bien une vision poétique désabusée de sa patrie, tout en égratignant le capitalisme qui ne palie jamais les frustrations du héros mélancolique.

Le sentiment de déliquescence est prégnant jusque dans la circularité de la narration. La fin couperet évoque beaucoup celle de La Clepsydre, jusqu’à la musique du géant Wojciech Kilar qui sera notamment césarisé pour Le pianiste de Polanski. D’ailleurs dans le monument de surréalisme qu’Has réalisera en 1972, il s’agira d’un autre monstre de la musique polonaise qui sera à l’œuvre, le chef d’orchestre et compositeur Jerzy Maksymiuk.

La poupée multiplie les toiles de maître et s’impose comme un bijou esthétique

Au-delà du récit, c’est la forme comme langage alternatif au film passionne toujours autant Wojciech Has. Particulièrement élaborée, elle prend tout son sens.

Multipliant les travellings latéraux qui enferment les personnages dans des décors extravagants et baroques, le réalisateur signe un nombre incalculable de natures mortes où les aristocrates sont eux-mêmes assimilée à des automates dans un musée de cire. Par de subtils glissements progressifs, Has nous invite dans une sorte d’entre-deux-mondes, réaliste par bien des aspects, mais sublimé par une esthétique fantastique qui invite à la rêverie poétique. Il généralisera cet effort dans La clepsydre, film somme de son auteur.

La poupée, photo du film de Wojcieh Has

© Malavida

Chaque plan de La poupée ravive le plaisir pictural de la toile de maître, et foisonne d’idées insensées. L’on ne manquera donc pas de rendre hommage au travail formidable effectué par toute l’équipe technique, des éclairagistes au directeur de la photographie en passant par les costumiers et les décorateurs, qui se sont totalement mis au service d’un artiste visionnaire à l’exigence plurielle de conteur et de peintre.

Inédit au cinéma en France pendant plus de 50 ans

Peu de cinéastes peuvent se vanter d’avoir tourné dans leur vie une œuvre aussi puissante sur le plan visuel, mais également profonde sur le plan thématique. Sans doute unique œuvre purement politique de son auteur, La poupée est de ces films qui provoquent chez le spectateur un choc esthétique violent. Comme la certitude d’être devant l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Rien de moins.

Inédit dans nos salles jusqu’en 2022, La poupée (Lalka) de Wojcieh Jerzy Has devra attendre 2008 pour apparaître sur nos écrans à l’occasion du premier DVD du film jamais édité dans le monde. Malavida, son éditeur et par ailleurs futur distributeur pour la salle, permet de combler l’une des lacunes les plus insupportables de la cinéphilie mondiale. On ne saura jamais les en remercier assez.

Critique de Virgile Dumez & Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 7 décembre 2022

La poupée, l'affiche

© 1968 Zespol Filmowy “Kamera” / Affiche : Fabrice Montignier. Tous droits réservés.

Biographies +

Wojciech Has, Bogumil Kobiela, Tadeusz Kondrat, Aleksander Fogiel, Mariusz Dmochowski, Beata Tyszkiewicz, Tadeusz Fijewski

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La poupée, l'affiche

Bande-annonce de La poupée (VOstf)

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