La Montagne du dieu cannibale dans sa version intégrale transgresse et choque dans sa bestialité et perversité malgré la présence glamour d’Ursula Andress. Le film d’aventure rocambolesque est pourtant loin d’être mauvais. Au contraire.
Synopsis : Accompagnée par son frère Arthur, Susan Stevenson arrive en Nouvelle Guinée et y organise une expédition afin de retrouver son mari disparu en pleine jungle. Elle obtient l’aide d’Edward Foster, un guide réputé. Ils vont devoir se rendre sur l’île de Roka où le mari de Susan était parti à la recherche de la mythique montagne Rarami, laquelle, selon les légendes, servirait de repère à la tribu cannibale des Pouka.
Critique : Succès du cinéma transalpin des années 70, La Montagne du Dieu cannibale permet à Sergio Martino d’échapper au giallo et au cinéma d’action pour se diriger vers un cinéma d’aventure qu’il va plutôt bien maîtriser avec 3 séries B consécutives. La Montagne du Dieu cannibale sera en effet suivi par le réussi Le Continent des hommes-poissons en 1979 avec Joseph Cotten et Barbara Bach, puis la même année Alligator où il retrouve son acteur fétiche Claudio Cassinelli de La Montagne du Dieu cannibale et Barbara Bach, James Bond girl qu’il avait fait tremper dans les marécages du Continent des hommes-poissons.
La version cinéma et VHS de La Montagne du Dieu cannibale, ainsi que la copie proposée de nombreuses fois à la télévision en France, ne seront pas forcément représentatives du film tel que Sergio Martino l’a tourné car expurgées des diableries coquines, bestiales et perverses de la version dite « uncut ».
Ce succès de série B est en effet seulement interdit aux moins de 13 ans à sa sortie. Cela relève quasiment de l’exploit à une époque où les réalisateurs italiens assumaient de lourdes interdictions aux moins de 18 ans pour leur insistance sur la sauvagerie et l’érotisme, voire l’insert pornographique. On ne fera pas de Sergio Martino un saint pour autant. On explique…
Sous la couverture bienveillante d’une expédition luxuriante en Nouvelle-Guinée dans la tradition des Mines du roi Salomon auquel Sergio Martino aime se référer, La Montagne du Dieu cannibale est pourtant une œuvre particulièrement putassière, loin du glamour qu’inspire son actrice principale.
Dans la lignée d’Au Pays de l’exorcisme d’Umberto Lenzi, du Dernier monde cannibale de Ruggero Deodato, mais aussi des Emanuelle et les derniers cannibales de Joe D’Amato, La Montagne du Dieu cannibale n’a pas peur de transgresser comme le feront 2 ans plus tard Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1980) ou Cannibal Ferox d’Umberto Lenzi (1981).
La réalisation en cinémascope de Martino est évidemment superbe. Ce cinéaste de l’efficacité compte parmi les meilleurs narrateurs visuels du cinéma de genre italien. Son cinéma a une certaine classe, une élégance du trait et une vision cinégénique de l’action.
De plus, Martino est un excellent conteur. Dans cette production d’aventure à la trame plutôt classique dans laquelle une épouse part à la recherche de son époux disparu au fin fond d’une nature sauvage habitée par des tribus et peuplades anthropophages, il aime se jouer des poncifs psychologiques et se permet même un rebondissement anticapitaliste plutôt bien trouvé. Connaissant l’œuvre de Sergio Martino, on n’y verra pas forcément une preuve de sincérité idéologique mais plutôt un véritable savoir-faire pour permettre aux spectateurs d’être toujours plus surpris par la narration qu’il met en place.
À l’instar d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Ursula Andress, Stacy Keach et Claudio Cassinelli progressent dans un environnement où la folie les gagne. Avant d’être, pour deux d’entre eux, kidnappés par une tribu anthropophage qui fait basculer le film dans un délire quasi sectaire totalement illuminé, habité par la bestialité et le goût pour la transgression.
On s’étonne alors de voir à quel point Sergio Martino s’égare dans la violence facile. La cruauté envers les animaux est particulièrement intolérable pour le spectateur contemporain. Dans les bonus de l’édition Artus parue en octobre 2024, le réalisateur a beau essayer de trouver une forme de rédemption par l’opportunisme de situations qui se sont présentées à lui, la réalité gore du film trahit ses bonnes intentions.
Depuis les années 2000, chez de nombreux éditeurs vidéo à l’étranger comme Anchor Bay, Blue Underground, aux USA, ou Neo Publishing, en France, il s’agit bien de la version intégrale qui circule et celle-ci n’aurait jamais pu obtenir une simple interdiction aux moins de 13 ans en 1978.
Pas bête la reine, le Royaume-Uni a banni le film en le classant parmi ces fameuses “vidéos nasties”, œuvres notoires pour leur violence que le gouvernement ultra-conservateur essayait de cacher aux yeux du public par une interdiction pure et simple. On n’aura aucun mal à voir ce qui a déstabilisé les censeurs de Madame Thatcher qui arrivait au pouvoir en 1979.
Les séquences hallucinantes dans une orgie de sexe et de violence, de tueries animales et d’émulation de zoophilie, avec émasculation et onanisme féminin tribal, sont totalement improbables au cœur de cette œuvre de facture à priori classique à l’image classieuse des années 70 qui vendait le rêve d’un exotisme inaccessible aux spectateurs forcément peu enclins au voyage en raison de l’absence de démocratisation du tourisme.
Donc, malgré sa réussite à bien des égards, La Montagne du Dieu cannibale finit par partir dans tous les sens et se mord la queue dans sa propre bestialité voire perversité. La cruauté envers les animaux comme ces serpents dépecés et mangés crus par des autochtones ou un pauvre singe jeté en pâture à un python dont la caméra inflige le calvaire est totalement intolérable. Son absence d’empathie est rédhibitoire.
Même si Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato en 1980 ira beaucoup plus loin, l’impression de malaise est peut-être plus grande en visionnant l’impressionnante fresque de Sergio Martino tant celle-ci tord les attentes des spectateurs qui n’attendaient pas pareils outrages en la présence forcément rocambolesque d’une Ursula Andress très professionnelle mais qu’on ne peut associer à pareilles horreurs.
Box-office de La Montagne du Dieu cannibale
La Montagne du Dieu cannibale a été distribué par UGC, associé à la CFDC, le 12 juillet 1978.
Une date estivale qui correspond à un moment où la fréquentation parisienne baisse et où les exploitants doivent composer avec des reprises. D’ailleurs, cette semaine-là, on retrouvait en salle les rééditions de Docteur Jivago de David Lean, la reprise du Drame de la jalousie d’Ettore Scola, Un dîner de cons, Le Métamore de Dino Risi, la reprise de Quo Vadis de Mervyn LeRoy, ainsi que du Parrain de Francis Ford Coppola et du Point de non-retour de John Boorman.
La Montagne du Dieu cannibale est un divertissement bis destiné à ne pas bénéficier d’énormément de promotion autre que des affiches signées par l’illustrateur talentueux Landi qui a parfaitement vendu le produit : de l’érotisme, de l’aventure et quelques zones de terreur.
UGC Distributeurs est également exploitant et, fort de son circuit, programme La Montagne du Dieu cannibale dans son propre réseau. La première semaine, le film d’aventure de Sergio Martino est programmé à l’UGC Ermitage, à l’UGC Danton, l’UGC Gare de Lyon, l’UGC Opéra, et dans d’autres salles telles que les 3 Secrétan, le Convention, le Saint-Charles, le Mistral, le Rex, etc.
Le film ne restera pas très longtemps à l’affiche à Paris, à peine 4 semaines, mais durant ces 4 semaines, la série B italienne attire tout de même 102 855 spectateurs. C’est un excellent score qui le situe parmi les plus gros scores italiens de l’année, derrière des films comme Les Nouveaux Monstres, L’Incompris, Qui a tué le chat ?, Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?, La Maîtresse légitime, Rêve de singe avec Gérard Depardieu.
En France, il ne sera vu que par 285 000 spectateurs, ce qui n’est pas un score extraordinaire mais cela s’avère très satisfaisant pour un cinéma bis italien qui n’explose en rien les compteurs en 1978.
On soulignera qu’UGC devait affronter en direct une autre série B à effets spéciaux, vendant de l’exotisme sous forme d’expédition, avec Les 7 Cités de l’Atlantis, un pur Kevin Connor, avec une affiche exaltante et Parafrance à la distribution qui possédait son propre circuit à Paris. Le distributeur en pleine effervescence, qui sortait Emmanuelle 2 et 3 au premier semestre de cette année 1978, trouvera au total 106 656 Franciliens pour se baigner dans ses eaux mouvementées à la Jules Verne, mais sur 10 semaines.
La très bonne réception de La Montagne du Dieu cannibale donnera des idées d’ailleurs au distributeur Lancaster Films, puisqu’en juillet 1979, ce distributeur du terroir déploie Les Sorciers de l’île aux singes (Safari express) de Duccio Tessari, avec en tête d’affiche Giuliano Gemma, Jack Palance et surtout Ursula Andress qui se retrouve érigée au milieu de sauvages sur une affiche étrangement similaire à celle de La Montagne du Dieu cannibale. Le succès sera moindre, et pour cause : le distributeur, complètement indépendant, ne bénéficie pas de la même force de frappe qu’UGC ou Parafrance pour pouvoir imposer son film en salle.
Pour Sergio Martino, c’est une véritable manne qui se confirmera en février 79 avec la sortie du Continent des hommes-poissons, autre film d’aventure exotique, cette fois-ci avec Barbara Bach au milieu de créatures hybrides inspirées de L’Île du docteur Moreau. Cette belle épopée fantastique, beaucoup moins hardcore, dépourvue de scènes douteuses, qui évite le massacre réel d’animaux à chaque plan, et le gore, réalisera légèrement moins d’entrées à Paris avec 93 731 spectateurs. En revanche, sur l’ensemble du territoire, il s’en sortira bien mieux que La Montagne du Dieu cannibale avec 390 739 entrées. Certes, les deux films sont interdits aux moins de 13 ans à leur sortie, mais Le Continent des hommes-poissons reste davantage orienté sur de l’aventure grand-public que l’horreur glauque que les Italiens allaient développer à foison dans les années 80, avec les dérives de Joe d’Amato, Lucio Fulci et Ruggero Deodato.
Sorties de la semaine du 12 juillet 1978
Le test blu-ray de La Montagne du Dieu cannibale
La sortie dans des conditions optimales du combo DVD/Blu-ray de La Montagne du Dieu cannibale chez Artus Films est particulièrement réjouissante.
Compléments & packaging : 4.5 / 5
L’éditeur s’est appliqué à proposer une édition complète.
Le packaging est toujours aussi luxueux avec un bel étui et un digipack reprenant des visuels étrangers du film. On notera que l’éditeur malin propose en guise de jaquette deux étuis différents, l’un reprenant le visuel français de Landi, l’autre, peut-être plus graphique, arborant le visuel italien.
S’il n’y a pas de livret pour accompagner cette édition, l’éditeur a mis les bouchées doubles en bonus audiovisuels.
Leur fidèle acolyte Curd Ridel démarre par une présentation pertinente du film pendant près de 20 minutes. Le dessinateur, expert en cinéma d’exploitation, met le doigt sur ce qui fâche, notamment la cruauté envers les animaux, ce qui restera un leitmotiv tout au long des suppléments.
Que ce soit Claudio Morabito (12’30), à la caméra, qui doit aussi rendre des comptes, et surtout Sergio Martino (24′) qui se remémore avoir déjà torturé des lapins pour un western dont l’éditeur a la mauvaise idée d’intégrer la scène en guise d’illustration, la cruauté envers les animaux demeure un point récurrent dont ils doivent tous s’expliquer.
Enfin, c’est au tour d’Antonello Geleng de prendre la parole pendant près de 52 minutes. Responsable des décors, cet homme de mémoire intervient sur tous les aspects du tournage avec une véritable acuité, tant sur le rapport aux acteurs ou les décors au Sri Lanka.
- Présentation du film par Curd Ridel
- Dans la jungle, avec Sergio Martino
- Sans trêve, avec Claudio Morabito
- La grande aventure, avec Antonello Geleng
- Diaporama d’affiches et de photos
- Film-annonce original
L’image du blu-ray : 4 / 5
Très belle restauration du master en 2K portée par des couleurs vives et équilibrées qui ne saturent jamais l’image. Le piqué argentique a su être conservé.
Le son du blu-ray : 4 / 5
Proposé dans 3 langues (français, italien et anglais) dans une version upgradée en Dolby Digital, La Montagne du Dieu cannibale ne démérite pas non plus au niveau sonore. Il est vrai que la piste musicale de Guido et Maurizio De Angelis est particulièrement bien mise en avant. La musique est d’ailleurs superbe.
Pour trouver un contexte sonore à la clarté irréprochable, on préférera très certainement la bande-son italienne ou anglaise dont la restauration est bien supérieure à la piste française.
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