La môme vert-de-gris est un habile hommage au cinéma noir américain qui a révélé Eddie Constantine au grand public. Sympathique.
Synopsis : Victime d’une rixe, la nuit, dans un cabaret de Casablanca, Mickey est mort après avoir révélé dans son délire qu’un convoi d’or provenant des États-Unis doit être attaqué en Italie… Le FBI dépêche l’un de ses agents, le G. Man Lemmy Caution, pour enquêter sur les lieux. Dans le cabaret de Joe Madrigal. Caution doit entrer en contact avec un autre agent qu’il trouve assassiné. Lemmy retrouve un reporter américain, Jerry Tiernan, surnommé G.D.B. à cause de son penchant pour l’alcool, et fait la connaissance de la chanteuse, la belle Carlotta de La Rue, surnommée la “Môme Vert-de-Gris”, qui est aussi la sœur de Mickey.
Critique : Fils du producteur Raymond Borderie, Bernard Borderie connaît le succès dès son tout premier long-métrage, le film d’espionnage Les loups chassent la nuit (1951) qui réunit plus de 1,8 million de spectateurs. Cela lui donne donc les coudées franches pour un second essai dans un genre très proche.
Le choix du réalisateur se porte sur un roman du Britannique Peter Cheyney qui met en scène les aventures d’un agent du FBI nommé Lemmy Caution. Avec l’aide de Jacques Berland, Bernard Borderie choisit d’adapter Poison Ivy qui devient en français La môme vert-de-gris.
S’engage alors la phase de casting où sont choisis des acteurs qui ne sont pas encore connus du grand public. Un choix audacieux, mais qui va s’avérer payant. Borderie offre ainsi à Eddie Constantine et Dominique Wilms leur tout premier rôle au cinéma. Le premier est un chanteur américain jusqu’alors sans grand succès, tandis que la seconde est un mannequin repéré par le réalisateur Edmond T. Gréville qui la conseille à Borderie.
Le reste est entré dans les annales puisque le long-métrage a littéralement cassé la baraque lors de sa sortie au mois de mai 1953. La môme vert-de-gris s’installe tout bonnement à la onzième marche du podium annuel avec plus de 3,8 millions de spectateurs passionnés par les aventures de l’agent du FBI. De quoi lancer définitivement la carrière de Bernard Borderie, mais surtout de faire d’Eddie Constantine une star instantanée, tout en promettant à Dominique Wilms une belle carrière qu’elle n’aura pas vraiment.
Au vu du film, on peut comprendre l’engouement du public de l’époque, dont les critères varient forcément avec ceux d’aujourd’hui. Si le film peut sembler un brin vieillot de nos jours, il faut lui reconnaître une forme d’efficacité qui le distingue du tout-venant de l’époque. On y sent notamment le goût de Bernard Borderie pour le cinéma noir américain qu’il tente d’imiter. Ainsi, la localisation à Casablanca est une référence directe au film éponyme de Michael Curtiz avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman qui est sorti après-guerre en France (en mai 1947 pour être précis). Ainsi tout le début du long-métrage y fait forcément songer. La femme fatale incarnée par une Dominique Wilms très sophistiquée nous renvoie également aux grandes figures du genre comme Veronica Lake.
En ce qui concerne l’intrigue proprement dite, elle en vaut une autre et réserve son lot de rebondissements attendus. Certes, on peut trouver certaines articulations un peu faciles (Lemmy Caution se tire un peu trop souvent de situations inextricables sans dommage), mais l’ensemble se suit sans déplaisir aucun.
Il faut dire que le film bénéficie du charisme du personnage principal. Eddie Constantine amène une forme de décontraction, mais aussi d’effronterie qui tranche avec ce qui se faisait dans le cinéma policier français, plus respectueux des conventions et moins porté sur l’action physique. Ici, Lemmy Caution n’hésite jamais à en venir aux mains dans des affrontements brutaux où il ne se soucie guère de la vie de ses adversaires. C’est sans nul doute ce ton à la fois libre, faussement détaché et en même temps ces pointes de violence qui ont attiré le public d’alors.
Bien entendu, le spectateur contemporain trouvera sans aucun doute tout ceci assez anodin, mais il est important de replacer le long-métrage dans son époque pour en apprécier les quelques audaces. Eddie Constantine est pour beaucoup dans le plaisir ressenti durant la projection d’une œuvre tournée de manière très classique par un Bernard Borderie respectueux des règles en vigueur au sein de la production commerciale.
Il se révèle également un excellent directeur d’acteurs et obtient des performances intéressantes de Dominique Wilms, Howard Vernon et surtout de Jean-Marc Tennberg dans l’un de ses meilleurs rôles. Les cinéphiles pourront également apprécier les prestations de jeunes débutants comme Maurice Ronet (qui meurt dans les cinq premières minutes), Georges Wilson ou encore Roger Hanin (rôles muets de moins de deux minutes).
Sympathique de bout en bout, La môme vert-de-gris est donc un petit film commercial bien de son époque que les amateurs de ce cinéma peuvent encore visiter avec nostalgie. Les multiples suites tournées ensuite ne seront pas toutes du même niveau.
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Critique du film : Virgile Dumez