La longue nuit de l’exorcisme est le troisième giallo de Lucio Fulci après Perversion Story et Carole. Il compte parmi ses œuvres les plus marquantes. Aussi osé que virtuose, ce thriller violent manifeste un talent à l’état dur.
Synopsis : Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. La tension monte au sein de cette petite communauté et les habitants commencent à désigner des coupables. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent.
Crédits : Les Films du Camélia
Critique : 1969. Après une longue série de comédies, Lucio Fulci change de genre en 1969 avec Perversion Story, premier giallo, assez sobre, puis, il s’essaie au biopic historique avec Beatrice Cenci. En 1971, il brille avec son second giallo, l’onirique et surréaliste Carole, aussi connu sous le titre français du Venin de la peur pour son exploitation en vidéo. Il retourne aussi à la comédie en 1972, avec All’onorevole piacciono le donne dans lequel il dirige Lando Buzzanca. Une régression artistique? Probablement, mais le cinéaste se rattrape la même année avec une œuvre cauchemar virtuose, une certaine Non si sevizia un paperino. Les Français patienteront pour voir ce jalon en salle, avec une petite sortie en 1978, sous le titre invraisemblable de La longue nuit de l’exorcisme, puisque de possession démoniaque dans ce récit diurne, il n’y en a point. Une semaine à l’affiche à Paris et l’œuvre disparaît des mémoires avant de revenir ici et là en vidéocassette, puis, en 2017, de faire un come-back généreux en blu-ray chez Le Chat qui fume.
Jaquette : Le Chat qui Fume – Frhead. fr. Tous droits réservés.
Ce troisième giallo du maestro est l’un des pinacles dans la carrière de Fulci, une réussite patente qui compte parmi ses premiers rejetons violents avec quelques plans gore qui préfigurent ses séquences culte (le lynchage – douloureux à regarder – d’une sorcière du sud italien, à force de coups de chaîne, évoque la mise à mort du sorcier dans la séquence inaugurale de L’au-delà, son plus grand classique). Fulci est bel est bien aux manœuvres dans une fiction atavique qui s’enracine dans un terroir fertile aux superstitions et aux croyances, où la mort violente est cultivée à l’ombre du bien.
La longue nuit de l’exorcisme en VHS, France, sous le titre de Fureur meurtrière. © 1972 Medusa Distruzione. All Rights Reserved.
Pour se plonger dans les tourments de l’âme humaine, le cinéaste s’extrait de l’univers urbain du giallo. Point de jeunes femmes déshabillées à traquer, La longue nuit de l’exorcisme assassine des culottes courtes dans le cagnard du Mezzogiorno qui rompt avec la tendance consistant à jouer avec les décors cosmopolite de l’époque. Pourtant le casting féminin, en la présence de Barbara Bouchet, alors au sommet de sa carrière de pin-up avec une dizaine de longs métrages en 1972, laisse planer la froideur manipulatrice de la femme moderne qui sied si bien au genre giallesque. Lors d’une scène invraisemblable de sous-texte pédophile, le personnage de femme moderne libre séduit un enfant doublé par un nain lors des contre-champs. La sexualité débordante de cette femme moderne interpelle dans cet univers où la perfection de son visage tranche avec les traits marqués de tous et toutes dans ce patelin où elle s’est retranchée après quelques déboires liés à la drogue. Bouchet, maîtresse de son destin, n’incarne pas la victime. D’abord approchée comme une femme trouble et audacieuse, elle mènera aussi l’enquête, choisissant son camp. Les autochtones en revanche, sont bel et bien des victimes de leur environnement. C’est le cas de Florinda Bolkan, qui sortait du premier rôle des Damnés de Visconti et du Venin de la peur de Fulci. Dans un second rôle saisissant, elle incarne le folklore d’une Italie du sud enracinée dans ses croyances et perpétue l’image intemporelle du bouc émissaire qui doit expier les fautes d’une société corrompue. L’actrice toujours aussi brillante insémine un sens du tragique notamment lors de sa douloureuse mise à mort immortalisée par la musique de Riz Ortolani. Le compositeur, à l’instar de ce qu’il a mis en œuvre dans Les négriers (1971) et de ce qu’il fera dans Cannibal Holocaust (1980) manie puissamment l’ironie musicale en associant la beauté absolue d’une partition au voyeurisme graphique.
© Melki © 1972 Medusa Distruzione. All Rights Reserved.
La musique participe éminemment à la réalisation de La longue nuit de l’exorcisme, même si, Fulci lui-même, y va de ses propres expérimentations visuelles et n’usurpe pas son statut de cinéaste visionnaire qui parsème tous les éléments qui feront de lui, quelques années après, la légende du cinéma horrifique qu’il continue d’être plusieurs décennies après sa mort. Composant ses plans d’éléments signifiants et picturaux qui régalent autant les méninges que le regard, Fulci opère une peinture aussi ironique que mordante d’une société italienne en plein changement sociologique où la résistance des valeurs archaïques que l’on qualifieraient de brutes et de verticales, aux éructions d’une société moderne, ludique, fantaisiste et insouciante, passe par la violence, la confusion des justices, la répression catholique qui ne badine pas avec l’amour.
Illustration : Ilan Sheady
Œuvre ancrée au plus profond de la culture italienne, Don’t torture a Duckling (titre international) associe à son imaginaire une palette d’acteurs internationaux. Outre la Brésilienne Florinda Bolkan et la germano-américaine Barbara Bouchet, on apprécie énormément la présence du Cubain et Américain Tomas Milian (d’une grande sobriété), la flamboyance de la Grecque Irene Papas, tandis que Marc Porel et Georges Wilson apportent la touche française nécessaire à cette production de la Medusa. Marc Porel, qui retrouvera Fulci à l’occasion de L’Emmurée vivante (1977), la vingtaine à peine passée, porte la soutane avec un sérieux papal laissant peu transparaître les addictions qui contrôlaient sa vie. Il est l’un des grands regrets de ce film tant il est prometteur, une décennie avant sa triste tragédie personnelle.
La Longue nuit de exorcisme, visuel Shadowz. © 1972 Medusa Distruzione. All Rights Reserved.
La longue nuit de l’exorcisme, thriller assassin d’une jeunesse masculine empêchée avant l’heure de perpétuer la violence patriarcale, est une œuvre picturalement épatante, d’une grande richesse intellectuelle, et humainement tempétueuse. Audacieuse dans ses thématiques, éprouvante dans sa cruauté, elle distille des moments de cinéma indélébiles parmi les plus forts du cinéma italien des années 70. La folie géniale de Lucio Fulci s’est déployée au sommet du box-office, devenant en Italie l’un de ses plus gros succès locaux avec 002 agenti segretissimi (1964), Croc Blanc (1973) et Le retour de Croc Blanc (1974). L’attachement éternel de l’auteur pour cette œuvre qu’il considérait comme sa meilleure érige le maestro des ténèbres comme un homme de raison.
Don’t Torture the Duckling (titre anglophone) est désormais disponible en Ultra HD 4K dans une édition balaise chez Arrow Vidéo, avec une piste italienne et anglaise et des illustrations signées Ilan Sheady, l’illustrateur gore décomplexé qui propose trois visuels exclusifs exubérants qui tranchent avec le marketing généralement assez terne qui a accompagné ce film pendant des décennies. Un collector que l’on vous conseille.
Box-office de La longue nuit de l’exorcisme
Malgré son très beau succès en Italie, La longue nuit de l’exorcisme est sorti tardivement en France, en mars 1978. Précédemment, les derniers longs de Fulci a avoir été retenus pour une sortie en salle en France avaient été Croc Blanc (16 juin 1976), Obsédé malgré lui (21 juillet 1976), et Le retour de Buck le loup (29 juin 1977). Carole (ou Le venin de la peur) avait trouvé une petite distribution dans les cinémas de l’Hexagone, la semaine du 21 juillet 1976.
La longue nuit de l’exorcisme débarque en salle en exclusivité parisienne face à La Zizanie qui hérite logiquement de la première place, Louis de Funès oblige, Sauvez le Neptune de David Greene, avec Charlton Heston (9e au Paris-Province), Holocaust 2000 avec Kirk Douglas (14e), Les Zizis en folie, un porno qui déboulait en 20e place française, Equus de Sidney Lumet (22e), Bêtes à jouir (25e), Excitations au soleil (29e), La chasse aux filles (34e)…
Le film de Lucio Fulci se positionne en 36e place des recettes nationales, avec 8 écrans à Paris-Périphérie, dont le Rio Opéra, la Rotonde, l’UGC Gare de Lyon, Le Convention Saint-Charles et Les 3 Secrétans. L’affiche trop sobre de Faugère ne génère pas de curiosité et le thriller malin se contente de 8 080 entrées en première et dernière semaine d’exploitation sur la capitale. En France, la carrière du film s’achève à 85 539 entrées, très loin derrière les 2 400 000 tickets collectées en Italie. La traversée des Alpes lui a été fatale.
Avec 4 salles, Frissons africains, mélange d’aventures, de pornographie et de bestialité mis en boîte par Zygmunt Sulistrowksi et Louis Soulanes, engrangera la semaine du 22 mars 5 000 entrées sur Paname. Enfin, La Toubib se recycle (Taxi Girl), avec Edwige Fenech et Aldo Maccione, se contentera de 4 096 entrées sur 2 sites parisiens.
Sorties de la semaine du 22 mars 1978
Affiche de La longue nuit de l’exorcisme, de Lucio Fulci (1978) – © Faugère – Film : © 1972 Medusa Distruzione. All Rights Reserved.
Biographies +
Lucio Fulci, Tomás Milián, Irene Papas, Georges Wilson, Marc Porel, Linda Sini, Florinda Bolkan, Barbara Bouchet