Très gros échec commercial à sa sortie, Equus s’inscrit pourtant pleinement parmi les grandes œuvres des années 70 de Sidney Lumet. Déstabilisant et passionnant de bout en bout.
Synopsis : Lors d’un accès de folie, le jeune Alan Strang a crevé les yeux des six chevaux de l’écurie où il travaillait. Martin Dysart, un psychanalyste de renom, est chargé de découvrir les raisons de ce geste. Dysart plonge peu à peu dans l’âme torturée d’Alan, où se mêlent sexe, passion et un secret profondément gardé…
Critique : Au cœur des années 70, le réalisateur Sidney Lumet signe une suite impressionnante de grands films dont Le gang Anderson (1971), The Offence (1973), Serpico (1973), Le crime de l’Orient-Express (1974), Un après-midi de chien (1975) et Network (1976). Cette formidable série de succès critique et public s’interrompt toutefois avec le terrible échec commercial d’Equus (1977) qui n’a guère passionné les foules. Même en France, le long-métrage n’a connu qu’une exploitation ridicule portant ses entrées à 59 752 sur l’ensemble de l’Hexagone, autant dire des miettes à une époque où les résultats au box-office étaient impressionnants. Si les critiques français furent globalement favorables à la proposition de Sidney Lumet, le film est resté entaché d’une sale réputation à cause de son échec public.
Dommage car lorsque l’on se penche sur le travail effectué par le cinéaste, on peut se rendre compte de la qualité extrême de sa transposition à l’écran de la pièce de Peter Shaffer créée en 1973 et déjà interprétée sur scène par le jeune Peter Firth. Tout d’abord, le réalisateur est parvenu à multiplier les lieux afin d’aérer la pièce et d’éviter ainsi au maximum l’impression de théâtre filmé.
Ensuite, il a donné vie aux images mentales du jeune homme, avec beaucoup de sensibilité et sans faire appel à un voyeurisme déplacé, et ceci malgré une nudité masculine frontale. Mieux, le réalisateur déjoue le piège du film psychanalytique en ne créant aucun suspense autour de la maladie mentale présumée du jeune garçon. Ce qui intéresse l’auteur est bien davantage la réaction du médecin, confronté à des interrogations de plus en plus troublantes sur sa propre pratique.
En cela, Lumet s’insère pleinement dans une thématique très en vogue dans les années 70, à savoir que la psychiatrie aurait pour vocation de contrôler les déviances des patients et ainsi de protéger la société de tout élément hors norme. Ainsi, Equus ne met pas tant en question le comportement étrange du jeune homme que le but réel de la psychiatrie comme élément de formatage des individus.
Si l’on peut trouver légitimement cette prise de position comme extrême, elle a tout de même le mérite de questionner le spectateur sur la notion même de normalité ou plutôt de norme sociétale. Le métrage se fait donc écho du formidable mouvement de libération sexuelle de la fin des années 60, tout en l’opposant au maintien de certaines positions rétrogrades, souvent liées aux idées religieuses.
Doté d’une réalisation classique, mais toujours soucieuse de mettre en valeur les personnages, Equus donne l’occasion à Richard Burton de livrer une grande prestation. Peter Firth interprète ici son plus grand rôle, ce qui ne fut sans doute pas aisé pour le jeune homme qui apparaît nu dans de nombreuses séquences. Enfin, le reste du casting est assurément au diapason avec mention spéciale pour Colin Blakely et Joan Plowright dans le rôle des parents du jeune patient, totalement désemparés face à cette situation.
Alors que la pièce a fait grand bruit à l’époque, le film a donc été boudé de manière spectaculaire par le grand public qui ne semble pas avoir été séduit par cette proposition, certes radicale et déstabilisante, notamment lors de la séquence de massacre dans l’écurie. Le métrage est pourtant passionnant de bout en bout, et ceci malgré une durée conséquente et une absence apparente de rebondissements. De la belle ouvrage qui constitue un jalon de plus dans la riche carrière d’un cinéaste décidément à redécouvrir.
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Critique de Virgile Dumez