Kinds of Kindness souffre d’une structure éclatée en trois sketches inégaux et de la tendance de Yorgos Lanthimos à bégayer en revenant sur des thématiques déjà abordées en mieux dans ses œuvres précédentes. Long et assez vain.
Synopsis : Kinds of Kindness est une fable en tryptique qui suit : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie ; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et qu’elle semble une personne différente ; et une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux.
Un film découpé en trois sections égales
Critique : Très rapidement après Pauvres créatures (2023) qui a été entièrement tourné en studio, le cinéaste grec Yórgos Lánthimos a ressenti le besoin de revenir à un tournage plus classique en décors naturels, avec moins d’effets à gérer. Pour cela, il concrétise un projet qui est né en collaboration avec son coscénariste Efthimis Filippou et qui devait initialement développer une seule histoire intitulée And.
Au fur et à mesure des versions, le script a progressivement évolué en un film à sketches développant trois histoires successives interprétées par les mêmes acteurs, mais dans des rôles différents. Ainsi, Kinds of Kindness a peu à peu trouvé sa forme finale qui s’amuse à jouer des correspondances entre chaque histoire, dans le but de déconcerter encore un peu plus le spectateur, déjà malmené par les étrangetés disséminées par les deux complices au sein de leurs intrigues.
50 nuances de soumission
Alors que Pauvres créatures s’emparait de l’histoire de Frankenstein pour dénoncer la soumission de la femme au sein des sociétés passées, tout en adoptant une forme éclatée assez perturbante, Kinds of Kindness assume pleinement le caractère pluriel de son inspiration, mais en traitant finalement du sujet de l’emprise, lui aussi très à la mode en ce moment.
© 2024 Searlight Pictures. All Rights Reserved
Dans le premier sketch, sans doute le plus réussi et le plus fascinant, le cinéaste suit les mésaventures de Jesse Plemons qui décide de s’affranchir de l’influence de son patron incarné par Willem Dafoe. Avec beaucoup d’humour, Yórgos Lánthimos présente ici des personnages qui se révèlent incapables de faire valoir leur libre arbitre et qui dépendent totalement de la volonté de leur supérieur hiérarchique. Le segment peut donc être considéré comme une illustration par l’absurde de la théorie développée par Étienne de La Boétie dans son célèbre Discours de la servitude volontaire (1576). On notera d’ailleurs que le sketch est entièrement dominé par l’interprétation de Jesse Plemons qui se révèle un comédien bien plus fin qu’à l’accoutumée. Rien que pour cela, il mérite son Prix d’interprétation masculine obtenu à Cannes.
Trop peu de passages réellement marquants
Toutefois, ce premier segment qui nous met dans de bonnes dispositions va être suivi par deux autres sketchs tout aussi longs et lents. Ce qui passe au début pour un style dépouillé et épuré finit donc par se muer en une œuvre qui manque furieusement de nerfs et de moments forts. Certes, les différents segments proposent tous leurs moments chocs, mais ils s’avèrent trop éparpillés pour susciter un engouement de chaque instant.
Ainsi, le deuxième sketch a beau proposer quelques passages drôles (pour peu que l’on apprécie l’humour noir et sardonique), on peine à lui trouver un véritable intérêt. Là encore, les questions de soumission et d’emprise sont soulevées, mais sans que la conclusion du segment ne parvienne réellement à faire sens.
Un programme assurément trop long
Enfin, le troisième segment retrouve une certaine cohérence thématique en s’attaquant cette fois-ci à l’emprise religieuse, mais là encore les développements narratifs manquent de mordant pour passionner pleinement. Le sketch souffre également de sa position finale qui rend sa lenteur encore plus difficile à supporter, sachant que cela fait déjà deux heures que le programme a débuté. Sa critique de l’emprise religieuse n’est pas non plus d’une grande finesse et la plupart des personnages s’avèrent assez exaspérants.
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Par son caractère pluriel, Kinds of Kindness tente donc de traiter des rapports humains sous leurs différents aspects de soumission / domination. Certes, la thématique est intéressante, mais le cinéaste a finalement déjà abordé ces différents items dans ses œuvres précédentes et il semble donc tourner en rond avec cet opus assez inutile. Lánthimos a notamment déjà abordé le caractère sectaire de la religion dans The Lobster (2015), tandis qu’il n’a eu de cesse de décrire des mondes clos aux règles absurdes (Canine en 2009).
Une réception cannoise loin de faire l’unanimité
Au final, Kinds of Kindness est sans aucun doute le long métrage le plus faible de son réalisateur depuis bien longtemps, et ceci même s’il ne perd rien de son insolence initiale. Il a sans aucun doute péché par orgueil en tablant sur la résistance du spectateur face à près de trois heures d’un film très lent et uniquement rythmé par des notes de piano discordantes.
Présenté au Festival de Cannes, le film a largement divisé la critique, mais cela n’a pas empêché le jury de voter pour l’acteur Jesse Plemons, effectivement très bon. Sorti dans la foulée à la fin du mois de juin, Kinds of Kindness n’a pas réussi à trouver son public dès son entame. Pour son premier jour, le film à sketches n’a séduit que 6 935 curieux dans 238 salles, soit 30 000 spectateurs de moins que Pauvres créatures, exploité dans un parc de salles similaire. Et ce n’est pas l’aspect déceptif du film qui risque d’inverser la tendance.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 juin 2024
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Biographies +
Yórgos Lánthimos, Willem Dafoe, Margaret Qualley, Emma Stone, Jesse Plemons, Hong Chau
Mots clés
Cinéma américain, Festival de Cannes 2024, Films à sketches, L’emprise au cinéma, Les sectes au cinéma