Canine délivre une histoire perverse gratifiée d’un zeste d’inceste, qui, malgré son sujet déroutant, évite la provocation gratuite. L’objectif est de proposer une réflexion étonnante sur le rôle de l’éducation et des repères culturels dans le bon développement psychologique des enfants.
Synopsis : Le père, la mère et leurs trois enfants vivent dans les faubourgs d’une ville. Leur maison est bordée d’une haute clôture. Les enfants n’ont jamais franchi la clôture. Leur éducation, leurs loisirs, leurs amusements, leur ennui, leur entraînement physique se conforment au modèle imposé par les parents, en l’absence de toute empreinte du monde extérieur. Les enfants pensent que les avions qui volent au-dessus de la maison sont des jouets et les zombies, des petites fleurs jaunes. Une seule personne a le droit de s’introduire chez eux : Christina, qui travaille comme agent de sécurité dans l’usine du père. C’est pour satisfaire les pulsions sexuelles du fils que le père fait venir Christina. Dans la famille, tout le monde l’adore, l’aînée des filles surtout. Un jour, Christina lui offre un serre-tête qui scintille, s’attendant à recevoir quelque chose en retour.
Critique : Canine se construit sur une sorte de fantasme refoulé de bon nombre de parents, celui de garder leurs enfants pour l’éternité et au-delà au sein du foyer familial. Le couple de riches quinquagénaires grec au centre du métrage a réalisé ce rêve. Ils ont élevé leur progéniture à l’insu de tous, dans une somptueuse demeure forteresse, d’où les enfants, aujourd’hui proches de la trentaine, ne sont jamais sortis, de peur d’être attaqués par les monstres imaginaires décrits par leurs parents. De ce postulat de conte, le Grec Yorgos Lanthimos a tiré une œuvre lumineuse et carrée. Le monde que les parents ont bâti pour leurs enfants est structuré par des mensonges et les formes rectangulaires qui dominent chaque plan, celles d’une geôle enchantée.
©2009 Boo Productions, Le Centre du Cinéma Grec, Yorgos Lanthimos, Horsefly Production – © 2017 Potemkine
Canine est le film radical et choc qui révéla Yorgos Lanthimos
Dans une sorte d’éden à cinq, la famille vit dans la verdure et la chaleur d’un jardin d’été, où rares sont les intrusions extérieures. Il y a bien une prostituée que le père ramène de temps à autre pour satisfaire la sexualité du fils au corps d’homme, mais à la mentalité puérile ; il y a bien les avions qui passent au-dessus de la maison très haut dans le ciel, et dont on comprend très vite que pour les trois enfants (deux filles et un garçon) ce sont en fait des jouets (les parents jettent de temps à autres un avion miniature dans la propriété pour justifier leurs passages). Mais dans l’absolu rien d’autre ne franchit cette zone artificielle où la télé ne sert qu’à diffuser des vidéos familiales, où la quasi-totalité des inventions contemporaines n’ont jamais atteint la vue, ni même la connaissance des jeunes gens, et où le chat est considéré avec terreur comme la créature maléfique qui a tué un frère aîné.
Étouffant, malaisant, pervers
Le cadre étouffant de huis clos (seul le père part tous les jours en voiture pour aller travailler et ramener les choses extraordinaires du monde extérieur) est cependant rarement malsain malgré la perversité intrinsèque à l’histoire. Les jeunes adultes qui ont grandi sous cloche ont gardé leur âme d’enfant, cette naïveté cruelle sous laquelle bouillonne une violence latente. Mais avec ce genre de récit de dingue, peuplé de fous comme on aimerait en voir qu’au cinéma (l’idée de départ nous rappelle certains faits divers sordides de ces derniers mois), le pire est toujours à craindre. Le ton clinique à la Bruno Dumont ou à la Haneke laisse redouter un ultime soubresaut dans la provocation. Mais finalement le cinéaste s’abstient, préférant au drame et au déchaînement de brutalité la finesse d’une comédie cynique et tortueuse dont on ressort un peu secoué, mais pas totalement traumatisé.
Canine est le film de la révélation pour Yórgos Lánthimos qui finira dix ans plus tard multi-nommé aux Oscars, malgré la radicalité de son œuvre.