Killers of the Flower Moon s’attaque à la mauvaise conscience américaine quant à la spoliation des biens amérindiens, mais la tragédie pâtit d’une durée inutilement étirée qui convoque parfois l’ennui au sein d’une intrigue diluée à l’excès.
Synopsis : Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre…
Martin Scorsese se penche sur le sort des Amérindiens
Critique : Dès la sortie du livre-enquête La note américaine écrit en 2017 par le journaliste David Grann, le cinéaste Martin Scorsese se déclare intéressé par une adaptation au grand écran. Ainsi, l’auteur aux origines italiennes veut donner une résonnance encore plus importante à cette terrible histoire de spoliation des biens de la tribu amérindienne des Osages. Prévue depuis 2017, la production d’une telle œuvre qui nécessitait un budget conséquent n’a eu de cesse d’être repoussée, notamment à cause de la pandémie de la Covid-19.
Finalement, le tournage a pu se dérouler durant les sept derniers mois de l’année 2021 pour une sortie placée à la fin de 2022. Mais là encore, les studios Paramount et Apple ont préféré repousser la sortie du long-métrage d’un an, afin de mieux finaliser la post-production et de profiter également de la formidable chambre d’écho que pouvait être une présentation hors compétition au Festival de Cannes 2023.
Scorsese retrouve ses deux acteurs fétiches
Après ces nombreux rebondissements, Killers of the Flower Moon se présente donc enfin au grand public au mois d’octobre 2023 dans une durée assez exceptionnelle de 3h26min. Très largement soutenu par la presse, mais aussi par une grande partie du public, le long-métrage bénéficie d’échos très favorables qui a aiguisé les appétits face à une œuvre que l’on nous vend comme l’ultime chef d’œuvre du réalisateur.
© Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Il faut dire que Martin Scorsese a mis tous les atouts dans sa manche en réunissant devant sa caméra ses deux acteurs fétiches. Robert De Niro fut effectivement l’alter ego du réalisateur durant les années 70-80 avec neuf longs en commun, dont une poignée de classiques (Taxi Driver, Raging Bull, Les affranchis, Casino). De son côté, Leonardo DiCaprio est devenu le chouchou du cinéaste ces vingt dernières années avec pas moins de cinq collaborations, là aussi avec son lot de belles réussites (Gangs of New York, Aviator, Les infiltrés, Shutter Island, Le loup de Wall Street). On attendait donc avec impatience la confrontation des deux monstres sacrés devant la caméra de leur mentor. De plus, le sujet du film est particulièrement dans l’air du temps, avec sa volonté de dénoncer les dérives du passé des Etats-Unis.
Une exposition réussie, suivie d’une deuxième heure inutile
Killers of the Flower Moon débute sous les meilleurs auspices avec des séquences majestueuses qui nous présentent cette petite ville d’Oklahoma qui connaît un boom pétrolier permettant l’enrichissement rapide de la communauté amérindienne des Osages. L’ajout de plusieurs photographies d’époque vient renforcer l’aspect historique du film, tandis que la présentation des personnages est effectuée de manière classique, mais efficace. Très rapidement, le spectateur comprend que les protagonistes principaux – à savoir le jeune héros de guerre incarné par DiCaprio et son oncle interprété par De Niro – tendent un miroir peu flatteur à la population blanche américaine. Ainsi, leur but est d’instrumentaliser les Amérindiens pour mieux les trahir et les spolier de leur héritage.
Dès lors, Martin Scorsese décrit durant près d’une heure et demie les manœuvres frauduleuses, voire franchement mafieuses, de ces gens qui n’ont que l’argent en ligne de mire, peu importe les dommages humains collatéraux. On retrouve donc ici la passion de Scorsese pour ces mécanismes de la manipulation afin d’obtenir le pouvoir. Dans ce contexte historique, cela est bien entendu intéressant. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que le cinéaste aurait largement pu élaguer cette partie afin d’alléger son film et d’éviter cette durée déraisonnable.
En réalité, au bout d’une heure de film, le spectateur a parfaitement compris où l’auteur veut en venir et nombre de scènes semblent parfaitement inutiles à la bonne compréhension de l’intrigue ou même à l’évolution des personnages. On peut également s’étonner de la facilité avec laquelle certains protagonistes se laissent manipuler par le potentat local dont on sent la traitrise à vue d’œil. S’ensuit donc un ventre mou au cœur du film car l’intrigue semble ne plus avancer et ressasser les mêmes idées et arguments.
Une dernière heure plus réussie, même si sans grande nuance
Heureusement, la dernière heure vient restaurer l’intérêt du spectateur, même si le volet punitif est là aussi trop attendu dans ses développements. Dans cet épilogue plus dramatique, Leonardo DiCaprio perd également toute forme de subtilité dans son jeu et semble contraint à froncer les sourcils et à serrer la mâchoire en permanence. De même, Robert De Niro retrouve certains tics d’expression qu’il avait su gommer dans la première partie du film. Au milieu de ces monstres sacrés, les autres acteurs ont tendance à faire quelque peu de la figuration et personne ne ressort vraiment si ce n’est le jeu sobre et digne de l’Amérindienne Lily Gladstone.
Réalisé avec talent par un cinéaste passé maître dans la gestion de l’espace, Killers of the Flower Moon demeure pourtant étonnamment sobre dans son approche du drame. Si le réalisateur s’autorise quelques plans-séquence virtuose, il ne fait pas vraiment étalage de son brio formel et son drame historique semble un peu figé dans un certain classicisme. Très proche sur le plan sonore de son magnifique Silence (2016), Killers of the Flower Moon a été vraiment conçu comme un requiem envers un peuple natif de l’Amérique. Alors que son constat est accablant pour le peuple américain WASP, Scorsese a opté pour la sobriété de la tragédie qu’il préfère aux tonnerres du mélodrame. Choix assurément judicieux sur le plan intellectuel, mais qui s’accorde difficilement avec une durée aussi imposante. Ainsi, il n’est pas interdit de s’ennuyer durant la projection de ce film fleuve qui enfonce régulièrement des portes ouvertes.
Killers of the Flower Moon est bel et bien un film intéressant à voir sur un grand écran, mais il aurait assurément gagné à être raccourci, ce qui lui aurait octroyé une puissance supplémentaire, au lieu de diluer inutilement son propos.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 octobre 2023
© Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Biographies +
John Lithgow, Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Martin Scorsese, Jesse Plemons, Brendan Fraser, Lily Gladstone, Tantoo Cardinal
Mots clés
Festival de Cannes 2023, Drame historique, La manipulation au cinéma, Le racisme au cinéma