Film choc des années 80, Henry, portrait of a Serial Killer marque par sa froideur et son ambiance poisseuse, sublimée par l’interprétation glaçante de Michael Rooker. Inégal par la pauvreté de ses moyens, mais marquant.
Synopsis : Hanté par une enfance martyre, Henry Lee Lucas tue. La seule manière pour lui de se libérer de ses démons. Avec la complicité de Otis Toole, il écume les routes des Etats-Unis, choisissant ses victimes au hasard…
La vie quotidienne d’un tueur en série, tournée comme un documentaire
Critique : Vers 1984, le jeune cinéaste John McNaughton réalise et produit plusieurs petits documentaires putassiers sur des sujets trash dans sa ville natale de Chicago. Alors qu’il envisage le tournage d’un nouveau documentaire, il choisit d’utiliser le maigre budget qui lui est alloué par Malik B. Ali et Waleed B. Ali de Maljack Productions, soit 111 000 $ (environ 300 000 $ au cours du dollar de 2022) pour réaliser son tout premier film de fiction. Afin de limiter les risques, McNaughton opte pour un film d’horreur qu’il traite de manière documentaire.
Pour cela, il s’inspire librement du parcours présumé des tueurs Henry Lee Lucas et Ottis Toole et livre avec Henry, portrait of a Serial Killer (1986) une œuvre glaçante qui bénéficie justement de son manque flagrant de moyens pour lui donner un aspect documentaire frappant. Certes, le cinéaste n’est pas novateur dans sa façon d’aborder la psyché d’un tueur en série puisque Psychose (Hitchcock, 1960), Maniac (Lustig, 1980) et Schizophrenia (Kargl, 1983) s’en sont déjà chargés avant lui. Cependant, McNaughton est toutefois le premier à limiter au maximum les effets de caméra afin de donner une impression d’immersion totale dans le quotidien de personnages banals.
Un pur concentré de cinéma white trash
Afin de ne pas jouer sur le suspense, le cinéaste présente dès le début un nombre conséquent de victimes du tueur qui semblent poser comme des statues de cire, telles des œuvres d’art démentielles. Puis, nous suivons les pas de cet individu qui ne semble pas se distinguer de la masse du petit peuple américain. L’ambiance s’apparente à ce que l’on appelle white trash, puisque les différents protagonistes vivent dans des taudis malfamés et insalubres. Pour renforcer cet aspect sordide, la photographie de Charlie Lieberman insiste sur des tonalités éteintes, des couleurs froides, tandis que les décors suintent la pauvreté et la crasse.
© 1986 Maljack Productions / Conception graphique : © 1992 René Chateau. Tous droits réservés.
Lorsque le cinéaste décrit son trio de personnages, il n’hésite pas à avoir recours à une caractérisation outrancière. Si Henry – excellent Michael Rooker – apparaît presque comme le plus normal des protagonistes, on peut saluer aussi l’interprétation naturelle de Tracy Arnold en jeune femme éprise d’un anti-héros. Mais celui qui obtient la palme de l’ignominie est finalement le complice nommé Otis incarné avec conviction par Tom Towles. Là où Henry tue par habitude et pulsion destructrice, Otis est davantage libidineux. Son rapport à la mort des autres est ici lié inextricablement à une sexualité exubérante. Alors qu’il drague les jeunes hommes dans des voitures – le vrai Ottis, avec deux t, avait même une relation avec Henry Lee Lucas – ce monstre s’en prend aussi à sa propre sœur et semble même tenté par la nécrophilie.
De l’art de l’épure pour maximiser l’ambiance sordide
Conscient de la noirceur extrême de son propos, John McNaughton a limité au maximum les séquences sanglantes et Henry, portrait of a Serial Killer n’est aucunement un sommet en matière de violence graphique. Ici, tout est plutôt question d’atmosphère, ce qui est renforcé par l’excellente partition musicale au synthétiseur signée Robert McNaughton. Celle-ci établit dès les premiers instants une ambiance lourde et menaçante qui prend le spectateur et ne le lâche plus jusqu’à la fin. Finalement, on pourrait davantage rapprocher le long-métrage des futures expérimentations de Michael Haneke sur des films comme Benny’s Vidéo (1992) et surtout Funny Games (1997).
La particularité d’Henry, portrait of a Serial Killer (1986) est donc d’ancrer l’existence de monstres ordinaires dans le quotidien des Américains. De quoi glacer les sangs de la censure américaine qui a rechigné à laisser le film sortir. Il a fallu le soutien de Chuck Parello pour que le long-métrage soit programmé au Festival de Chicago le 24 septembre 1986. A partir de là, le métrage a mis du temps à s’imposer à cause de sa trop grande violence. Il a été ensuite programmé en septembre 1989 aux festivals de Boston, puis de Telluride, avant d’obtenir une sortie limitée au mois de janvier 1990.
Un culte grandissant au cours des années 90
En France, il a fallu attendre 1991 pour que le métrage soit projeté au Festival d’Avoriaz lors d’une séance de minuit. Dans la foulée, le distributeur Pierre Grise Distribution le programme dans quelques salles à partir du mercredi 6 mars 1991, avec un bel écho dans la presse. L’interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement ne l’affecte guère au vu du circuit art et essai où il est diffusé. L’éditeur René Chateau sent venir la bonne affaire et diffuse à partir de 1992 une VHS dans sa collection mythique « Les Classiques de l’horreur et de l’épouvante ».
© 1986 Maljack Productions Illustration exclusive pour l’édition 4K © Arrow Vidéo : Eric Adrian Lee. All Rights Reserved.
Petit à petit, un culte prend corps. Le film est même parodié par des Belges avec C’est arrivé près de chez vous (Belvaux, Bonzel, Poelvoorde, 1992), tandis qu’une suite est opportunément mise en chantier par Chuck Parello. Henry, portrait d’un serial killer 2 (Parello, 1996) n’arrive pourtant à aucun moment à la cheville de son modèle et échoue directement dans les bacs vidéo à bas prix.
Une reprise cinéma en 2013 et plusieurs éditions vidéo ont entretenu le culte
Le long-métrage choc débarque dès 2002 en DVD dans une édition au rabais chez Opening, où l’on traduit pour la première fois le titre en Henry, portrait d’un serial killer. Depuis, ce titre francisé a été repris à chaque diffusion du film dans nos contrées. Il a aussi fait l’objet d’une restauration et d’une reprise en salles en 2013 par les bons soins du petit distributeur Tanzi Distribution. Au cours des années 2010, Filmedia, puis Movinside éditent un DVD collector deux disques respectivement en 2014 et 2018. Toutefois, c’est Carlotta qui dégaine le premier blu-ray du long-métrage en 2021, preuve que le métrage underground est devenu un pur objet de culte pour cinéphiles avertis. Une vraie consécration pour une œuvre inégale, mais effectivement marquante par son ambiance poisseuse.
Critique de Virgile Dumez