Sorti en 2000 dans un triomphe quasi absolu, Gladiator fut rapidement considéré comme la résurrection d’un genre qui avait fait, pendant longtemps, la gloire de Hollywood : le péplum. Vingt ans après, que penser du plus gros succès de la carrière de Ridley Scott ?
Synopsis : Le général romain Maximus est le plus fidèle soutien de l’empereur Marc Aurèle, qu’il a conduit de victoire en victoire avec une bravoure et un dévouement exemplaires. Jaloux du prestige de Maximus, et plus encore de l’amour que lui voue l’empereur, le fils de MarcAurèle, Commode, s’arroge brutalement le pouvoir, puis ordonne l’arrestation du général et son exécution. Maximus échappe à ses assassins mais ne peut empêcher le massacre de sa famille. Capturé par un marchand d’esclaves, il devient gladiateur et prépare sa vengeance.
Critique : Le péplum – genre de la démesure par excellence – ne pouvait qu’être apprécié de Hollywood, qui a assuré sa longévité par la mise en chantier de projets toujours plus monumentaux les uns que les autres, et ce, dès le début du 20e siècle. Pourtant, le long-métrage qui a initié le genre, et ce n’est que justice, est italien. En troquant les toiles peintes pour des décors en dur, en faisant appel à une figuration pléthorique, en inventant rien de moins que le travelling, armé d’un budget conséquent et de six mois de tournage, Giovanni Pastrone dévoile Cabiria en 1914, un film historique fastueux et gigantesque, dont découleront directement les Dix commandements de Cecil B. DeMille (1923), Ben Hur, de Fred Niblo (1925), ou Cléopâtre (DeMille, 1934), et plus largement les œuvres hyperboliques de Griffith (Intolérance, 1916) ou Gance (Napoléon, 1927). Jusqu’aux années 70, Hollywood exploite largement le filon, avec moult faits d’armes (initiation du CinemaScope avec La Tunique en 1953, quasi-banqueroute de la 20th Century Fox avec la production tumultueuse et très coûteuse du Cléopâtre de Mankiewicz). La fin progressive du Hollywood des studios voit ces films diminuer comme peau de chagrin dans les années 60 – l’industrie cinématographique italienne allait s’en mordre les doigts –, jusqu’à l’immense succès de Gladiator à l’aube du nouveau millénaire, qui se mesurait à un historique particulièrement chargé. L’heure de la renaissance avait-elle enfin sonné ?
(c) United International Pictures
À la fin des années 90, il n’y a pas que le péplum qui est à la peine : Ridley Scott, dont les trois dernières réalisations (1492, Christophe Colomb, Lame de Fond et A armes égales) ont été des échecs financiers, ne parvient pas à monter le très ambitieux – et très onéreux – Je suis une légende, qui verrait Arnold Schwarzenegger se confronter à des vampires dans un Los Angeles dévasté. C’est alors que DreamWorks, le studio fondé par Steven Spielberg, l’approche pour la mise en scène d’un script de David Franzoni (Amistad), directement inspiré de la nouvelle Ceux qui vont mourir de Daniel P. Mannix et de l’Histoire d’Auguste, œuvre latine datant du 4e siècle et s’épanchant sur la vie d’empereurs romains. Ridley Scott, en acceptant le poste, s’intéresse moins au scénario qu’à la transposition d’un tableau pompier (Pollice Verso) qui lui a tapé dans l’œil. Se lançant dans la production, il embauche une bonne partie de l’équipe anciennement dévolue à son adaptation du roman de Richard Matheson. La machine est lancée, et elle sera longue mais pavée de succès. Le scénario est sans cesse remanié, le tournage se fait sur trois lieux différents et l’acteur Oliver Reed a la mauvaise idée de mourir avant la fin de ses prises de vue, ce qui coûta 3 millions de dollars en effets spéciaux. La sortie triomphante, à la fois publique et critique, valut à Russel Crowe un Oscar et sa notoriété. Depuis, le long-métrage est régulièrement cité dans les listes des meilleurs films des années 2000, et a relancé – temporairement – la mode du péplum (de Troie jusqu’au Ben-Hur de Timur Bekmambetov, en passant par le biblique Exodus – Gods and Kings, qui enterreront une nouvelle fois le genre dans le sable).
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Le réalisateur d’Alien et de Blade Runner saura-t-il, comme lorsqu’il est à son meilleur, et bien entouré, rendre l’âme au péplum, comme il avait su laisser bouche bée avec la science-fiction ? Lorsque les logos s’effacent, et que la musique gronde, épique, les poils se dressent, la sensation est intense, profonde, remue, et distille un parfum tragique de romanesque antique. On est déjà acquis à la cause du film, lorsque se dessinent les premières images. Une main effleure des épis de blé. Puis Maximus apparaît (il n’est pas encore l’évidente retranscription du Spartacus de Kubrick), face à un corbeau, dans un champ désolé, près d’une forêt. Ce général romain prépare un assaut contre une horde de Germains. C’est du moins ce qu’il explique à son second, dans une première scène de dialogue où commencent à transparaître de sérieux écueils, qui se vérifieront dans l’entièreté du métrage.
Après un court dialogue d’une platitude affolante, où les protagonistes semblent avoir été filmés à l’aide d’une demi-douzaine de caméras, les valeurs de plans s’enchaînent sans logique aucune, dans un laps de temps pourtant resserré. Souhaitant faire grimper la pression de plusieurs crans, la scène se poursuit sur le rythme implacable de la bande-son (admirable), et voit Maximus haranguer une foule de cavaliers cachés dans la forêt et censés prendre à revers la crapule germanique, dont il prend la tête après ce discours tristement pataud et rabâché, qui, hélas, ne prend pas. Alors, la rixe commence. Dans les nombreux mouvements de caméras, gigotant dans l’espoir de transmettre au spectateur une tension qui n’existe pas dans la composition des cadres, elle brouille tout ce qui se passe à l’image. Et le spectateur, incompréhensif devant une chorégraphie pourtant impressionnante sur le papier – et le récit du tournage montre qu’elle le fut – de demeurer en dehors des festivités, aucunement pris dans la folie guerrière brouillonne. Même la formidable composition musicale illustre sans harmonie un visuel peu sensoriel.
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Et le long-métrage est tout entier à cette image : frustrant, même si surnagent çà et là quelques moments (la reconstitution d’une bataille antique au sein d’une arène), et que les efforts fournis par l’équipe technique du film font, la plupart du temps, merveille. La bande originale est signée Hans Zimmer, collaborant avec Lisa Gerrard (qui venait d’ailleurs de travailler sur la partition de Révélations, le polar de Michael Mann mettant en scène un certain Russell Crowe), et est à elle seule l’atout du péplum de Ridley Scott, qui n’était visiblement guère inspiré dans la réalisation (sans relief aucun), la direction des acteurs (inégale) ou le montage (qui relie tant bien que mal des plans confus). Le scénario est à l’avenant d’une si maigre inspiration : il reprend des poncifs éculés (la trame générale est celle d’un film antique très sommaire), et enrobe le tout dans des dialogues pour le moins insipides, rendant certaines scènes plus que décevantes (le face-à-face entre Marc Aurèle et son fils). Si Joaquin Phoenix est assez supportable dans le rôle de l’engeance colérique de l’empereur, on ne comprend pas trop, par contre, comment le monolithique et bourru Russell Crowe, qui oscille et ne sait trop quelle émotion donner à son faciès à la barbe joliment taillée, a pu séduire ainsi l’Académie.
Le cinéaste anglais n’a plus ici la méticulosité du passionné, ni la volonté de remettre au goût du jour un cinéma grand angle et majestueux. Il préfère adapter une histoire antique à des techniques de prises de vue contemporaines (multiplicité des angles de prise de vue, caméra à l’épaule), et n’apporte pas la grandeur nécessaire qui sied au genre.
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Le succès de Gladiator permettra toutefois à son metteur en scène de renouer avec le succès, et de continuer à tourner à la cadence élevée qu’il affectionne. Les 457 millions de dollars récoltés dans le monde entier donneront bien sûr des envies de suite à leurs auteurs, et c’est pourquoi on évoque souvent, depuis 2017, une prolongation des frasques de feu Maximus, toujours incarné par Crowe avec Scott aux commandes (ce dernier étant au pic de sa fringale de suites tardives, entre Alien – Covenant et Blade Runner 2049). En novembre 2018, la Paramount donnait le feu vert à Gladiator II, rapportait Deadline, et l’intrigue aurait été centrée sur Lucius, neveu de Maximus dans le premier film. Une expectative peu alléchante – dont on n’a pas eu vent depuis cette annonce. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on entend parler d’une suite : en 2013, le chanteur des Bad Seeds, Nick Cave, révélait le contenu d’un script que Russell Crowe lui avait demandé de rédiger, en vue de mettre en scène un second acte à la « vie » de Maximus. Celui-ci se nommait Gladiator : le tueur du Christ. Cave imaginait l’âme de l’ancien général se rendre au purgatoire, où il rencontre les dieux de l’Antiquité, qui se meurent par la faute de l’arrivée de Jésus-Christ sur Terre. Ceux-ci donnent une mission au gladiateur décédé : envoyer ad patres Jésus de Nazareth et les siens. Mais – attention, révélation d’importance – les dieux avaient menti au personnage joué par Russell Crowe, et l’on découvrait que le Messie était en fait le fils de Maximus. Ce que Nick Cave lui-même qualifiait de « chef-d’œuvre » se concluait par une scène de bataille dantesque de vingt minutes où devaient se télescoper toutes les guerres de l’Histoire, jusqu’à celle du Vietnam. Maximus, lui, devenait un guerrier éternel.
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Critique : Jean-Paul de Harma