Réponse est-allemande au 2001 de Stanley Kubrick, Eolomea souffre d’une réalisation pataude et d’un scénario bêtement propagandiste, et ceci malgré des acteurs corrects et des effets spéciaux performants. L’ennui s’invite trop souvent durant la projection.
Synopsis : Dans un futur proche, les hommes ont colonisé la Lune et d’autres étoiles. La station Margot est le centre de relais le plus important de ces colonies. Un jour, huit astronefs partis en exploration disparaissent, et la liaison avec la station est rompue. Après avoir reçu un message codé déclarant « Eolomea », le professeur Maria Scholl, représentant le Conseil Suprême, ordonne un couvre-feu pour tous les vaisseaux, et se rend elle-même sur Margot pour découvrir ce qui se passe.
Quelque part entre 2001, l’odyssée de l’espace et Solaris
Critique : Au début des années 70, le cinéma de science-fiction connaît une reconnaissance internationale grâce à quelques œuvres majeures comme 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), tandis que l’actualité rend tangible ces aventures spatiales puisque l’homme est parvenu à s’arracher du globe terrestre depuis une petite décennie. N’oublions pas que cette course à l’espace est aussi un terrain de jeu particulièrement important dans la guerre froide que se livrent les Etats-Unis capitalistes et l’URSS communiste.
Face au triomphe rencontré par le space opera de Kubrick, le bloc de l’Est ne pouvait pas rester les bras croisés. Ainsi, les autorités soviétiques ont mis en chantier le génial Solaris (Andrei Tarkovski, 1972) dont la dimension métaphysique correspond bien aux prétentions du film américain. Par ailleurs, les autorités est-allemandes de la RDA ont commandé également quelques longs métrages de ce type. Parmi eux, on peut citer bien entendu Signal : Une aventure dans l’espace (Gottfried Kolditz, 1970), une coproduction entre la DEFA et la Pologne et notre Eolomea (Herrmann Zschoche, 1972).
Un gros budget pour une production de prestige
Avec ce dernier film, la DEFA (Deutsche Film AG, compagnie d’Etat est-allemande) s’est associée à Mosfilm (firme d’Etat soviétique), ainsi qu’à la firme nationale bulgare Kinotsentar ”Boyana” située à Sofia. Il s’agissait pour les trois entités de réunir le budget suffisant pour tenter d’égaler les prouesses de Kubrick en matière d’effets spéciaux. Pour être certain d’obtenir un résultat satisfaisant, les commanditaires confient la réalisation à Herrmann Zschoche que l’on peut considérer comme un technicien consciencieux, mais contrôlable depuis qu’il a vu l’un de ses films précédents interdit de diffusion – il s’agissait du drame Karla en 1965.
La coproduction se dote également d’un casting international avec dans le rôle féminin principal une comédienne néerlandaise installée en RDA (charismatique Cox Habbema), un acteur bulgare populaire dans son pays (correct Ivan Andonov) et même un grand acteur de théâtre allemand (excellent Rolf Hoppe). Enfin, le soviétique Vsevolod Sanaev complète un casting décidément très international. Le tournage lui-même a eu lieu entre les plages bulgares au bord de la mer Noire – pour figurer les Galapagos dont rêve le héros – et les studios de Babelsberg, fief de la DEFA, près de Potsdam.
Vers l’infini (communiste) et au-delà…
Le scénario d’Eolomea est issu de l’imagination de l’écrivain Angel Wagenstein et débute par la disparition mystérieuse de plusieurs vaisseaux spatiaux aux abords d’une station orbitale. Dès lors, plusieurs scientifiques cherchent d’abord à comprendre le phénomène, avant qu’un pilote aventurier ne soit dépêché sur place pour mener l’enquête. Le début du long métrage rappelle le point de départ du Solaris de Tarkovski, avec notamment un mystère situé dans l’espace obligeant de nombreux scientifiques à échanger leurs points de vue sur la situation.
Malheureusement, le film de Herrmann Zschoche n’atteint jamais les sommets tutoyés par le génial cinéaste soviétique. Dès le départ, les échanges entre scientifiques ennuient profondément par le fait d’une réalisation très conventionnelle faite de champs et contrechamps. Une fois les personnages présentés, l’action n’est jamais trépidante puisque la plupart des scènes de suspense sont éludées par des ellipses, pour être finalement narrées par les protagonistes. On sent donc à chaque instant les limites de cette production qui n’a pas les moyens de ses ambitions narratives.
De belles maquettes et quelques scènes psychédéliques sauvent de l’ennui abyssal
Certes, les maquettes et autres scènes censées se dérouler dans l’espace sont plutôt convaincantes pour peu que l’on accepte l’aspect artisanal de l’entreprise, mais le plus gros défaut vient de l’absence de tension insufflée par un réalisateur visiblement peu intéressé par la science-fiction. En fait, Herrmann Zschoche – qui s’est surtout illustré dans un cinéma de l’intime – paraît bien plus à l’aise quand il traite les scènes se déroulant sur Terre entre les deux héros amoureux. Il use même d’effets psychédéliques originaux dans ce type de production, ainsi que d’un montage cut qu’il aurait dû utiliser aussi durant les moments plus trépidants.
Toutefois, le pire ne vient pas tant de la forme d’Eolomea que du discours communiste qui semble entièrement dicté par les pontes du Parti. Sans vouloir divulgâcher le film, on peut simplement vous prévenir que le mystère n’est aucunement dramatique, mais entend au contraire chanter le bonheur à venir dans un univers qui serait entièrement communiste. Cette croyance farouche en un avenir radieux rend le film assez vain, et surtout inintéressant puisque dépourvu d’enjeu véritable.
Si l’on excepte une partition musicale psychédélique plutôt sympathique signée Günther Fischer (entre free jazz et rock progressif) et des acteurs de très bonne tenue, Eolomea s’avère être un spectacle fort ennuyeux de bout en bout, alors même que sa durée est excessivement courte. Sachez en tout cas que dans l’espace, personne ne vous entendra bâiller. D’ailleurs, le film est resté inédit en salles en France. Désormais, il est à découvrir dans la collection SF Vintage de l’éditeur Artus.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le film en combo DVD/ Blu-ray / Livre
Biographies +
Herrmann Zschoche, Cox Habbema, Ivan Andonov, Rolf Hoppe
Mots clés
Cinéma allemand, Cinéma soviétique, Les films de SF des années 70, Les films de SF métaphysiques, L’espace au cinéma