Dans l’ombre de Manhattan fait partie des bons films tardifs de Sidney Lumet, porté par une écriture mature et nuancée, mais desservi par une réalisation un peu trop télévisuelle. Le métrage vaut pourtant le coup d’œil pour son analyse pertinente de la relativité de la justice humaine.
Synopsis : Sean Casey, fils de policier, qui a lui-même porté l’uniforme pendant plusieurs années, vient d’acquérir les diplômes ouvrant la voie à une carrière de procureur. A trente-trois ans, ce modeste substitut possède un avantage sur ses jeunes collègues : la connaissance de la rue. Débutant zélé, il ne lui faudra que quelques semaines pour comprendre que la justice est souvent en panne. Pendant ce temps, son père a retrouvé la trace du plus dangereux dealer de Manhattan, que trois commissariats se disputent l’honneur d’arrêter.
Sidney Lumet aborde une fois de plus le thème de la justice
Critique : Au cours des années 90, le réalisateur Sidney Lumet a connu plusieurs échecs artistiques et commerciaux, notamment lorsqu’il a cherché à coller à la mode du moment. Ses bons films sont ceux qui abordent des thématiques qui lui sont chères. Parmi les bonnes surprises de ces années de vaches maigres, Dans l’ombre de Manhattan (1996) s’inscrit parfaitement dans l’œuvre du maître américain. Tout d’abord, il retrouve ici l’écrivain Robert Daley qu’il a déjà adapté au cinéma avec Le Prince de New York (1981) qui évoquait déjà la corruption de la police de New York. Cette fois-ci, il s’est attaqué au roman Trafic d’influence publié en 1993, dont il a modifié plusieurs éléments, faisant notamment de l’héroïne un homme interprété par Andy Garcia.
Avec Dans l’ombre de Manhattan, Sidney Lumet retrouve une thématique qui innerve l’intégralité de son cinéma depuis son premier chef d’œuvre 12 hommes en colère (1957), à savoir la relativité de la justice humaine. Loin de proposer une œuvre commerciale basée sur l’efficacité, Sidney Lumet continue à parier sur l’intelligence du spectateur et livre une œuvre de la maturité où les personnages ne sont ni bons, ni mauvais, mais évoluent dans une zone grise qui est celle de la vie de tous les jours. Pour Lumet, il n’est donc pas question de coller à la mode du moment (le polar trash à la Seven de Fincher), mais bien de continuer à développer son propre cinéma adulte, destiné à un public capable de s’investir dans une œuvre plus lente et contemplative.
De la corruption au cœur du système judiciaire américain
Si le début du film propose bien une première scène d’action efficace, la suite investit surtout les bureaux des tours de Manhattan, ainsi que les salles d’audience des procès. Ainsi, le cinéaste décrit la justice de son pays de manière éclairante, démontrant les nombreuses failles d’un système reposant sur des luttes d’influence. Rappelons que les charges de procureur sont électives et que cela entraîne nécessairement l’intrusion de la politique au cœur de la justice. Le script suit donc les premiers pas du jeune procureur interprété avec autorité par Andy Garcia. Ce dernier va petit à petit découvrir la corruption qui mine la police, impliquant peut-être son propre père (excellent Ian Holm).
Toutefois, la grande force de ce drame judiciaire est de ne jamais juger les personnages et de démontrer que nous sommes tous faillibles et corruptibles en fonction des circonstances. Véritable novice qui va faire son apprentissage de la relativité des idéaux, le procureur va peu à peu déchanter et devoir s’adapter aux réalités du terrain. Pour cela, l’intrigue prend son temps pour respecter la psychologie des différents protagonistes. Le long-métrage est donc surtout intéressant par sa justesse d’écriture.
Dans l’ombre de Manhattan arbore un petit air de téléfilm
Parmi les défauts notables, on signalera tout d’abord la présence dans le rôle féminin principal de l’actrice suédoise Lena Olin, toujours en manque d’incarnation à l’écran. Sans doute conscient de la faiblesse de son actrice, Sidney Lumet a tout de même limité son temps de présence, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Ensuite, on peut reprocher au réalisateur de ne pas avoir fait beaucoup d’efforts sur le plan formel. Malheureusement, Dans l’ombre de Manhattan s’apparente trop souvent à un simple téléfilm sur le plan visuel. Cette tendance du cinéaste à délaisser la forme s’est véritablement accentuée dans les années 90 et vient donc tempérer nos ardeurs face à une œuvre qui méritait vraiment un peu plus d’implication sur le plan purement technique.
Démodé avant même sa sortie, Dans l’ombre de Manhattan ne pouvait guère espérer s’imposer auprès du grand public américain. Avec 9,8 M$ de recettes, le métrage fut un échec qui confirmait une fois de plus la mauvaise passe du réalisateur, ainsi que celle d’Andy Garcia qui enchaînait les bides en cette deuxième moitié des années 90.
Un échec commercial international
A Paris, le film est sorti le 10 septembre 1997 dans une combinaison limitée de sept salles pour un résultat minimal de 8 491 entrées en une semaine pour une 15ème place peu affriolante. Il faut dire que c’est le Volte / Face de John Woo qui mobilisait le grand public pour un spectacle bien plus en phase avec son époque. Face à un tel désintérêt, le film a été retiré de l’affiche après avoir attiré 14 401 Franciliens.
Sur l’ensemble de la France, Dans l’ombre de Manhattan n’a guère fait mieux en arrivant à la 20ème place du classement hebdomadaire la semaine de sa sortie avec 13 210 juristes. Là encore, les exploitants ont préféré se débarrasser du film qui a rapidement achevé sa carrière avec 22 547 clients. Un désaveu total qui confirmait celui du grand public américain. Par la suite, le film a tout de même été édité en VHS et en DVD, mais il n’existe toujours pas de galette bleue du film en France, faute d’un public pour une œuvre qui est pourtant bien plus intéressante qu’elle n’en a l’air de prime abord. Une injustice réparable désormais en VOD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 septembre 1997
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Sidney Lumet, Colm Feore, Vincent Pastore, Bobby Cannavale, Richard Dreyfuss, Lena Olin, Richard Bright, Ian Holm, Andy Garcia, Jim Moody, James Gandolfini
Mots clés
Les flics corrompus au cinéma, Les tueurs de flics, Film de procès, Les flops de 1997