Comment tuer un juge est un film politique pertinent qui renvoie dos à dos les extrêmes pour tenter de faire ressortir la vérité des faits évoqués. Le tout est magnifiquement servi par Franco Nero et Françoise Fabian. A découvrir.
Synopsis : Un cinéaste décide de mener l’enquête sur la mort d’un juge sicilien, survenue dans des circonstances identiques à une scène de son dernier film.
Un autoportrait de Damiano Damiani ?
Critique : Grand spécialiste du film de dénonciation politique, le réalisateur italien Damiano Damiani a déjà signé quelques œuvres majeures comme Confession d’un commissaire de police au procureur de la République (1971) et Nous sommes tous en liberté provisoire (1971), tous deux avec son acteur-fétiche Franco Nero, lorsqu’il aborde une nouvelle fois le genre avec Comment tuer un juge (1975). Pour l’occasion, il fait de l’acteur son alter ego puisque Franco Nero incarne un cinéaste qui vient de signer une œuvre polémique mettant en cause de manière détournée un haut magistrat qu’il accuse d’être de connivence avec la mafia.
Autant dire que Damiano Damiani s’est donc projeté dans son œuvre en réfléchissant sur sa propre action au cœur d’une société italienne minée par ce que l’on appelé les années de plomb. Il insiste notamment sur la responsabilité d’un artiste, mais aussi sur celle des journalistes qui ont à cœur de jeter à la vindicte populaire certaines personnalités influentes sans avoir réellement de preuves de ce qu’ils avancent. Comme à son habitude, Damiano Damiani débute son film en plantant le décor d’une situation apparemment claire. D’un côté se trouvent les élites corrompues qui sont en affaire avec la mafia, de l’autre les intellectuels se font les chantres de la vérité et des droits humains. Une position typique de nombreux artistes de l’époque sous l’influence de l’extrême gauche.
Un point partout, la balle au centre!
Pourtant, la grande force du cinéaste est de ne jamais se laisser abusé par cette simplification outrancière de la réalité. Ainsi, désireux d’accéder à la vérité crue, le réalisateur joué avec conviction par le toujours juste Franco Nero mène sa propre enquête et va ainsi découvrir la complexité de notre monde. Pour cela, il fait la rencontre de la veuve du juge assassiné interprétée par la superbe Françoise Fabian, au jeu suffisamment mature pour incarner une forme d’ambiguïté. Certes, Damiani ne va pas jusqu’à faire du juge un saint et la Sicile qu’il décrit est bien gangrenée par le crime organisé, mais il ose attaquer son propre camp de la gauche moralisatrice.
Effectivement, alors que l’enquêteur découvre une vérité bien plus prosaïque qu’une quelconque théorie complotiste – que nous ne révélerons pas afin de garder le suspense – les forces d’extrême gauche préfèrent balayer d’un revers de main cette réalité car elle ne sert en aucun cas leurs intérêts. Dès lors, le dernier plan qui voit Franco Nero s’avancer au milieu des mafieux, puis des journalistes et autres forces de gauche sans s’arrêter en dit long sur l’état d’esprit d’un auteur qui renvoie dos à dos les opposants. Il se fait ainsi le chantre de la vérité et non d’une quelconque idéologie.
Quelques errances narratives, mais au service d’un discours pertinent
Pour arriver à cette conclusion, le cinéaste déploie une intrigue qui n’est pas la plus convaincante au sein de sa riche filmographie. En fait, on ne comprend pas toujours l’intérêt de certaines séquences, notamment lorsqu’elles se déroulent au cœur de l’Organisation. Certes, l’auteur démontre ici que la mafia est elle-même traversée par des luttes intestines, mais cela ne sert pas vraiment la progression dramatique de l’œuvre.
Malgré ces quelques errements narratifs, Comment tuer un juge passe très vite par la grâce d’un montage très habile d’Antonio Siciliano. On peut aussi saluer la partition musicale de Riz Ortolani qui s’impose à plusieurs reprises sur les belles images de la Sicile photographiées par Mario Vulpiani. Zébré d’éclairs de violence, Comment tuer un juge est donc un film policier valeureux, doublé d’un propos politique pertinent. Malheureusement, le métrage n’a pas connu le succès escompté en Italie malgré la présence de la star Franco Nero et est donc resté inédit sur de nombreux marchés. En France, le métrage serait sorti en octobre 1977 dans le sud de la France selon le site Encyclociné. Toutefois, il aura fallu attendre 2023 pour que l’éditeur Artus Films nous le propose au sein d’un superbe coffret consacré au cinéaste.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 octobre 1977
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Biographies +
Françoise Fabian, Franco Nero, Giorgio Cerioni, Marco Guglielmi, Renzo Palmer, Damiano Damiani, Claudio Gora, Claudio Nicastro
Mots clés
Polars italiens des années 70, Films sur la Mafia, La Sicile au cinéma