China Girl transpose Roméo et Juliette dans le New York des années 80 et s’impose comme un très bel exercice de style de la part d’Abel Ferrara. Dommage que le scénario ne soit pas toujours à la hauteur.
Synopsis : À New York, les jeunes habitants dans le quartier italien et ceux de Chinatown continuent à s’affronter pour faire valoir leurs droits. C’est dans ce contexte de violence qu’un adolescent italien, Tony et une jeune Chinoise, Tyan vont mettre leurs vies en péril pour vivre leur amour au grand jour…
Abel Ferrara donne sa version de Roméo et Juliette
Critique : Après la déception occasionnée par l’échec de son thriller New York, deux heures du matin (1984) qui lui a échappé, le réalisateur Abel Ferrara, tout droit venu de la scène underground new-yorkaise, a tenté de survivre quelque temps à Hollywood. Pour cela, il a accepté de signer un téléfilm et quelques épisodes de série où sa personnalité n’a jamais pu s’exprimer pleinement. Il fallait bien vivre en attendant de pouvoir monter des projets plus personnels.
Comprenant peu à peu qu’il n’était pas fait pour se conformer au moule hollywoodien, Ferrara retrouve son collaborateur fétiche, le scénariste Nicholas St. John. Les deux hommes cherchent à actualiser la pièce de Shakespeare Roméo et Juliette en la transposant dans le New York des années 80. Certes, cette idée a déjà donné lieu à la comédie musicale West Side Story (Wise, 1961), mais Abel Ferrara veut se démarquer de la comédie musicale en développant une atmosphère plus sombre et expressionniste.
Un plaidoyer antiraciste et anti-communautariste
Ainsi, China Girl (1987) se situe au carrefour entre Little Italy, le quartier d’enfance du cinéaste, et Chinatown. Seules quelques rues séparent ces deux territoires appartenant à deux communautés qui se haïssent. Non seulement le racisme est présent, mais les deux quartiers sont également gangrenés, d’un côté par la mafia et de l’autre par les triades. Il s’agit donc d’un cadre parfait pour évoquer l’histoire d’amour entre deux adolescents qui appartiennent chacun à une communauté et souhaitent s’affranchir des barrières raciales.
Afin de donner plus de réalisme à son histoire, Abel Ferrara tourne sur place, mais parvient à sublimer les rues de New York grâce au talent visuel déployé par son directeur de la photographie, le tout jeune Bojan Bazelli. Sans doute conscient de la faiblesse intrinsèque de son histoire, quelque peu naïve dans ses intentions, Abel Ferrara a ainsi décidé de sublimer chaque plan à l’aide de mouvements de grue savants, mais aussi par des éclairages bariolés du plus bel effet. China Girl est assurément le film le plus beau de son auteur sur le plan esthétique, rejoignant certaines œuvres de maîtres comme Coppola.
China Girl ou l’empreinte esthétique des années 80
Très marqué par l’esthétique des années 80, le long-métrage bénéficie également d’une partition musicale synthétique efficace de Joe Delia, ainsi que de plusieurs chansons typiques de l’époque qui lui donnent un punch certain. Toutefois, c’est surtout la puissance de la réalisation qui marque les esprits, avec des séquences de bagarres de rues impressionnantes, filmées dans des éclairages expressionnistes magnifiques.
Bien évidemment, l’affrontement implacable entre les deux communautés donne lieu à quelques scènes de violence crue qui rappellent les œuvres passées du réalisateur. Pourtant, China Girl demeure son film le plus timoré dans ce domaine. Cela vient aussi de la présence au centre de son intrigue du couple formé par les jeunes Richard Panebianco et Sari Chang. Si le couple fonctionne bien à l’écran, on ne peut qu’être étonné par le manque de profondeur de ces deux personnages qui ne correspondent en rien aux héros torturés du cinéaste.
Un film passé inaperçu en salles
Symbolisant en quelque sorte la pureté au cœur de communautés qui se détestent – mais souffrent aussi de tensions internes, ce qui évite de justesse le manichéisme – le couple est sans doute un peu trop parfait pour être pleinement crédible. Ils ont pour eux la fraîcheur de leur jeunesse, mais manquent de charisme véritable. On leur préfère largement les personnages qui gravitent autour d’eux et constituent une vraie plus-value pour le long-métrage. Notons d’ailleurs que la plupart des acteurs d’origine asiatique avaient déjà tourné dans L’année du dragon (1985) de Michael Cimino.
Très bel exercice de style qui démontre le talent visuel d’Abel Ferrara, China Girl (1987) a obtenu globalement des critiques positives, aussi bien aux États-Unis qu’en France, confirmant la place d’un auteur à suivre. Malheureusement, la sortie aux États-Unis n’a pas été suivie d’un score suffisant pour en faire un succès.
En France, le film a été présenté au Festival de Deauville en 1987 et a notamment été défendu par le magazine Starfix. Pourtant, sa sortie au mois d’avril 1988 n’a pas généré d’engouement du public avec seulement 19 778 entrées sur toute la France, dont 5 537 gangsters à Paris. Autant dire des miettes. Cela a poussé Abel Ferrara à accepter une commande de Vestron Pictures qui avait déjà financé China Girl, à savoir le thriller Cat Chaser (1989) que le cinéaste a ensuite totalement renié. Il a heureusement su rebondir brillamment avec The King of New York (1990) qui l’a définitivement installé dans le cœur des cinéphiles.
Critique de Virgile Dumez