Drame rural aux accents de thriller, As Bestas est un film parfaitement maîtrisé dont la tension est entretenue par des acteurs formidables. L’un des grands films de cet été.
Synopsis : Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…
Sorogoyen se met au vert, teinté de noirceur
Critique : Depuis le formidable Que Dios nos perdone (2016) qui suivait la traque d’un serial-killer par deux enquêteurs dans la ville de Madrid, le réalisateur Rodrigo Sorogoyen a su régulièrement renouveler son inspiration avec l’excellent El Reino (2018) et le plus dramatique Madre (2019). Si le cinéaste s’appuie toujours sur une trame que l’on peut rattacher au thriller, il tend peu à peu à se détacher du film de genre pour aller vers une dramatisation de plus en plus marquée. C’est une nouvelle fois le cas avec As Bestas (2022), coproduction franco-espagnole qui n’est affiliée au genre du thriller que par son dénouement et la tension qui l’innerve à chaque instant.
En réalité, le réalisateur décrit ici par le menu les réactions des habitants d’un petit village reculé de la campagne galicienne où deux Français viennent s’installer pour créer une exploitation biologique et, pourquoi pas, un futur gîte. Pendant deux ans, l’intégration est difficile, mais le refus des deux Français de signer un accord pour l’installation d’éoliennes va liguer le village contre ces intrus. Ici, Sorogoyen s’inscrit dans un type de cinéma rural âpre qui évoque certains films de Carlos Saura (on pense notamment au 7ème jour en 2004) ou encore de Mario Camus (Les Saints innocents en 1984). En Italie, la référence aurait sans doute été le cinéma des frères Taviani et au Brésil celui de Walter Salles (Avril brisé en 2001).
Sortie DVD & Blu Ray : novembre 2022 – Photo : © Lucia Faraig, Design : Benjamin Seznec pour Troïka
La vendetta des invisibles contre les nantis étrangers
Autant dire que cela ne rigole pas dans As Bestas, tant la tension est maintenue, et même croissante, au fil des deux heures de projection. Cela démarre par un générique où l’on voit deux hommes immobiliser un cheval au ralenti sur une musique angoissante. Cette scène inaugurale apparemment hors sujet trouvera un écho dramatique au cœur du film – mais nous ne pouvons pas détailler cet élément afin de préserver la surprise au spectateur. Par la suite, le réalisateur insiste sur les tensions qui animent le couple français – excellents Denis Ménochet et Marina Foïs qui ont dû apprendre l’espagnol en peu de temps – avec ses voisins directs incarnés par les formidables Luis Zahera (déjà vu dans El Reino du même Sorogoyen) et Diego Anido.
Sorogoyen insiste sur la haine de l’étranger de la part de ces paysans pauvres, mais aussi sur leur sentiment d’infériorité et de déclassement par rapport à une société qui les a oubliés. La terrible vendetta qui commence est donc autant une haine personnelle qu’une vengeance envers un monde qui ignore l’existence de ceux que l’on appelle parfois les invisibles. Bien entendu, la violence vient essentiellement des voisins agressifs, mais les réactions des deux Français sont également maladroites, décalées par rapport à la situation et ne font qu’amplifier le phénomène au lieu de l’atténuer.
De l’art du plan séquence dans l’escalade de la tension
Peu à peu se dessine donc une situation absolument inextricable qui ne peut trouver qu’une résolution par la violence et le drame. Ainsi, As Bestas fait preuve de brio dans sa mécanique narrative, le tout étant magnifié par une bande originale particulièrement stressante. Enfin, Rodrigo Sorogoyen soigne sa mise en scène en comptant notamment sur la puissance du plan séquence. Ainsi, les tentatives de dialogues donnent lieu à de longs échanges en un seul plan, prouvant l’excellence des acteurs. Enfin, le drame qui intervient au bout d’une heure et demie est lui également tourné en un plan séquence éprouvant.
Alors que la première partie du film laisse un peu dans l’ombre le personnage féminin incarné avec beaucoup de force par Marina Foïs, celui-ci reprend le dessus lors d’une dernière partie où elle nous étonne une fois de plus par l’intensité de son jeu. Ses affrontements verbaux avec sa fille jouée par Marie Colomb s’avèrent d’une belle force psychologique et l’on songe alors à l’âpreté des sentiments du cinéma d’André Téchiné.
Présenté au Festival de Cannes 2022, As Bestas est finalement sorti en plein cœur du mois de juillet, positionné la semaine du 20 où son concurrent direct était la comédie Joyeuse retraite 2. Il est sans aucun doute l’un des meilleurs films de cet été caniculaire.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 juillet 2022
Photo : © Lucia Faraig, Design : Benjamin Seznec pour Troïka