Absence de malice entend dénoncer les dérives d’une certaine presse sans scrupule avec des arguments convaincants, mais trop démonstratifs. Cette mécanique de précision peut laisser froid.
Synopsis : Enquêtant sur une sombre affaire d’enlèvement, le FBI compromet un homme innocent pour obtenir sa collaboration. Il manipule également une journaliste qui, flairant le scoop, écrit des articles sensationnels aux conséquences dramatiques.
Une attaque contre les journalistes sans déontologie
Critique : A la fin des années 70, le journaliste Kurt Luedtke décide de se lancer dans l’écriture d’un scénario de cinéma s’inspirant à la fois de son expérience personnelle en tant que gratte-papier et d’affaires qui ont récemment défrayé la chronique. Effectivement, à cette époque, des journalistes peu scrupuleux commencent à monter des articles de toutes pièces, afin de vendre du papier et décrocher un éventuel prix Pulitzer. Si des journalistes sont parvenus à faire chuter un président (Nixon avec l’affaire du Watergate), alors pourquoi ne pas s’attaquer à d’autres cibles ? Toute la différence entre ces reporters aux dents longues et le duo Woodward-Bernstein tient en un mot : la déontologie.
Dans son scénario, Luedtke s’en prend donc à tous ceux qui ne respectent aucune morale, car en recherche constante du scoop croustillant. Ce sujet séduit d’abord le réalisateur George Roy Hill et son acteur fétiche Paul Newman qui a souvent eu des déboires avec les paparazzi, mais c’est finalement Sydney Pollack qui se retrouve embarqué dans cette aventure. Le réalisateur, dans une mauvaise passe après l’échec de Bobby Deerfield (1977) et la déception du Cavalier électrique (1980), s’implique fortement dans la réécriture du script auquel il apporte son expertise et son sens de la structure. Il insiste également sur la liaison amoureuse entre la journaliste incarnée par Sally Field et sa victime Paul Newman, ce qui ajoute un ressort dramatique supplémentaire.
L’antithèse des Hommes du président
Sorte d’antithèse des Hommes du président (Pakula, 1976) qui montrait les vertus de la presse libre, Absence de malice (1981) démontre au contraire que des garde-fous manquent parfois face à des journalistes sans foi ni loi. Ici, la novice incarnée par Sally Field est prête à tout pour livrer un scoop à son journal. Elle se fait ainsi manipuler par le chef de la police qui lui obtient des informations sur un individu louche (Paul Newman). Celle-ci publie donc la version donnée par la police sans effectuer la moindre vérification, au risque de bouleverser la vie de l’intéressé.
Avec un vrai sens de la précision, Pollack nous invite donc à suivre le cours d’une machination qui n’a pas vraiment d’intérêt en elle-même, mais qui lui permet de dénoncer les méthodes douteuses d’une certaine presse avide de scoop. Pollack démontre que certains journalistes ne vérifient pas leurs sources et sont capables de jeter en pâture à la foule déchaînée des innocents et des êtres fragiles. Ainsi, le personnage incarné avec beaucoup d’aplomb et de retenue par Paul Newman perd en quelques heures son entreprise, ainsi que son amie d’enfance qui se suicide à la suite d’un article (bouleversante Melinda Dillon).
Absence de malice ne décolle jamais vraiment
Malheureusement, si cette dénonciation s’avère pertinente et nécessaire, Sydney Pollack n’arrive pas à éviter un aspect démonstratif dans la progression de son intrigue. Certains dialogues sont sans doute trop explicites, certaines situations trop édifiantes pour qu’une quelconque liberté de ton ne s’immisce. Sans doute trop carré, le script tente bien de laisser vivre ses personnages, mais ces flottements narratifs ne sont pas suffisamment incarnés pour apporter de la chaleur humaine à un long-métrage finalement trop théorique.
Sydney Pollack lui-même a admis son incapacité à faire décoller l’ensemble du long-métrage. Il dit notamment dans le livre Sydney Pollack de Michèle Léon (Pygmalion, 1991, page 85) :
C’est peut-être parce que j’ai échoué à lui donner plus d’envergure […] Le film n’est jamais allé au-delà de cette préoccupation littérale, si vous voulez, à propos des journaux et du journalisme. J’aime quand même beaucoup le film parce que je pense que ce problème est intéressant. Et aussi parce que j’aime Newman, beaucoup. C’est peut-être le moins romantique de mes films. Mais c’est un film très imbriqué, et je l’aime pour cela. Il est très, très précis au niveau de la structure. Il est très soigneusement structuré, et il y a des parties que j’aime beaucoup.
En réalité, on peut largement souscrire à cette analyse livrée par le réalisateur puisque le sujet du film est effectivement traité de manière rigoureuse, mais Sydney Pollack n’est pas parvenu à faire décoller l’ensemble pour qu’Absence de malice devienne un grand film sur le journalisme. Il y manque une flamme, une passion qui en ferait un incontournable. Si le long-métrage ne dépareille pas au sein de sa filmographie, il n’est aucunement la meilleure de ses créations.
Un certain succès et quelques récompenses
Sorti aux Etats-Unis à la fin de l’année 1981, Absence de malice a rencontré un joli succès dans les salles américaines, permettant notamment à Paul Newman de revenir sur le devant de la scène. L’actrice Melinda Dillon – qui joue admirablement l’amie suicidaire de Newman – a obtenu un Prix de la meilleure actrice dans un second rôle aux Kansas City Film Critics Circle Awards, ainsi qu’une nomination aux Oscars dans la catégorie similaire. Le long-métrage a reçu également deux autres nominations (pour Paul Newman et le scénario de Kurt Luedtke).
En France, le film est sorti en mars 1982, mais n’a pas connu le même destin que Le policeman (Petrie, 1981) qui fut un gros succès de l’année précédente. En fait, Absence de malice a surtout bien fonctionné à Paris, mais semble avoir laissé la province assez indifférente. Au total, le long-métrage s’arrête à 524 860 entrées dans l’Hexagone. Les critiques furent plutôt timides devant cette œuvre mineure qui ne tient qu’à la force initiale de son sujet et au charisme de son acteur principal.
Critique de Virgile Dumez