Dernier film de Sidney Lumet, 7h58 ce samedi-là est un thriller prenant qui vire à la pure tragédie familiale. Il s’agit d’une œuvre testamentaire à la noirceur implacable à redécouvrir.
Synopsis : Ce samedi matin-là, dans la banlieue de New York, tout semble normal dans la vie des Hanson. Alors que Charles, le père, passe un test de conduite, sa femme Nanette ouvre la bijouterie familiale. Leur fils aîné, Andy, s’inquiète pour le contrôle fiscal qui débute lundi. Et comme d’habitude, Hank, son frère cadet, se noie dans ses problèmes d’argent. Mais à 7h58, ce samedi-là, tout va basculer dans la vie des Hanson…
Le tout dernier film de Sidney Lumet
Critique : En 2007, Sidney Lumet est un grand réalisateur octogénaire qui a tourné ses œuvres majeures des années 60 à 80. Plutôt dépassé et en manque d’inspiration, il a continué à tourner des films peu intéressants au cours des années 90 et 2000. On peut alors considérer que son dernier grand film était Contre-enquête datant tout de même de 1990. Pourtant, il s’entiche du script d’une jeune débutante nommée Kelly Masterson qui vient tout juste d’écrire ce qui deviendra 7h58 ce samedi-là.
Lumet retrouve ici de nombreux thèmes qui ont parsemé son œuvre, que ce soit celle du casse initial qui tourne mal (on pense à Un après-midi de chien), mais aussi les relations conflictuelles au sein d’une même famille (Family Business, parmi tant d’autres). Il est d’ailleurs intéressant de savoir que c’est Lumet qui a ajouté au script l’idée que Philip Seymour Hoffman et Ethan Hawke sont deux frères impliqués dans le même casse.
Une construction narrative savante qui aboutit à une tragédie poignante
Construit de manière kaléidoscopique autour d’un événement central qui sera rejoué plusieurs fois sous des angles différents, le scénario propose donc une multiplicité de flashback qui éclairent à chaque fois un peu plus les motivations des différents protagonistes. L’originalité vient du fait que la plupart des personnages impliqués appartiennent tous à une même famille. Si la construction narrative n’est pas neuve et que la thématique du casse mené par des bras cassés nous renvoie directement à la case des frères Coen, 7h58 ce samedi-là trouve son originalité propre dans le ton tragique adopté par un réalisateur en mode testamentaire.
Alors que son cinéma retrouve une certaine forme de jeunesse par l’emploi de caméras numériques – ce sera la seule fois de sa longue carrière – Sidney Lumet livre avec ce qui sera son dernier film une vision très sombre de l’humanité. Allant très loin dans la noirceur humaine, Lumet décrit des êtres en bout de course, incapables de panser les blessures d’une enfance qu’on devine heurtée.
Des acteurs époustouflants
La plupart des protagonistes sont donc décrits à un moment charnière de leur existence, lorsque tout semble basculer dans un trou noir. Le personnage incarné avec un immense pouvoir d’incarnation par Philip Seymour Hoffman affiche la parfaite réussite du cadre d’entreprise, mais son existence est minée par une fuite en avant pécuniaire. Miné par une impression d’être le mal-aimé de la famille, l’homme a recours notamment à la drogue pour oublier ses fêlures intérieures. Celles-ci finissent par craquer lors d’une intense scène dans une automobile où Seymour Hoffman démontre toute l’étendue de son registre. Il est tout bonnement bouleversant. Face à lui, Ethan Hawke se fait plus démonstratif dans un rôle sans doute moins porteur. On lui préfère largement Albert Finney qui incarne un patriarche peu aimable et qui ira jusqu’au bout de son ignominie dans une ultime séquence qui glace les sangs.
Dans son dernier quart d’heure, 7h58 ce samedi-là ressemble à s’y méprendre à une tragédie antique, recyclant les thèmes classiques du matricide et de l’infanticide. Ces dernières séquences qui furent aussi les dernières tournées par Sidney Lumet font partie des moments les plus forts de son impressionnante filmographie.
Un échec commercial malgré un accueil critique enthousiaste
Malgré des critiques très positives et globalement enthousiastes, le dernier long-métrage de Sidney Lumet n’a guère attiré les foules, aussi bien aux États-Unis où le film a été un échec qu’en France où les spectateurs furent rares dans les salles. Ils ne furent ainsi que 182 547 amateurs de tragédie familiale à faire le déplacement dans l’Hexagone. Un échec qui s’est traduit par une discrète sortie en DVD et une absence de Blu-ray sur notre territoire pour ce qui restera pourtant comme un dernier jalon important dans la carrière d’un cinéaste majeur.
Critique de Virgile Dumez