Le festival de Gérardmer fêtait sa 28e édition en ligne en cette année de coronavirus. Avec courage, détermination et une vraie passion, l’équipe du successeur d’Avoriaz, festival mythique qui n’avait pu souffler que vingt bougies, a livré un festival solide dans ses choix, avec une thématique obsessionnelle autour de l’identité, l’emprise de l’autre, la mutation…
Festival de Gérardmer 2021 : le bilan
La France était bien représentée cette année à Gérardmer avec deux films qui avaient beaucoup fait parler d’eux en 2020 : La nuée (Prix de la critique et du public), de Just Philippot, connectait quasiment dans sa chair, une jeune femme et ses élevages de sauterelles. Teddy des frères Bourkherma transformait le marginal du village en un loup-garou qui avait les crocs. La comédie fantastique a obtenu le Prix du Jury et celui du Jury Jeune. Enfin, hors compétition, l’exercice de style intense et cruel, Les animaux anonymes de Baptiste Rouveure, rabaissait l’homme au rang de gibier à massacrer dans des abattoirs tenus par des animaux qui s’étaient appropriés les armes et la boucherie. Intense, bien que peu commercial, cet autre regard sur la ruralité marque une appropriation des corps et des statuts dans l’air du temps.
Evidemment, le Grand Prix canadien, Possessor, valeureux thriller de science-fiction de Brandon Cronenberg, fils de David dont l’ADN est également artistique, mettait en scène cette appropriation du corps à des fins meurtrières, avec une société secrète engageant des agents pour intégrer via les neurones le corps pour commettre des crimes industriels. Le traitement désenchanté et les combats des deux entités au sein du même corps éprouvent les méninges. D’autant que ce regard critique sur les nouvelles technologies est d’une grande violence.
Notre coup de cœur du festival, Sleep (Schlaf) de Michael Venus, cinéma allemand dans les traces de Hérédité, A Cure for Life et de l’œuvre de David Lynch, brouillait toutes les pistes narratives pour des couches de récits avec des identités malmenées. Un cauchemar qui s’est partagé le prix du Jury avec Teddy. Sa proximité avec le cinéma de Christopher Nolan est comme une évidence.
Les critiques des films de Gérardmer 2021
Dans cette cohérence thématique, on citera évidemment The Stylist, relecture au féminin de Maniac, où l’appropriation de l’autre, pour la coiffeuse maboule, se fait par le scalp jusqu’à un final intéressant. Dans Anything for Jackson, en compétition, deux grands-parents satanistes séquestrent une femme enceinte pour faire ressusciter le fantôme de leur petit-enfant à travers le bébé de leur victime.
Possessions diaboliques, rebondissements méphistophéliques… le festival de Gérardmer aimait vraiment brouiller les pistes cette année.
Dans le genre abscons, l’étrange Mosquito State, était très proche dans sa symbolique anticapitaliste de Possessor, et La nuée, faisait d’un trader de Wall Street un marginal qui nourrit de son corps une armée de moustiques…
Le « twister » Archive, promis par Universal comme l’un des seuls films de studio du festival, élaborait la survie de l’âme dans une intelligence artificielle. Un peu mou. Mais le film high-tech était hors-compétition et venait surtout pour sa promotion vidéo (il est édité la semaine du festival en format physique). Le russe Sputnik connectait l’humain à une espèce extraterrestre non identifiée. Cet ersatz d’Alien dégage une empathie mentale intrigante. Le film est encore une fois proposé hors de la compétition. L’éditeur Condor Entertainment le déballera en vidéo le 24 février.
Durant la nuit décalée, le kyste gerbant de Cyst s’est développé comme une extension indépendante du corps pour un délire gore et humoristique aux effets spéciaux à l’ancienne. Dans le rouge boucher, on a pu découvrir le clicheton Butchers, survival redneck entre Hatchet et la franchise dégénérée Wrong Turn, efficacement sanglant. Ici, le corps se dépèce et ne reste pas membré très longtemps.
Entre The Other Side, production surnaturelle scandinave, Sweet River, même genre mais australien, et Host de Rob Savage, la production Shudder sur fond de confinement, on préfère les stéréotypes ados de ce dernier qui est une copie conforme de Unfriended. Les esprits délaissent Skype pour Zoom, et avec peu de moyens, le film surprend par son efficacité. Pour ceux qui aiment encore frissonner du vide des Paranormal Activity, Host saura leur parler. The Other Side et Sweet River, deux films sur le deuil, sont eux à éviter.
Parmi les films savourés, la comédie fantastique irlandaise Boys from County Hell ne manquait pas de charme, mais avait un peu du mal à justifier sa présence en compétition.
Avec beaucoup de fatigue, nous avons tenté Aya et la sorcière de Gorô Miyazaki, mais la mue du cinéma Ghibli en animation aux images de synthèse contemporaine nous a laissé perplexes. On ne critiquera pas, puisqu’on ne l’a pas vraiment vu. Juste une impression, rien d’autre. L’esprit était de toute façon au surnaturel qui fait peur ou tache.
Sans public en physique, mais avec une présentation en ligne qui rendait un hommage aux projections vosgiennes, la 28e édition de Gérardmer nous a ravis. Ce fut une profusion d’images, d’envies satisfaites, de plaisirs, et de vrais frissons avec le coup de cœur, Sleep qui, à vrai dire, cinématographiquement, était avec Possessor le vrai challenger pour le Grand Prix.
Festival de Gérardmer 2021 : le palmarès
GRAND PRIX
soutenu par la Région Grand Est
Possessor de Brandon Cronenberg (Canada & Royaume-Uni)
Design : Legion Creative Group – Copyrights : Rhombus Media, Rook Films, Telefilm Canada, Particular Crowd. Tous droits réservés.
PRIX DU JURY
Sleep de Michael Venus (Allemagne)
Teddy de Ludovic & Zoran Boukherma (France)
MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE
soutenu par la SACEM
Jim Williams pour Possessor de Brandon Cronenberg (Canada & Royaume-Uni)
PRIX DE LA CRITIQUE
La Nuée de Just Philippot (France)
PRIX DU PUBLIC
soutenu par la Ville de Gérardmer
La Nuée de Just Philippot (France)
PRIX DU JURY JEUNES de la Région Grand Est
Teddy de Ludovic & Zoran Boukherma (France)