Dernier chef d’œuvre du néoréalisme, Umberto D. bouleverse encore par sa palette émotionnelle très riche qui le rapproche des films de Chaplin par bien des aspects, le pessimisme en plus. Un bijou.
Synopsis : Fonctionnaire à la retraite, Umberto ne parvient plus à subvenir à ses besoins. N’ayant pour seul refuge qu’une pension en piteux état, le vieil homme occupe ses journées à trouver de quoi manger avec pour seul compagnon son chien Flike… Lorsque sa propriétaire menace de l’expulser, Umberto se lie d’amitié avec une jeune femme de chambre…
Les derniers feux du néoréalisme
Critique : L’acteur-réalisateur Vittorio De Sica et le scénariste Cesare Zavattini décident de poursuivre leur féconde collaboration après avoir tourné des œuvres majeures du néoréalisme italien comme Sciuscia (1946), Le voleur de bicyclette (1948) et Miracle à Milan (1951). Pour mémoire, le premier s’intéressait au destin des petits cireurs de chaussures, le second évoquait le spectre destructeur du chômage et le dernier proposait de suivre la vie de sans-abris dans l’Italie de la reconstruction. Autant de sujets à caractère sociaux qui ont marqué les esprits au point que le troisième volet a obtenu le Grand Prix à Cannes en 1951.
Encouragés dans leurs efforts pour sensibiliser le grand public sur les dégâts de l’après-guerre sur l’Italie vaincue, les deux hommes décident avec Umberto D. (1952) de souligner la détresse des fonctionnaires à la retraite, dont les pensions sont insuffisantes pour pouvoir vivre dignement. Ainsi, le métrage s’ouvre sur une manifestation de gens du troisième âge qui sont rapidement dispersés par la police, tandis que les gens du ministère refusent de les recevoir. Cela sera l’unique tentative collective, par ailleurs avortée, d’une œuvre qui n’a de cesse d’isoler son personnage principal, actant ainsi la ruine de toute solidarité.
Umberto D., traité de la solitude au cœur d’une société indifférente
Sous le coup de la menace d’une expulsion par sa logeuse – fausse bourgeoise, mais vraie mère maquerelle jouée par la chanteuse d’opérette Lina Gennari – le vieil homme ne peut guère compter que sur l’amitié d’une petite bonne, mais bien trop jeune pour lui venir vraiment en aide (excellente et fraîche Maria Pia Casilio, dont ce fut le premier emploi à l’écran). En outre, le vieil homme dont on comprend qu’il est célibataire et sans enfant vit dans une solitude terrible seulement rompue par la présence de son petit chien Flick.
© 1952 RTI / Affiche : Alain Baron. Tous droits réservés.
Dès lors, Umberto D. va multiplier les saynètes où le vieil indigent va tenter de glaner suffisamment d’argent pour éviter l’expulsion de son misérable logement. Redoutable par son aspect répétitif, le long métrage insiste non seulement sur l’absence de compassion des citoyens les plus bourgeois, mais acte dans le même temps la carence de solidarité entre pauvres. En cela, le métrage se distingue de bon nombre de films de l’époque tournés par des cinéastes affiliés au Parti communiste qui insistaient quant à eux sur la notion d’unité de classe.
Les lumières de la ville vacillent
Point de cela dans Umberto D., une œuvre tragique du début à la fin et dépourvue de la moindre lueur d’espoir. Petit à petit gagné par le désespoir d’une situation qui ne peut qu’empirer, le vieil homme interprété avec maestria par Carlo Battisti – un non professionnel en réalité professeur d’université – envisage de plus en plus sérieusement le suicide. Dans des plans qui rappellent fortement le cinéma de Charlie Chaplin, l’indigent tente maladroitement de faire la manche, avant de se refuser à perdre ainsi sa dignité. Ces moments pathétiques ne peuvent que susciter l’émotion du spectateur, d’autant que le tout est souligné par la magnifique partition musicale d’Alessandro Cicognini.
Même si ces moments relèvent du pur mélodrame, le cinéaste Vittorio De Sica parvient toujours à éviter les effusions sentimentales en s’attardant sur des détails du quotidien qui empêchent le métrage de sombrer dans le pur produit commercial larmoyant. Bien au contraire, le drame rejoint la beauté du Voleur de bicyclette lors de son final où le vieil homme envisage de se jeter sous un train avec son chien dans les bras. Là, Vittorio De Sica atteint une intensité dramatique maximale qui est l’apanage des plus grands.
Umberto D. a déplu au gouvernement italien de l’époque
Si l’on ajoute à cela une réalisation très inspirée, avec de beaux mouvements d’appareil, une photographie en noir et blanc magnifique de G.R. Aldo et une musique splendide, Umberto D. peut être considéré comme un chef d’œuvre absolu et comme l’acte terminal du néoréalisme. Effectivement, après l’échec commercial du film, Vittorio De Sica lui -même a décidé de s’éloigner de ce style pour faire à nouveau jouer des vedettes dans des productions plus conventionnelles – dont certaines demeurent de belle tenue.
Présenté en compétition au Festival de Cannes en 1952, Umberto D. avait toutes les chances de décrocher le Grand Prix (la Palme d’or n’existait pas encore à l’époque car créée en 1955), mais le ministre italien Giulio Andreotti, qui n’aimait pas le film, a pesé de tout son poids politique pour que le chef d’œuvre reparte bredouille. Selon lui, le métrage donnait une image trop sombre de l’Italie et n’insistait pas assez sur les efforts effectués par le pays pour se redresser après la période du fascisme.
Un chef d’œuvre ignoré lors de sa sortie initiale
Cette cabale ne s’est pas arrêtée là puisque le long métrage a été très peu diffusé en Italie et que sa sortie à l’étranger fut également entravée. Ainsi, pour la France, le mélodrame bouleversant est sorti dans les salles parisiennes le vendredi 10 octobre 1952 dans l’indifférence générale. Malgré sa beauté, Umberto D. n’a glané que 38 593 entrées dans la capitale et 41 675 dans toute la France.
En réalité, il a fallu attendre les années 2000 pour que les cinéphiles (re)découvrent véritablement ce bijou inaltérable grâce à des restaurations et des sorties en DVD par Carlotta Films. Ce chant du cygne du néoréalisme est désormais régulièrement repris en salles pour le plus grand bonheur des cinéphiles, tandis que son édition blu-ray donne entière satisfaction, que ce soit sur le plan technique ou en matière de suppléments.
Enfin, signalons l’existence d’un remake plus ou moins fidèle tourné en France par Francis Huster en 2008 et intitulé Un homme et son chien. Si cette version est loin d’être une réussite, elle est surtout remarquable car elle constitue la dernière apparition à l’écran de Jean-Paul Belmondo, très diminué. De son côté, Vittorio De Sica estimait que Umberto D. était son plus beau film. On ne le contredira pas !
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 octobre 1952
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© 1952 RTI / Affiche : L’EToile Graphique. Tous droits réservés.
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Vittorio De Sica, Lamberto Maggiorani, Carlo Battisti, Maria Pia Casilio, Lina Gennari
Mots clés
Cinéma italien, Le néoréalisme, Les chefs d’œuvre des années 50, Les classiques du cinéma, Festival de Cannes 1952