A mi-chemin entre documentaire et étude psychologique, Tueurs de flics est une œuvre inégale, alternativement poignante et maladroite. Pas inintéressant en tout cas.
Synopsis : Deux malfaiteurs sont surpris en plein casse par deux agents de police. Capturés, les deux officiers sont amenés dans un champ afin d’y être exécutés, mais l’un d’eux réussit à s’échapper.
Une histoire inspirée d’un fait réel
Critique : Au début des années 70, l’ancien policier Joseph Wambaugh se lance dans l’écriture de nombreux romans. Pour Le mort et le survivant (The Onion Field en VO), il s’inspire pour la première fois d’un fait divers réel intervenu en 1963 à Hollywood. Deux malfrats nommés Gregory Powell et Jimmy Smith, pris en flagrant délit par deux agents de police nommés Karl Hettinger et Ian Campbell, ont réussi à maîtriser les policiers, à les enlever avant de parvenir à éliminer le second d’entre eux. Finalement, seul l’agent Hettinger s’en est sorti. Alors qu’ils ont rapidement été arrêtés, les deux criminels ont réussi à se maintenir en vie grâce à un habile jeu d’obstruction de la justice qui leur a été favorable.
Venant plutôt du documentaire, le réalisateur Harold Becker décide de s’emparer de ce sujet vers la fin des années 70 avec la complicité de l’auteur du roman qui compose un script très fidèle à son livre d’origine. Ce qui deviendra Tueurs de flics (1979) est d’ailleurs tourné dans une optique similaire, à savoir proche du documentaire. On ne peut s’empêcher de penser au chef-d’œuvre de Richard Brooks tiré du livre de Truman Capote : De sang froid (1967). Toutefois, le film d’Harold Becker n’arrive jamais à la cheville de son modèle, à cause d’une réalisation bien plus faible et d’une incapacité du cinéaste à choisir entre objectivité documentaire et jugement de valeur.
Deux parties distinctes, mais inégales
Le film commence par nous présenter durant la première heure le fait divers de la manière la plus neutre possible. Nous faisons ainsi connaissance avec les deux malfrats interprétés avec talent par un impressionnant James Woods et le fragile mais convaincant Franklyn Seales. Parallèlement, le réalisateur nous fait partager le quotidien des policiers de terrain ici incarnés par John Savage et le novice Ted Danson, dont ce fut le premier rôle sur grand écran. Le film bénéficie d’une vraie qualité documentaire, ainsi que d’un regard particulier marqué notamment par une certaine tension sexuelle, surtout visible entre les deux délinquants. Cela rejoint ici le cliché des criminels homosexuels, décidément très répandu à l’époque dans le cinéma hollywoodien. Mais peu importe finalement puisque la description de leur relation fait preuve de suffisamment d’ambiguïté à ce niveau du film.
La bascule intervient à peu près à la moitié du métrage, lorsque Becker décrit le lent processus de la justice, ainsi que toutes les méthodes employées par les avocats des criminels pour leur éviter la peine capitale. Dès lors, le long-métrage quitte sa neutralité documentaire pour se faire juge d’une situation conçue comme scandaleuse. Le regard porté sur la justice rejoint donc la cohorte des œuvres réactionnaires de l’époque avec son argumentaire bien rodé sur l’impunité des criminels et l’absence de compassion envers les victimes ou les survivants. Dès lors, l’homosexualité manifeste des deux assassins est davantage mise en avant et participe à une description à charge contre des êtres dévoyés que la justice protège.
John Savage, bouleversant en flic traumatisé
Pendant ce temps, le cinéaste s’attache à suivre le quotidien torturé du flic survivant qui se sent responsable de la mort de son coéquipier. Même si cela sert encore une fois un propos assez douteux, il faut bien avouer que ce destin tragique ne peut laisser indifférent. Dans le rôle poignant de cet homme qui ne parvient pas à surmonter la disparition de son partenaire, John Savage est tout bonnement remarquable. Comme il avait si bien su l’exprimer dans Voyage au bout de l’enfer (Cimino, 1978), Savage réussit avec un minimum de moyens à nous faire ressentir le malaise et le mal-être de son personnage.
A la lisière du burn out, suicidaire par intermittences, l’ancien flic ne parvient pas à passer à autre chose puisque la justice l’appelle sans cesse pour revenir témoigner. Cette histoire devient ainsi un enfer permanent qui le pousse vers une déchéance morale terrifiante. Harold Becker parvient notamment à nous glacer les sangs lorsque le personnage pète un plomb à son domicile et qu’il bat son petit bébé qui pleure, avant de pointer un revolver dans sa bouche, puis de se raviser, laissant éclater son mal-être dans un sanglot de désespoir. La séquence, absolument tétanisante, est sans doute l’un des grands moments de vérité d’une œuvre qui ne manque pas de qualités, mais pâtit d’un rythme inégal et de passages bien plus faibles.
Un propos réactionnaire, mais contrebalancé par une certaine justesse psychologique
En réalité, il manque à Tueurs de flics un vrai réalisateur qui posséderait une vision de cinéma, ce qui n’est absolument pas le cas d’Harold Becker, artisan correct, mais rarement excellent. En l’état, Tueurs de flics est surtout la description d’une société américaine malade d’une justice qui ne satisfait pas grand-monde et d’une violence qui déferle dans les grandes concentrations urbaines comme New York ou Los Angeles. Marqué par un point de vue clairement réactionnaire, Tueurs de flics parvient toutefois à modérer son propos par une attention certaine à la psychologie des différents personnages, ce qui lui permet de se distinguer du tout-venant de l’époque.
Sorti aux Etats-Unis en septembre 1979 en exclusivité à New York, puis sur un circuit limité de salles, Tueurs de flics est parvenu à amasser près de 10 millions de dollars de recettes pour un budget initial de 2 millions. Le long-métrage a également permis à James Woods d’obtenir une nomination aux Golden Globes en tant que meilleur acteur dans un drame. En France, le film a connu une carrière éclair à Paris avec un résultat mineur autour de 31 113 spectateurs. Ce succès en demi-teinte n’a pas empêché Harold Becker et Joseph Wambaugh de collaborer à nouveau pour le film Flics-Frac ! (1980).
Critique de Virgile Dumez