The Old Guard ou comment excès de bienveillance devient pure complaisance dans ses excès de violence. Ce pur produit d’algorithme se dissimule derrière la diversité pour séduire la pluralité des téléspectateurs de Netflix et faire gonfler le capital. Purement industriel.
Synospis : L’éternité peut paraître longue. Sous la houlette d’une guerrière nommée Andy, un groupe secret de mercenaires très soudés et dotés du don d’immortalité se bat depuis des siècles pour protéger le monde des mortels. Mais lors d’une mission d’urgence, les extraordinaires capacités de l’équipe sont soudain révélées au grand jour. Face à la convoitise de tous ceux qui tentent de dupliquer et monnayer leurs pouvoirs hors du commun, Andy et la jeune Nile tentent coûte que coûte d’éliminer les lourdes menaces qui pèsent alors sur leur groupe.
Y a-t-il un scénariste humain à la plume ?
Critique : Netflix est une plateforme formidable dans sa capacité à plaire aux spectateurs du monde entier et à générer des envies, mais elle souffre d’un point faible : ses produits cinéma maison. Mis en place par des algorithmes commerciaux, ils font souvent l’impasse sur l’aspect artistique pour capitaliser sur la volonté d’étendre les programmes du groupe à tous les marchés, et échouent donc à mettre en œuvre ce qui pourrait s’apparenter à du vrai cinéma.
Le manque de personnalité de The Old Guard est patent et l’on ne peut imaginer pareil film sur le grand écran, tant il contredit tout ce que l’on cherche dans un blockbuster contemporain. On passera sur la réalisation passe-partout et la musique indigeste qui pourrait être balancée à l’identique sur 80 % des films d’action et de fantaisie de la plateforme ; ce qui nous gêne est l’écriture et un choix de casting de l’ordre du dosage.
Fignoler un casting sur la pluralité jusqu’à la caricature
Les intentions de The Old Guard seraient, a priori, d’utiliser le récipient de l’action flick, pour démontrer que les femmes sont aussi badass que les hommes et et faire du divertissement masculin par définition un vecteur de valeurs d’égalité pour transformer de façon subliminale la société. De l’orgueil et du militantisme, puisque le sujet terre-à-terre sur fond d’immortalité, ne laisse pas place à la psychologie.
Dans ce spectacle de télévision, tout y est invraisemblable et transpire la fausse bienveillance pour faire converger l’œuvre vers des choix de complaisance. On en espérait pourtant quelques surprises. Charlize Theron, actrice militante souvent exigeante, badass remarquable dans les Fast & Furious et Mad Max Fury Road, avait su susciter notre curiosité dans une promo acharnée pour vendre ce film post #MeToo. Elle échoue sur toute la ligne, véhiculant à elle seule tous les stéréotypes inhérents à ce type de personnage, qu’il soit homme ou femme d’action, alors que dans Atomic Blonde, autrement plus époustouflant dans l’action, l’intrigue et la mise en image, elle crevait l’écran.
La convergence des luttes féministes et Black Lives Matter
A la réalisation, le choix d’une femme afro-américaine relève plus d’un symbole que d’une légitimité autour d’un projet qui aurait tenu à cœur à un auteur pendant des années. Gina Prince-Bythewood est le point de convergence entre deux luttes sociales actuelles, le mouvement féministe et celui de Black Lives Matters. L’idée est noble, mais la réalisatrice n’a pas d’affinité artistique avec le socle action-fantastique-fantasy. Derrière elle, sa filmographie laisse apparaître essentiellement des comédies romantiques ; son double statut ne peut légitimer sa présence derrière la caméra. A l’instar d’Ava DuVernay sur le film Disney de genre merveilleux, Un raccourci dans le temps, elle est l’erreur de casting principale. Contrairement à Kathryn Bigelow, rare exemple de cinéaste femme qui a démontré une passion réelle pour le cinéma de genre, elle ne suit pas le rythme et n’a pas l’esprit de série B dans la peau. Elle n’élève jamais Chalize Theron comme ce que George Miller a su faire avec son personnage de Furiosa dans Fury Road, au statut d’icône, car on ne s’improvise pas réalisateur de films d’action. Bien des tâcherons l’ont démontré dans le domaine du DTV pendant des décennies. Pour un Christopher Nolan, James Cameron ou Wachowski, combien de Jon Turteltaub (Benjamin Gates) ou de Simon West (Lara Croft) ?
Dans les premiers rôles de The Old Guard, on trouve donc deux femmes, blanche et noire. Roulant des mécaniques comme dans des films d’action d’hommes que l’on n’appréciera pas pour autant, puisqu’on détestait déjà ces pratiques dans bien des produits vidéo sans scénario dans les années 80 (époque Cannon) ou 90 (époque Delta Vidéo) que l’on regardait pour rire sur le dos des films. Ici, chaque protagoniste doit répondre à des exigences sociétales quand une œuvre devrait surtout être guidée par une narration, une envie libre de créer sans avoir à se soucier si elle coche toutes les cases de la pluralité comme dans un casting gouvernemental, pour suivre l’actualité française.
Aussi, via Charlize Theron, Netflix propose une star centrale, seulement une, pour mieux vendre le truc auprès du très grand public ; elle est sexy de surcroît, mais pas trop, car cela serait antiféministe. Dans la bande de Charlize Theron en immortelle maudite qui se la joue justicière sur des siècles, la parité hommes femmes est de mise avec quelques mecs essentiellement européens.
Le vilain petit nanar
Matthias Schoenaerts est là pour caresser le public francophone dans le sens du poil. Il écope de l’un de ses pires rôles ; Lucas Marinelli, vedette italienne (Martin Eden), élargit la portée du film sur le continent ; Marwan Kenzari, Néerlandais aux origines tunisiennes, joue sur la confusion autour de son physique méditerranéen pour permettre à l’exercice d’identification d’élargir sa cible. Ces deux derniers comédiens incarnent par ailleurs un couple homosexuel de roman à l’eau de rose. Leur discours romantique est assené en plein milieu du pitch, pataugeant dans le hors-sujet ; le seul but serait de rendre le film attractif aux yeux de la communauté LGBTQ. Les phrases gay friendly déclamées sont risibles et deviennent ainsi sujettes au best of de Nanarland. Aussi explicite soit-elle, l’homosexualité des deux personnages n’est que maladresse et mièvrerie dans un univers que l’on aurait surtout préféré plus Tarantino friendly.
The Old Guard : du vieux cinéma de série B
The Old Guard milite donc à toutes les causes, mais à la truelle. Tout y passe, jusque dans la diversité géographique des lieux de tournage (Moyen-Orient, France, Angleterre…) et évidemment l’éternel second rôle asiatique en la présence de Van Veronica Ngo, car il ne faut pas oublier le continent asiatique.
Une bienveillance d’intention, de la complaisance assumée
La bienveillance est de mise, mais elle est fausse et capitaliste : le non-respect de l’homme, dans ce qu’il représente en humanité, est patent. L’on tue et torture à foison, puisque les protagonistes éternels ne sont pas là pour discuter entre eux, ils se tirent dessus pour imposer leur propos. Après tout, ils se relèvent le plan suivant, avec des plaies béantes qui s’autosuturent, c’est pratique.
La violence graphique pour fédérer tous les spectateurs
On n’a rien contre la violence au cinéma, mais ici, elle vient contredire tous les efforts de la réalisatrice dans sa volonté de changer le monde via un blockbuster inoffensif. Le gore et le sang sont versés avec un désir de satisfaire les bas instincts adolescents. La bienveillance montre alors son vrai visage, la complaisance vis-à-vis du genre humain qui, immortel, est abîmé sauvagement à répétition (gorge tranchée, personnage éventré…). La violence fait vendre et c’est peut-être l’ingrédient le plus fédérateur à l’échelle mondiale. Netflix ne l’a pas oublié et ne compte donc pas censurer cet aspect contestable. A force d’émousser tout ce qu’il a de plus vil dans l’homme (l’homophobie, le racisme, la misogynie), les auteurs de The Old Guard ont surtout oublié le point commun entre chacune de ces haines : la violence. Se vautrant dans la gratuité la plus crasse, The Old Guard n’est donc qu’hypocrisie dans son propre aveuglement. Et, étiré sur deux interminables heures, cette forme de schizophrénie est intolérable.