Sur les quais : la critique du film (1955)

Drame, Thriller, Film noir | 1h48min
Note de la rédaction :
10/10
10
Sur les quais affiche française

  • Réalisateur : Elia Kazan
  • Acteurs : Rod Steiger, Marlon Brando, Karl Malden, Eva Marie Saint, Lee J. Cobb, Pat Henning, Martin Balsam
  • Date de sortie: 14 Jan 1955
  • Nationalité : Américain
  • Titre original : On the Waterfront
  • Scénario : Budd Schulberg
  • Musique : Leonard Bernstein
  • Distributeur : Columbia Films
  • Editeur vidéo (blu-ray) : Sony Pictures
  • Sortie vidéo (blu-ray) : Le 27 février 2017
  • Box-office France / Paris-périphérie : 3 343 951 entrées / 248 682 entrées
  • Box-office USA : 9,3 M$
  • Budget : 910 000 $
  • Récompenses : 8 Oscar remportés sur 12 nominations en 1955 : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur pour Marlon Brando, Meilleur second rôle féminin pour Eva Marie Saint, Meilleur scénario pour Budd Schulberg, Meilleure photographie pour Boris Kaufman, Meilleurs décors pour Richard Day et Meilleur montage pour Gene Milford.
Note des spectateurs :

Avec Sur les quais, Elia Kazan signe une œuvre puissante sur la culpabilité, la trahison et la délation, portée par une superbe réalisation et des acteurs au sommet de leur art. Un must.

Synopsis : Un jeune docker, Terry Malloy, ancien boxeur, est manipulé par son frère, avocat du syndicat des dockers dirigé par le crapuleux Johnny Friendly. Il assiste sans intervenir au meurtre d’un employé qui voulait dénoncer les méthodes illégales de ce dernier. Malloy se retrouve devant un cas de conscience…

Un contexte politique tendu

Critique : Au début des années 50, les Etats-Unis sont entrés dans une période trouble de leur histoire avec l’arrivée du maccarthysme (1950-1954). Pour mémoire, le sénateur Joseph McCarthy a développé un farouche anticommunisme lié à la guerre froide. Son but est de traquer toutes les activités qualifiées d’antiaméricaines à travers une commission qui se livre à une véritable chasse aux sorcières. Vers 1952, Hollywood n’est pas épargné et de nombreux artistes sont appelés à témoigner devant cette commission. Pour pouvoir continuer à travailler dans l’industrie du spectacle, il faut montrer sa bonne volonté en dénonçant des collègues appartenant ou ayant appartenu au Parti Communiste.

Sur les quais, jaquette du DVD

© 1954, renewed 1982 Columbia Pictures Industries, Inc. / © 2015 Layout and design Sony Pictures Home Entertainment Inc. Tous droits réservés.

Convoqué une première fois, le cinéaste Elia Kazan avoue avoir appartenu au PC dans les années 30, mais s’en être détaché. Toutefois, cette première entrevue ne le met aucunement à l’abri et il témoigne une seconde fois le 10 avril 1952, livrant cette fois-ci des noms d’anciens camarades. Même si la plupart des gens dénoncés étaient déjà connus de la commission, cela a suffit à faire de Kazan le prototype de « la balance ».

Cet acte de délation a marqué l’ensemble de sa carrière, à tel point que lors de la cérémonie des Oscars en 1999, une partie de la salle n’a pas applaudi lorsque l’Oscar d’honneur lui a été remis.

Une longue gestation

Ce long détour était nécessaire pour mieux appréhender Sur les quais, film indéniablement marqué par cette expérience. Pourtant, le script rédigé par Budd Schulberg était déjà écrit en 1951, donc bien avant l’affaire Kazan. Le projet a même été proposé à plusieurs studios et producteurs, dont Zanuck, pour finalement être produit par Sam Spiegel et sa petite compagnie Horizon Pictures.

Il faut dire qu’un film en noir et blanc avec un sujet social sur les dockers n’est pas particulièrement vendeur. Le seul élément porteur est la présence de Marlon Brando au générique, même si l’acteur s’est fait prier. Il n’était effectivement pas d’accord avec l’attitude de Kazan, mais un gros chèque a fini par lui faire entendre raison.

En réalité, Schulberg et Kazan ont modifié le scénario peu avant le début du tournage pour y insérer la notion de délation et de crise de conscience morale.

Le thème de la délation au cœur du projet

Certes, Sur les quais est toujours une dénonciation virulente et puissante de la mainmise de la pègre sur les syndicats des dockers, mais le métrage se dote d’un niveau de lecture supplémentaire, bien plus intéressant. En faisant de Terry Malloy (magnifique Brando) un alter-ego du réalisateur, les auteurs ont développé l’idée de la mauvaise conscience, du sentiment de culpabilité qui gagne un être humain en quête de rédemption.

Jusque-là simple exécutant des basses œuvres du caïd local, le boxeur Terry Malloy prend peu à peu conscience de sa responsabilité morale dans les meurtres commis par l’Organisation. Il va donc opérer un cheminement personnel chaotique qui va le pousser à trahir les siens et à les dénoncer auprès de la justice. Cela implique au passage la mort de son frère – qui donne lieu à une magnifique scène d’adieu entre Brando et Rod Steiger, deux apôtres de la Méthode – et peut-être le sacrifice de son amour.

Un exercice d’auto-justification ou tout simplement une œuvre hantée ?

Beaucoup ont vu dans le film une tentative de Kazan pour justifier sa propre trahison. C’est fort possible, mais cela ne fonctionne pas totalement puisque Malloy se bat contre une organisation criminelle, ce qui lui octroie l’immédiate sympathie du public, contrairement à Kazan. Peu importe en réalité puisque le film tire sa force de la mauvaise conscience, réelle, du cinéaste. Son film est à la fois torturé, poétique, idéaliste et en même temps désabusé quant à la nature humaine. On peut d’ailleurs sans doute regretter la fin très hollywoodienne qui voit le bien triompher, alors que tout nous préparait à la mort christique du délateur.

Tourné dans un splendide noir et blanc qui s’inscrit dans la tradition du film noir, Sur les quais bénéficie d’une réalisation très inspirée et d’un casting remarquable. Il faudrait citer le moindre petit rôle pour être juste. Au petit jeu des préférences, on adore Karl Malden en curé engagé, mais aussi Rod Steiger en grand frère faussement protecteur. Et bien entendu Brando qui impose un jeu très moderne pour l’époque, déclamant ses dialogues avec un chewing-gum dans la bouche. Il bouleverse d’autant plus qu’il parvient à faire ressentir la sensibilité écorchée d’un homme se voulant dur à cuir. Sa prestation est remarquable.

Un succès international inattendu, couronné par huit Oscar

Signalons enfin l’excellente partition musicale de Leonard Bernstein qui alterne les moments romantiques avec des passages plus agressifs à base de percussions. Ce contraste est en phase avec le contenu même d’un film à la fois terriblement violent, tout en demeurant romantique.

Contre toute attente, le long-métrage fut un énorme succès pour une œuvre au budget si serré. Pas moins de 9,3 millions de dollars (de l’époque) générés sur le sol américain. En France, le public a répondu présent avec plus de 3,3 millions d’entrées (soit le 19ème plus gros succès de l’année 1955, devancé par A l’est d’Eden d’un certain… Elia Kazan).

Couronné de 8 Oscar en 1955 (dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur pour Marlon Brando, du meilleur second rôle féminin pour Eva Marie Saint et du meilleur scénario), Sur les quais fait assurément partie des plus grands films d’Elia Kazan, à une époque où il enchaînait les chefs d’œuvre comme Un tramway nommé désir (1951), Viva Zapata ! (1952), A l’est d’Eden (1955) et Baby Doll (1956).

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Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 14 janvier 1955

Sur les quais affiche française

© 1954, renewed 1982 Columbia Pictures Industries, Inc. / Illustrateur : Cyril Arnstam. Tous droits réservés.

 

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