Soldat bleu dénonce à la fois l’extermination du peuple amérindien et la guerre du Vietnam, à travers un western extrêmement violent, digne de certains films d’exploitation. Inégal, mais puissant.
Synopsis : Une patrouille de la cavalerie est prise en embuscade par les Cheyennes pendant qu’elle effectuait la protection d’un convoi. Seuls survivent un soldat et une femme, qui vont alors essayer de regagner le fort le plus proche.
Une évocation indirecte de la guerre du Vietnam
Critique : Alors que la guerre du Vietnam fait rage et que le massacre de My Lai de mars 1968 a choqué l’opinion américaine en faisant plus de 500 morts civils, le réalisateur Ralph Nelson entend témoigner de cette horreur par le biais d’un western. Cinéaste particulièrement engagé dans la lutte pour les droits civiques des Afro-américains – il était notamment un ami de Sidney Poitier – Ralph Nelson compte ainsi revenir sur une période sombre de l’histoire américaine, à savoir la spoliation des terres amérindiennes par les Blancs.
Pour écrire Soldat bleu (1970), il s’inspire notamment d’un roman de Theodore Victor Olsen et également du terrible massacre de Sand Creek, tragique épisode des guerres indiennes intervenu en novembre 1864. Pour mémoire, un régiment de la cavalerie américaine dirigé par le colonel John Chivington a attaqué un village indien avec une sauvagerie sans nom. Plus d’une centaine d’Amérindiens furent impitoyablement tués, dont la plupart étaient des femmes et des enfants. Si le scénario prend des libertés par rapport à l’épisode historique, Soldat bleu a toutefois le mérite de rappeler les exactions des Américains vis-à-vis du peuple indien – ici les Cheyennes.
Soldat bleu confirme la mutation du western à partir des années 60-70
Toutefois, il est important de rappeler que le long-métrage est loin d’être une exception puisque le western a entamé sa mue dès le milieu des années 50. Nombreux sont les films qui prennent désormais le parti du peuple indien et cette tendance s’est bien entendu accentuée au cours des années 60, puis dans les années 70 avec le succès rencontré par le western spaghetti et les auteurs engagés du Nouvel Hollywood.
Soldat bleu débute volontairement par une séquence de massacre d’un convoi militaire par les Indiens. Ralph Nelson convoque volontairement tous les clichés attachés au genre, avec notamment l’encerclement du convoi par les Amérindiens, puis le massacre des Blancs qui se font scalper. Cela correspond bien entendu à une réalité, mais l’on sent rapidement que Ralph Nelson ne croit pas vraiment à ce qu’il filme. En suivant les pas d’un duo atypique formé par une femme volontaire et débrouillarde (étonnante Candice Bergen) et un jeune soldat inexpérimenté (donc un bleu, d’où le titre) incarné par Peter Strauss, Ralph Nelson détourne ensuite le genre pour livrer une comédie de duo franchement amusante. Au détour de quelques dialogues, on sent déjà le positionnement idéologique de l’auteur, scandalisé par la spoliation des terres indiennes.
Une dernière demi-heure d’une extrême violence
Véritable road-movie divertissant, Soldat bleu en profite pour dénoncer l’implication de certains Américains dans la vente d’armes – à travers le personnage joué par Donald Pleasence en mode cabotin. Mais bien évidemment, ce long voyage parsemé de péripéties n’a qu’un seul but : amener les personnages au cœur d’un village indien qui va être entièrement massacré par un colonel raciste – très irritant et donc très juste John Anderson. Le ton change donc radicalement dans la dernière demi-heure puisque Ralph Nelson n’hésite pas à filmer le massacre à grands coups d’effets gore sur des femmes et des enfants.
Pourtant largement amputé de ses effets les plus choquants par l’autocensure du studio producteur, Soldat bleu n’en reste pas moins d’une violence extrême qui évoque les films d’horreur italiens d’Umberto Lenzi ou de Ruggero Deodato. Bien entendu, ces séquences ont une double fonction : historique pour évoquer les débordements sanglants du passé, mais aussi conjoncturel pour dénoncer les agissements américains au Vietnam. Personne ne s’y est trompé à l’époque et le long-métrage a subi les feux de la critique. Ainsi, les nationalistes ont dénoncé une œuvre défaitiste et outrageante, tandis que les critiques de gauche se sont émus de l’extrême violence de la fin, dénonçant une œuvre qui tombe dans les travers de l’exploitation.
Soldat bleu, un beau succès européen avant tout
Certes, Soldat bleu succombe bien au voyeurisme à travers ses scènes finales, mais elles ont le mérite de continuer aujourd’hui à choquer et ainsi d’interpeller le public sur les horreurs dont sont capables les êtres humains lorsque le racisme est à l’œuvre. Le grand public américain a boudé consciencieusement cette proposition de cinéma extrême. Par contre, Soldat bleu a obtenu un magnifique succès au Royaume-Uni, ainsi qu’en France. Ainsi, le western est entré directement à la deuxième place du box-office parisien au mois d’avril 1971 avec 44 238 curieux. La semaine suivante, le long-métrage maintient son nombre d’entrées. Ce n’est qu’en sixième semaine que le long-métrage dévisse, tout en continuant à attirer des spectateurs pour un total convaincant de 455 254 Franciliens.
En France, Soldat bleu a longtemps navigué entre la 7ème et la 10ème place du box-office, cumulant chaque semaine autour de 60 000 entrées. Effectuant un tour de France à succès, le western s’impose semaine après semaine, restant à l’affiche jusqu’à l’été 1971. Il a fini par cumuler 1 456 616 spectateurs. On peut d’ailleurs noter que le film est sorti sur les écrans en même temps qu’un autre western révisionniste, à savoir le Little Big Man d’Arthur Penn.
Bien qu’inégal, Soldat bleu a le mérite d’affronter l’histoire sombre de la conquête de l’ouest sans détourner le regard face aux atrocités commises de part et d’autre.
Critique de Virgile Dumez