SHTTL : la critique du film (2023)

Drame, Historique | 1h54min
Note de la rédaction :
8/10
8
SHTTL, l'affiche

  • Réalisateur : Ady Walter
  • Acteurs : Saul Rubinek, Moshe Lobel, Antoine Millet, Anisia Stasevich
  • Date de sortie: 13 Déc 2023
  • Année de production : 2022
  • Nationalité : Français, Ukrainien
  • Titre original : SHTTL
  • Titres alternatifs : Shtetel (Mexique)
  • Autres acteurs : Petro Ninovskyi, Daniel Kenigsberg, Emily Karpel, Oleksandr Yeremenko, Lili Rosen, Yurko Kritenko, Philipp Mogilnitskiy, Sharon Azrieli
  • Scénaristes : Ady Walter, Samuel Fischler
  • Monteur : Jérémie Bole du Chaumont
  • Directeur de la photographie : Volodymyr Ivanov
  • Compositeur : David Federmann
  • Cheffe maquilleuse : Marta Skalska
  • Chefs décorateurs : Iuliia Antykova, Ivan Levchenko
  • Directeur artistique : -
  • Producteurs : Jean-Charles Lévy, Yuriy Artemenko, Ryta Grebenchikova, Olias Barco
  • Producteurs exécutifs : Sharon Azrieli, Matt Brodlie, Christophe Charlier, Steven Ghouti, Aaron L. Gilbert, Eric Gozlan, Jonathan Kier, Lili Rosen, Amanda Sthers, Patrick Swiderski
  • Sociétés de production : Ukrainian Producers Hub, Apple Tree Vision, Forecast Pictures
  • Distributeur : Urban Distribution
  • Distributeur reprise :
  • Date de sortie reprise :
  • Editeur vidéo :
  • Date de sortie vidéo :
  • Budget :
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 8 993 entrées / 8 026 entrées
  • Box-office nord-américain / monde :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 2.35 : 1 / Couleurs et Noir et Blanc / Son : 5.1
  • Festivals : Festival du film de Rome 2022 / Atlanta Jewish Film Festival 2023 / Festival international du film de Cleveland 2023 / Berlin Jewish Film Festival 2023 / Hong Kong Jewish Film Festival 2023
  • Nominations : Dzyga d'or 2024 : meilleure photographie et meilleure production
  • Récompenses : Festival du film de Rome 2022 : prix du public Atlanta Jewish Film Festival 2023 : prix du jury / Festival international du film de Cleveland 2023 : prix du jury, mention honorable / Berlin Jewish Film Festival 2023 : prix du jury / Hong Kong Jewish Film Festival 2023 : meilleur premier film
  • Illustrateur/Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © UPHub, Apple Tree Vision, Forecast Pictures, Ukrainian State Film Agency, Wild Tribe Films, Goldrush Entertainment. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Attachés de presse :
  • Tagline : On ne peut pas revenir dans un pays qui n'existe plus. Joseph Brodsky.
Note des spectateurs :

Brillante tentative de ressusciter les fantômes d’une communauté juive disparue, SHTTL est une œuvre puissante marquée par une esthétique travaillée et un brio formel qui n’écrase jamais ses personnages, tous profondément humains et nuancés. Une belle découverte.

Synopsis : Eté 1941, veille de l’invasion de l’Ukraine soviétique par les nazis. Dans un shtetl un jeune homme revenu de la ville attise les querelles entre laïcs et religieux et remet en question un mariage prévu quelques jours plus tard. Ce seront les dernières 24 heures d’un village avant sa destruction lors de l’opération Barbarossa.

Un premier film tourné en yiddish

Critique : Documentariste pour la télévision durant plusieurs années, le cinéaste français Ady Walter n’a pas choisi la facilité pour réaliser son premier long métrage de fiction en 2021. Effectivement, l’auteur s’empare d’un sujet historique – les débuts de l’opération Barbarossa en juin 1941 qui est l’invasion par les nazis du territoire tenu par les Soviétiques, en dépit du Pacte de non-agression signé en 1939 entre Hitler et Staline – mais qui lui sert avant tout à reconstituer la vie d’une communauté juive (ou shtetl) située en Ukraine soviétique. Afin de crédibiliser son intrigue, le cinéaste a donc eu recours à des comédiens pratiquant la langue yiddish (ce qui est le cas de Moshe Lobel ou encore Saul Rubinek), mais aussi à des interprètes talentueux capables d’apprendre la langue en peu de temps (impressionnant Antoine Millet).

SHTTL, photo d'exploitation 1

© 2022 UPHub, Apple Tree Vision, Forecast Pictures, Ukrainian State Film Agency, Wild Tribe Films, Goldrush Entertainment. Tous droits réservés.

Car le but d’Ady Walter n’est pas de filmer une énième fois l’extermination d’un peuple, ce qui a déjà été entrepris de manière brillante par des maîtres du septième art – on songe notamment au génial Requiem pour un massacre (Elem Klimov, 1985). Il préfère se concentrer sur la journée qui précède le drame, n’accordant au massacre que les cinq dernières minutes du long métrage, et encore sans jamais filmer les meurtriers qu’il déshumanise ainsi de manière efficace. En réalité, SHTTL entend ressusciter un monde disparu, y compris dans la mémoire juive. Comme l’explique Ady Walter, l’absence de la lettre E dans le titre renvoie directement au roman La disparition (1969) de Georges Perec. Il signifie donc par cet oubli volontaire l’effacement d’un monde, d’une culture et d’une langue.

Faire revivre une communauté juive aujourd’hui disparue

Dès lors, SHTTL réactive la mémoire d’une communauté qui a été éradiquée par la violence des nazis. Durant la majeure partie du film, Ady Walter décrit par le menu la vie de ces gens marqués par des conditions d’existence rudes, mais aussi bousculée par la présence des Soviétiques. Ceux-ci ont notamment dénoncé l’emprise des religieux orthodoxes sur la communauté et Ady Walter insiste notamment sur l’influence de l’idéologie communiste sur les plus jeunes générations.

Ainsi, le héros incarné avec talent par Moshe Lobel est un garçon en rupture avec son milieu qui est devenu cinéaste à Kiev, mais qui revient dans son village pour tenter d’extirper sa promise des mains d’un concurrent faisant partie de la communauté hassidique (des religieux juifs particulièrement traditionnalistes). D’ailleurs, l’idéologie communiste et égalitariste infuse aussi chez les femmes de la communauté qui réclament à pratiquer la prière avec les hommes. Ces affrontements entre laïcs et religieux orthodoxes ont le mérite de décrire un shtetl dans toute sa complexité. Les juifs ne sont aucunement unis et leurs conflits internes sont retranscrits avec nuance et intelligence.

Dans SHTTL, pas de place pour l’idéalisation du passé

Cette opposition se retrouve aussi dans l’attitude à tenir face aux puissances invasives. Ainsi, le rabbin (excellent Saul Rubinek) prône la soumission tandis que le jeune cinéaste souhaite utiliser les armes et la violence pour lutter contre les nazis. Autant de lignes de fractures béantes qui font de ce village un précipité de toutes les oppositions présentes dans la communauté juive d’Europe de l’Est. Au milieu de ces questions purement intellectuelles, Ady Walter n’oublie pas d’ajouter une dimension personnelle forte en traitant des liens familiaux complexes et des amours malheureux qui se heurtent au poids des traditions.

Pour emballer ce script aux ramifications nombreuses et complexes, Ady Walter a fait le pari de l’exigence sur le plan stylistique. Il emploie tout d’abord un noir et blanc tirant vers le gris pour toutes les séquences se déroulant en 1941, opérant parfois un glissement à peine perceptible vers la couleur réservée aux flashbacks. Il inverse ainsi le code couleur traditionnel. Mais le plus marquant vient de sa volonté de traiter le film comme un long plan-séquence. En réalité, il s’agit d’une trentaine de plans différents qui ont été unis par la magie du montage.

Du bon usage du plan-séquence

Le cinéaste a eu recours aux mêmes trucs qu’Alfred Hitchcock dans La corde (1948), à savoir effectuer des coupes invisibles lorsqu’un personnage franchit une porte où lorsqu’un poteau passe devant la caméra, obscurcissant le champ durant un dixième de seconde. Il faut toutefois une belle maestria sur le plan technique pour parvenir à un tel résultat, d’autant que la caméra d’Ady Walter est sans cesse en mouvement, épousant l’instabilité des personnages.

SHTTL, photo d'exploitation 2

© 2022 UPHub, Apple Tree Vision, Forecast Pictures, Ukrainian State Film Agency, Wild Tribe Films, Goldrush Entertainment. Tous droits réservés.

Outre cette réalisation élégante et brillante, SHTTL parvient à émouvoir à plusieurs reprises grâce aux relations complexes entre le personnage et son entourage familial, mais aussi lorsqu’il filme avec amour ces rites et chants anciens, ressuscitant toute une culture pour la plupart disparue. On retrouve ici de nombreux éléments proches d’Austeria, magnifique film de Jerzy Kawalerowicz (1982) qui revenait lui aussi sur une communauté juive polonaise exterminée lors des pogroms ayant eu lieu durant la Première Guerre mondiale. Par l’usage du plan séquence, on peut également penser au Fils de Saul (László Nemes, 2015), même si la thématique est abordée de manière radicalement opposée puisque le film hongrois était un chant funèbre alors que SHTTL valorise la vie.

Une sortie discrète, surtout parisienne

Tourné en Ukraine quelques semaines seulement avant l’invasion russe, SHTTL est donc une œuvre majeure qui fait écho à la situation vécue par le peuple ukrainien, sans que cela soit volontaire initialement. Ce premier essai magistral a parcouru les festivals entre 2022 et 2023, glanant le Prix du public au Festival international du film de Rome, ainsi que plusieurs récompenses dans différents festivals consacrés au cinéma juif.

En France, le long métrage a été proposé par Urban Distribution alors dans la tourmente car proche d’un redressement judiciaire. Installé dans une poignée de salles à Paris comme le MK2 Beaubourg, MK2 Parnasse, Saint-André des Arts, l’Escurial, puis le Majestic Passy, SHTTL a été aussi programmé en province, notamment à Lyon, Metz, Blois et quelques petites villes moyennes.

Pour sa première semaine du 13 décembre 2023, le drame historique a glané 1 987 entrées. Il est parvenu à se maintenir à la même hauteur en deuxième septaine avec 1 902 retardataires. Par la suite, le long métrage est resté à l’affiche durant dix longues semaines, parvenant à mobiliser 8 026 cinéphiles jusqu’au début du mois de mars 2024. Preuve du beau bouche à oreille à l’issue des projections pour une œuvre difficile d’accès et exigeante, mais précieuse par sa vision ambitieuse d’un cinéma d’auteur puissant.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 13 décembre 2023

Voir le film en VOD

SHTTL, l'affiche

© 2022 UPHub, Apple Tree Vision, Forecast Pictures, Ukrainian State Film Agency, Wild Tribe Films, Goldrush Entertainment. Tous droits réservés.

Biographies +

Ady Walter, Saul Rubinek, Moshe Lobel, Antoine Millet, Anisia Stasevich

Mots clés

Cinéma français, Cinéma ukrainien, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Les génocides au cinéma, Les histoires d’amour malheureuses au cinéma

 

Trailers & Vidéos

trailers
x
SHTTL, l'affiche

Bande-annonce de SHTTL (VOstf)

Drame, Historique

x