Film choc, véritable symphonie de l’horreur, Requiem pour un massacre appartient à ces œuvres majeures qui marquent une vie. Il y aura obligatoirement un avant et un après la projection pour tout cinéphile qui se respecte.
Synopsis : Pendant la Seconde Guerre mondiale, Fliora, jeune garçon d’un village de Biélorussie occupé par les troupes nazies, s’engage, bien que trop jeune, chez les partisans. Il va découvrir l’amour, la fraternité, la souffrance, la guerre.
Klimov rend hommage aux victimes de la barbarie nazie
Critique : Pas vraiment en odeur de sainteté auprès du pouvoir soviétique, le réalisateur Elem Klimov n’a eu de cesse de lutter pour pouvoir tourner ses œuvres. Il lui a fallu notamment une bonne dizaine d’années pour réaliser ce Requiem pour un massacre, sans cesse repoussé ou entravé par une administration tatillonne. Basé sur une œuvre d’Ales Adamovich, le film nous replonge en Biélorussie, occupée par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. L’occasion pour les auteurs et le pouvoir en place de célébrer le martyr des biélorusses assassinés par un ennemi impitoyable et dogmatique.
Le script se fonde sur les nombreux massacres occasionnés par les troupes allemandes (Wehrmacht, mais aussi Einsatzgruppen et Sonderkommandos) et notamment la destruction complète de villages biélorusses comme celui de Khatyn (à ne pas confondre avec le massacre de Katyn, perpétré par les Soviétiques contre les Polonais). On compte ainsi plus de 600 villages qui ont été brûlés et dont la population civile a été entièrement exterminée. Le total des victimes s’élèverait à 2,2 millions de morts uniquement en Biélorussie, durant les trois ans d’occupation, dont près de 800 000 juifs.
Un film fou comme on en fait plus
Il s’agit donc pour Elem Klimov d’évoquer cette terrible page d’Histoire à l’heure où la troisième guerre mondiale est encore du domaine du possible puisque le film est tourné en pleine période de résurgence de la guerre froide. Le but avoué de Klimov est de dégoûter le spectateur de la guerre en plongeant au cœur de l’horreur des crimes nazis. Pour mieux impliquer le spectateur et susciter l’empathie, il choisit comme guide un jeune garçon de 14 ans qui rejoint le camp des partisans biélorusses. Son innocence initiale va être mise à rude épreuve durant les deux heures et demie d’un film radical qui malmène le héros et donc le spectateur.
Appartenant à cette catégorie des films fous parmi lesquels on peut compter Apocalypse Now (Coppola, 1979), Voyage au bout de l’enfer (Cimino, 1978) ou encore Le convoi de la peur (Friedkin, 1977), Requiem pour un massacre (1985) a bénéficié d’un tournage interminable de près de neuf mois, avec un dépassement de budget astronomique, compensé par l’Etat soviétique. Le réalisateur, dans sa volonté de réalisme absolu, a souhaité tourner le long-métrage dans l’ordre chronologique et en faisant vivre aux acteurs, souvent amateurs, l’enfer de leurs personnages. Les tirs ont ainsi été effectués à balles réelles, les maisons ont été incendiées pour de bon et lorsque l’on découvre médusés le plan d’une vache prise dans la fusillade, celle-ci a bien été tuée pour la beauté de l’art, ce qui serait impensable de nos jours.
Mise en scène virtuose pour créer un choc émotionnel total
Film de l’extrême, aussi bien dans son tournage fou que dans son résultat final, Requiem pour un massacre ne peut laisser indifférent. Il s’agit sans aucun doute du film sur la guerre le plus marquant qui soit. Certes, la violence est souvent hors-champ, mais la puissance de la réalisation en démultiplie l’impact émotionnel, si bien qu’il est difficile de supporter l’intégralité de la projection.
Entièrement tourné à la Steadicam, le long-métrage bénéficie d’une réalisation en plan-séquence d’une extraordinaire fluidité. Doté d’une photographie magnifique et d’une virtuosité formelle de chaque instant, le film ne peut laisser de marbre devant son génie assumé. Parfois contemplatif, voire à la limite de l’onirisme, dans sa première partie, le métrage nous plonge durant la seconde dans un enfer que n’aurait pas renié Dante. Afin de souligner l’horreur des situations, le réalisateur Elem Klimov n’hésite pas à faire jouer son casting de manière volontairement grotesque. Ainsi, les visages sont souvent défigurés par le rire, les larmes ou les cris, souvent à la lisière de l’hystérie.
Une brillante réflexion sur l’origine de la violence
Ceci est encore renforcé par un travail formidable sur le son. Lorsque le jeune homme est pris en plein bombardement, la bande sonore semble sourde comme le protagoniste. Cet effet désormais courant était une nouveauté à l’époque, largement copiée depuis, notamment par Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan.
Hautement métaphorique, Requiem pour un massacre réfléchit aussi sur l’origine de la violence et pose la question de la vengeance. Face au portrait d’Hitler, le jeune homme tire à plusieurs reprises afin de refaire l’Histoire et d’effacer toute trace du nazisme. Toutefois, face à la photographie du petit Hitler dans les bras de sa mère, il ne parvient pas à tirer. Cette conclusion humaniste bouleverse d’autant plus qu’elle intervient après plus de deux heures infernales où le spectateur a subi un véritable rouleau-compresseur émotionnel.
Un chef-d’œuvre longtemps boudé par la critique
Film choc qui s’inscrit tout naturellement parmi les meilleurs films de guerre de tous les temps, Requiem pour un massacre a pourtant été longtemps snobé par les critiques français qui n’y ont vu qu’un énième film de propagande soviétique. Certes, le métrage ne s’éloigne pas de la théorie du martyr biélorusse mise en place par le régime soviétique, mais il n’en demeure pas moins une œuvre d’avant-garde impressionnante que l’on peut aisément comparer aux meilleures productions d’Eisenstein ou de Kalatozov.
Il fut diffusé en France très tardivement, avec une sortie très discrète en septembre 1987 dans quelques salles seulement. Tous les amoureux d’un cinéma de l’extrême doivent impérativement faire le grand saut et vivre cette expérience vraiment unique.
Le test blu-ray :
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Compléments & packaging : 5/5
L’éditeur Potemkine a visiblement décidé de livrer l’édition ultime du film. Le digipack s’ouvre en plusieurs volets sur deux DVD et un blu-ray, le tout dans une esthétique soignée. Sur la galette, on nous propose plus de trois heures de bonus, dont de nombreux entretiens exclusifs datant de 2019.
On peut répartir les bonus comme suit :
- Les documents d’époque et les témoignages de l’équipe artistique et technique. On dispose ici d’un court making of qui propose des images exclusives du tournage. On peut suivre également un long entretien avec Elem Klimov qui explique les difficultés rencontrées pour monter le projet, puis celles du tournage et enfin la sortie réussie du film. Il précise au passage qu’il a tout donné sur ce long-métrage et qu’il n’a jamais pu tourner d’autres films par la suite. Le jeune acteur Aleksei Kravchenko nous raconte ensuite comment il a été sélectionné, lui qui accompagnait seulement un ami venu passer le casting. Deux entretiens (d’une part avec le décorateur, puis avec l’assistant réalisateur Vladimir Kozlov) nous permettent de prendre conscience de l’ampleur du tournage.
- Les modules analytiques. Ils mettent en scène Eugénie Zvonkine et une historienne des images de la Seconde Guerre mondiale qui conversent sur les rapports entre le film et les images documentaires existantes sur les massacres en Biélorussie. Séparé en deux modules, l’ensemble est passionnant et s’étale sur une cinquantaine de minutes.
- Les témoignages de cinéastes français contemporains. Albert Dupontel, Gaspar Noé, Bertrand Mandico et Nicolas Boukhrief reviennent sur le choc qu’a représenté pour eux la découverte du film, soit au cinéma, soit en vidéo. Chacun s’exprime séparément pendant une vingtaine de minutes. L’intervention de Boukhrief est celle qui paraît la plus pertinente, même si le découvreur du film à l’époque semble plus réservé aujourd’hui. Ses arguments sont en tout cas pertinents.
- Les documents historiques. Deux modules documentaires reviennent sur les événements de Biélorussie.
L’image : 4/5
Si la perfection n’est pas encore atteinte – ce qui est d’ailleurs impossible à cause de la photographie très spéciale du film – on redécouvre totalement le long-métrage avec cette copie restaurée en HD. La fluidité des plans s’en trouve sublimée, la colorimétrie a été rehaussée, ce qui donne de magnifiques résultats lors des plans oniriques dans la forêt. La définition est également de très bonne tenue et soutient même les nombreux plans dans le brouillard. De temps à autre le grain reprend ses droits, mais cela est lié à la photographie éthérée du film. Le format 1.33 a été respecté.
Le son : 4/5
Une unique piste sonore en mono russe est disponible. Toutefois, la spatialisation est d’excellente tenue et permet une bonne immersion dans l’univers sonore assez dingue du film. Que ce soient les intrusions musicales (Requiem de Mozart sans saturation), les bruits d’ambiance menaçants ou les explosions, l’ensemble est d’une belle cohérence et respectueux du format sonore d’origine.
Critique et test blu-ray : Virgile Dumez