Second vrai long-métrage de David Cronenberg, Rage! poursuit sa thématique favorite sur l’évolution de la chair. Le résultat, inégal, est intéressant par l’esquisse d’obsessions qui seront approfondies dans les films suivants du cinéaste.
Synopsis : Grièvement brûlée à la suite d’un accident, Rose est transportée d’urgence à la clinique du docteur Dan Keloid spécialiste dans la chirurgie esthétique. Ce drame offre l’occasion au médecin d’expérimenter un type de greffe tout à fait nouveau aux conséquences inconnues. La jeune femme reste dans le coma. Il faut la nourrir par injection de sang. À son réveil, elle a pratiquement retrouvé son apparence d’autrefois. Seul détail curieux : son aisselle non cicatrisée présente une plaie étrange. Rose se jette sur un malade et le mord : c’est le début d’une épouvantable épidémie.
Un tournage un peu plus cossu pour Cronenberg
Critique : Si les critiques ne furent pas tendres avec Frissons Parasite Murders (1975), le premier vrai film professionnel de David Cronenberg tourné pour la modique somme de 100 000 dollars, le public lui a fait un petit succès inattendu. Ainsi, la firme productrice Cinépix et le gouvernement canadien ont pu bénéficier d’un retour sur investissement proche des cinq millions de dollars. Alors que la société privée Cinépix, spécialisée jusque-là dans le cinéma d’exploitation érotique, souhaite évidemment continuer la collaboration avec Cronenberg, le gouvernement canadien est davantage embarrassé de voir son nom associé à des œuvres souvent qualifiées de pornographiques à l’époque.
David Cronenberg a donc écrit Rage! dans la foulée de son précédent long-métrage en pensant pouvoir le financer facilement, ce qui ne fut pas le cas. Certes, la société Cinépix et notamment le producteur Ivan Reitman sont enthousiastes à l’idée de participer à ce nouveau long, mais le script plus ambitieux nécessite cette fois-ci des moyens plus conséquents. Impossible dans ces conditions de ne pas faire appel au gouvernement canadien. C’est la province du Québec qui répondra présente, appelant un tournage à Montréal et ses alentours. Disposant cette fois-ci d’un budget environ cinq fois supérieur à celui de son premier film, David Cronenberg peut donc envisager un tournage plus cossu, même s’il reste cantonné dans la série B indépendante.
Un film au script inégal, sauvé par l’interprétation de Marilyn Chambers
Au départ, Cronenberg envisage d’engager Sissy Spacek – encore inconnue du grand public – pour incarner l’héroïne du film. Il est ressorti de Badlands de Malick, subjugué par son jeu. Mais après des essais, la future star de Carrie ne convainc pas le cinéaste canadien, en raison de son accent quand l’un de ses producteurs fait une fixette sur ses taches de rousseurs. Il accepte de faire confiance à Marilyn Chambers qui est surtout connue pour être une star du X après Derrière la porte verte (Mitchell, 1972). Elle n’a pas fait de films de ce genre depuis plusieurs années et les producteurs de Rage ! insistent sur un nom vendeur. Cronenberg hésite, mais les essais sont probants. Même si Spacek aurait permis au film d’avoir une plus grande visibilité puisqu’elle devient une vedette du jour au lendemain grâce à Carrie (De Palma, 1976) qui sort entre-temps, Cronenberg n’a jamais regretté son choix puisque Marilyn Chambers s’avère persuasive dans un rôle dramatique qui fait beaucoup pour la réussite du long-métrage.
Aujourd’hui considéré par beaucoup comme un petit classique culte, Rage! n’est pourtant pas exempt de défauts. Certes, il poursuit la thématique de la « nouvelle chair » qui deviendra centrale dans l’œuvre de Cronenberg, mais son scénario est loin d’être un modèle de construction. Tout d’abord, le réalisateur mélange plusieurs thèmes sans que n’apparaisse très clairement le lien entre eux. Ainsi, il développe bien la notion d’un corps qui évolue suite à un accident, mais on ne comprend jamais vraiment pourquoi un dard très phallique apparaît sous l’aisselle du personnage principal. De même, la notion de vampirisme n’est pas particulièrement explicitée, et encore moins l’idée que cela puisse déclencher ensuite une épidémie de rage. Certes, l’ensemble se veut davantage métaphorique et fantastique que crédible, mais la base apparemment scientifique est mise à mal en permanence par des raccourcis douteux.
Des rôles secondaires peu intéressants
Ensuite, la propagation de l’épidémie donne lieu à des séquences qui tiennent du cliché, chaussant notamment les pas du cinéma de George A. Romero qui, au moins, avait des visées politiques, ce qui n’est pas le cas de Cronenberg. On songe ici très souvent à La nuit des fous vivants (1973) qui nous semble toutefois nettement supérieur dans sa gestion de la tension et de la paranoïa ambiante. On sent donc David Cronenberg embarrassé dès qu’il s’agit de tourner des passages plus spectaculaires. Par contre, il donne la pleine mesure de son talent quand il fouille l’intimité torturée de son personnage principal.
Enfin, le film pâtit d’un script qui ne sait pas trop quoi faire de ses personnages secondaires. Ainsi, le rôle de Frank Moore n’a pas grand intérêt puisque le personnage est toujours spectateur des événements, ou pire, à la traîne. Même problème avec celui de Joe Silver. Finalement, on a l’impression que seul le personnage de Marilyn Chambers possède une vraie caractérisation. Le cinéaste parvient notamment à en faire une victime, elle qui propage pourtant la maladie pour pouvoir survivre. Son évolution psychologique donne un relief au film qui manque toutefois d’autres protagonistes forts.
Illustration © Landi, reproduction de deux pages du livret du Mediaook de Rage ! chez © 2019 The Ecstasy of Films
Rage! anticipe les futures crises sanitaires
Alternativement puissant par ses visions organiques et horrifiques troublantes, mais aussi conventionnel dans son déroulement prévisible, voire quelque peu ennuyeux par moments, Rage! (1977) n’en demeure pas moins une œuvre intéressante à redécouvrir de nos jours. Elle anticipe notamment l’épidémie du sida qui a déferlé sur le monde à partir des années 80. Quant à ses images d’un Montréal sous la loi martiale, elles nous renvoient à une période actuelle où les gouvernements luttent contre l’épidémie de la Covid-19. Cette anticipation d’une actualité décidément brûlante est effectivement assez troublante.
Sorti en France en plein mois d’août 1977, Rage! a écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans. Ils n’ont été que 43 481 porteurs sains à faire le déplacement dans les salles françaises. Toutefois, le film a ensuite connu une solide carrière en VHS. Devenu culte en même temps que David Cronenberg s’imposait comme un maître de l’horreur viscéral, Rage! a conquis un nouveau public au cours du temps.
Rage! est à redécouvrir dans une superbe copie chez The Ecstasy of Films
Le film bénéficie depuis 2019 d’une excellente édition en Mediabook par le petit éditeur indépendant The Ecstasy of Films. Présenté dans une très belle copie restaurée, le film est agrémenté de nombreux suppléments vidéo passionnants dont un entretien et un commentaire audio avec David Cronenberg. Le livret intérieur propose en outre une passionnante interview carrière avec Marilyn Chambers. Un must à commander donc d’urgence tant qu’il reste des exemplaires.
Critique de Virgile Dumez