Premier vrai film professionnel de David Cronenberg, Frissons imposait déjà toutes les thématiques chères au cinéaste canadien, avec la rage de la jeunesse. Nécessairement perfectible, mais ô combien stimulant.
Synopsis : Dans une résidence luxueuse située près de Montréal, un professeur renommé se suicide après avoir étranglé et éventré une jeune femme. L’affaire est vite étouffée mais le médecin du complexe hôtelier décide de mener l’enquête en apprenant que ce professeur s’était livré à des traitements médicaux singuliers, fondés sur la greffe de parasites. Or ceux-ci semblent déclencher chez les patients traités des réactions particulières et engendrent une épidémie…
Bienvenue dans la résidence de luxe Starline…
Critique : Au milieu des années 70, le jeune cinéaste David Cronenberg n’a à son actif que quelques courts-métrages expérimentaux, ainsi que des bandes underground d’avant-garde qui n’ont pas été distribuées (Stereo et Crimes of the Future). Après quelques travaux pour la télévision canadienne, il pousse la porte de la société de production Cinepix, une des seules boîtes indépendantes du Canada, spécialisée dans les comédies érotiques et le cinéma d’exploitation. Pour eux, il est prêt à tourner une petite bande érotique, mais les essais se révèlent catastrophiques. Finalement, il propose aux producteurs John Dunning et André Link un scénario de film d’horreur alors intitulé Orgy of the Blood Parasites.
Si les producteurs sont effectivement intéressés par le projet, ils attendent une aide de l’Etat canadien pour le valider définitivement. Cronenberg tente de monter le film de son côté, en partant pour Hollywood. Entre-temps, le gouvernement canadien accepte de le financer et Cronenberg revient donc tourner son premier vrai film professionnel dans son pays natal, ce qui est sans aucun doute une bonne nouvelle puisque le réalisateur a ainsi eu les mains libres sur ce qui deviendra Frissons.
Vue imprenable sur l’amer…
Aidé par le producteur Ivan Reitman (futur réalisateur de SOS Fantômes) qui lui apporte un casting complet sur un plateau, mais aussi un certain nombre de conseils techniques, David Cronenberg doit se contenter d’un budget resserré et de quinze jours de tournage. Une urgence qui explique certains défauts de ce premier long techniquement perfectible, mais annonce pourtant l’intégralité des thématiques chères au cinéaste.
Critique à peine voilée d’une certaine société consumériste totalement aseptisée, Frissons débute par un générique en forme de publicité pour un immeuble de grand standing. Alors que les décors dépouillés suggèrent une propreté absolue de cet espace ripoliné, le cinéaste nous montre en parallèle une séquence de meurtre affreuse et chirurgicale. Le ton glacial est ainsi posé dès les premières minutes, avec une éventration au scalpel marquante. Les fondements de l’intrigue sont également exposés en moins d’un quart d’heure, ce qui permet au long-métrage de n’être jamais ennuyeux malgré un décor limité à un immeuble.
Des voisins à croquer…
Ce qui choque immédiatement le spectateur, c’est cette volonté de Cronenberg de nous confronter à la maladie, à l’intrusion dans notre corps d’un parasite qui transforme notre métabolisme. Déjà obsédé par les fluides, les sécrétions et autres éléments organiques, Cronenberg parvient à révulser à l’aide d’effets spéciaux rudimentaires mais efficaces (signés de Joe Blasco). Toute la partie sur la contamination est donc parfaitement menée en confrontant le spectateur à ses angoisses les plus profondes (celles liées à la décadence irréversible du corps).
Le long-métrage prend un tour encore plus original lorsque les contaminés, au lieu de devenir des morts-vivants comme dans bon nombre de films, se transforment en bombes sexuelles uniquement vouées à copuler. Cronenberg explore dès lors la sexualité dans toutes ses composantes. Il évoque sans détour l’homosexualité, l’échangisme, les parties fines, mais également la pédophilie et le sado-masochisme au détour de quelques scènes audacieuses. Ajoutons à cela la forme phallique du fameux parasite et le viol symbolique subi par le personnage incarné par Barbara Steele et Frissons constitue ici la semence de tous les autres films de Cronenberg.
Une expérience inoubliable qui vous prendra aux tripes
Certes, tout n’est pas parfait dans ce Frissons puisque l’on trouve quelques erreurs de raccord. Le jeu d’acteur n’est pas toujours maîtrisé (Paul Hampton est un peu fade et certains seconds rôles font sourire par leur maladresse), mais il faut toujours garder à l’esprit l’économie dans laquelle il a été conçu, souvent sans possibilité de refaire les prises.
Sorti sur de nombreux territoires, souvent dans un circuit restreint, Frissons a suscité l’intérêt de nombreux spectateurs partout dans le monde. Le film confirmait une nouvelle tendance du film d’horreur contemporain qui visait à se débarrasser de l’héritage gothique pour plonger dans la modernité. Ayant coûté autour de 100 000 $, le film en aurait rapporté plus de 5 millions autour du monde.
Des souvenirs à conserver toute la mort
Rappelons enfin qu’à l’époque, les critiques ont déversé leur bile sur ce long-métrage souvent comparé à de la pornographie. Ce sont parfois les mêmes qui, plusieurs années plus tard, ont salué David Cronenberg comme étant un grand auteur. Les fans d’horreur, eux, n’ont pas attendu aussi longtemps pour comprendre l’importance d’un réalisateur alors conspué par la majorité.
Frissons est désormais disponible dans une belle édition combo DVD / Blu-ray chez ESC Editions, avec une qualité d’image très correcte et des suppléments très pertinents. On y trouve notamment un entretien audio avec Cronenberg, un passionnant making of rétrospectif d’une quarantaine de minutes, ainsi que des analyses fondamentales délivrées par Olivier Père. Une édition indispensable donc.
Critique de Virgile Dumez