Mélodrame méconnu signé Melville, Quand tu liras cette lettre pâtit d’un scénario daté, compensé en partie par une réalisation inspirée et des images superbes signées Henri Alekan. A découvrir.
Synopsis : Max Trivet est à la fois mécanicien, boxeur, voleur et gigolo. Mais lorsque son rendez-vous avec une jeune vendeuse aboutit au viol de celle-ci, sa soeur, Thérèse, une ancienne nonne, cherche à la venger. Problème : Thérèse n’est pas insensible aux charmes de Max.
Melville en quête d’un succès commercial
Critique : Lorsque Jean-Pierre Melville accepte de tourner Quand tu liras cette lettre… (1953) d’après un scénario original de Jacques Deval, il n’a à son actif que deux longs-métrages jugés par beaucoup comme des œuvres intellectuelles. Il a rencontré un joli succès avec Le silence de la mer (1949) d’après Vercors, beaucoup moins avec Les enfants terribles (1950), commande de Jean Cocteau. Les deux films sont pourtant de grande qualité, mais Melville a le sentiment qu’on ne le prend pas encore au sérieux au sein de la production française courante. Il accepte donc cette commande plus commerciale afin d’obtenir une légitimité auprès du public, des producteurs et de ses pairs.
Melville met tous les atouts dans sa manche en choisissant comme héroïne la chanteuse Juliette Gréco, véritable muse de Saint-Germain-des-Prés qui n’a obtenu que des petits rôles assez insignifiants au grand écran. Il l’oppose au jeune premier Philippe Lemaire qui est alors au sommet de sa popularité, notamment auprès du public féminin, dans un mélodrame qui avait tout pour cartonner en salles.
Un mélo teinté d’érotisme
Ecrit par Jacques Deval, dramaturge et réalisateur à succès des années 30, le scénario de Quand tu liras cette lettre… s’inscrit pleinement dans un style romanesque plébiscité par le grand public une vingtaine d’années auparavant. Si le mélodrame traditionnel fonctionne encore dans les années 30, certains rouages commencent à lasser le public des années 50. Melville parvient toutefois à en moderniser certains aspects en ajoutant notamment des sous-entendus sexuels plus osés que d’ordinaire. Ainsi, la relation entre Juliette Gréco et sa sœur Denise (incarnée par l’Italienne Irene Galter, sans grand charisme) peut apparaître comme légèrement teintée de lesbianisme et aussi d’inceste. Leurs attitudes, parfois franchement équivoques, le laissent entendre à plusieurs reprises.
Ce n’est pas le seul élément troublant puisque les relations entre le personnage de gigolo interprété avec talent par Philippe Lemaire et les trois femmes qui se succèdent dans ses bras sont pour le moins étranges. S’il exploite sans vergogne la femme mûre incarnée par Yvonne Sanson et qu’il se joue de la naïve Denise, le gigolo finit par tomber sous le charme de l’ancienne religieuse jouée avec conviction par Juliette Gréco. S’ensuit une rédemption qui n’est pas nécessairement crédible, mais a le mérite de ne pas condamner totalement un personnage jusque-là assez abject.
Des images magnifiques d’Henri Alekan
Alors que le script ne recule devant aucun retournement de situation au risque de paraître artificiel et donc terriblement daté, Jean-Pierre Melville fait preuve d’une certaine modernité dans sa réalisation. Il s’inspire notamment du cinéma américain des années 40 et notamment du film noir pour donner une plus-value visuelle au long-métrage. Aidé en cela par la maestria du directeur de la photographie Henri Alekan, Melville signe quelques plans mémorables baignant dans une lumière crépusculaire du meilleur effet. Il s’amuse également avec la profondeur de champ et accentue ainsi l’enfermement des personnages dans un rôle qu’ils doivent jouer jusqu’au bout malgré leurs désirs profonds.
Finalement, loin de n’être qu’une œuvre de commande insignifiante, Quand tu liras cette lettre… s’inscrit tout de même assez harmonieusement dans la filmographie de Melville, au même titre que Léon Morin, prêtre (1961), preuve que le cinéaste n’est pas réductible à ses seuls polars. Bien évidemment, Quand tu liras cette lettre… est une œuvre imparfaite, à cause de son script improbable et du jeu un peu daté de certains de ses acteurs, mais le long-métrage résiste tout de même bien mieux aux affres du temps que bon nombre de mélodrames insipides dégainés en série par le cinéma français de l’époque.
Un Melville mineur, mais qui mérite d’être redécouvert
Sorti sur les écrans en 1953, Quand tu liras cette lettre a attiré dans les salles plus d’un million de spectateurs essentiellement provinciaux. Un score correct, mais qui a tout de même déçu les attentes de Melville et des différents interprètes qui pensaient trouver en cette œuvre populaire un tremplin pour leurs carrières respectives. Souvent mal considéré, voire carrément rejeté par les fans du cinéma de Melville, ce mélodrame mérite pourtant un petit détour pour les cinéphiles férus du cinéma français des années 50. Il est loin d’être le vilain petit canard tant dénoncé.
Critique de Virgile Dumez