Prêtres interdits est un film à thèse qui s’interroge sur le libre arbitre au sein d’une institution comme l’Église catholique. Les auteurs posent les bonnes questions au cœur d’une œuvre qui souffre d’une réalisation atone, en partie compensée par le jeu des acteurs.
Synopsis : 1936. L’abbé Jean Rastaud exerce son ministère et on lui prédit un brillant avenir ecclésiastique. Un jour, il secourt Françoise, qui a fait une chute à bicyclette. La jeune fille tombe amoureuse et lui avoue ses sentiments. Malgré l’intervention de son ami, l’abbé Ancely, Rastaud ne résiste pas à l’inclination qu’il éprouve. Son évêque lui intime l’ordre de ne jamais revoir Françoise, qui est enceinte, sous peine d’être frappé d’interdiction. Le prêtre, qui ne veut pas commettre une lâcheté, passe outre…
Le tout dernier film de cinéma de Denys de La Patellière
Critique : Alors qu’il a toujours su réaliser des œuvres de commande de manière honorable, le réalisateur Denys de La Patellière vient de connaître une contre-performance au box-office avec Le tueur (1972) qui n’est pas parvenu à franchir le million de spectateurs alors que le thriller était porté par Jean Gabin. Il faut dire que le long-métrage était peu probant, marqué par un essoufflement d’une équipe jusque-là gagnante.
Il semblait donc temps pour Denys de La Patellière de passer à autre chose, et notamment à un projet qui serait un peu plus personnel. Pour cela, il collabore à un script plus audacieux signé Jean-Claude Barreau et François Boyer. Si le second intervient essentiellement en tant que dialoguiste, le premier est directement inspiré par son expérience personnelle pour écrire Prêtres interdits (1973).
L’histoire vraie de Jean-Claude Barreau transposée dans les années 30
Effectivement, Jean-Claude Barreau a lui-même été prêtre, avant de s’opposer frontalement aux positions de la papauté sur le mariage des curés et de quitter son ministère pour pouvoir épouser l’élue de son cœur. Dès lors, on comprend mieux pourquoi Prêtres interdits milite ouvertement pour l’évolution de l’Église catholique vers l’acceptation du mariage des prêtres. Les auteurs ont pourtant choisi de situer leur intrigue principale entre 1936 (date de l’accession au pouvoir en France du Front Populaire) et le début des années 70, dans une conclusion finalement assez pessimiste.
Si Prêtres interdits pose bien les termes du débat et ouvre donc des perspectives d’évolution de l’Église, le film n’embrasse pas que cette unique thématique et préfère aussi déborder de son cadre en proposant une réflexion sur l’engagement des hommes d’Église dans la vie de tous les jours. Est-ce qu’un curé doit avant tout respecter la morale chrétienne ou doit-il une obéissance aveugle envers sa hiérarchie, même si celle-ci se fourvoie ? Bien évidemment, les auteurs posent dans un premier temps la question essentielle : pourquoi les prêtres qui font la promotion d’une religion d’amour sont-ils voués à la chasteté et au célibat ? N’est-ce pas une contradiction intrinsèque ?
Les prêtres doivent-ils une obéissance aveugle envers leur hiérarchie ?
Mais dans la seconde partie du film qui se situe majoritairement durant la période de l’Occupation, les auteurs évoquent aussi la compromission de l’Église menée par Pie XII. Ils prennent donc ouvertement le parti des ecclésiastiques comme l’évêque de Toulouse, Mgr Saliège qui a pris la défense du peuple juif et a dénoncé les exactions des nazis, et ceci contre sa hiérarchie. Dès lors, le prêtre indépendant joué avec conviction par Robert Hossein s’engage dans la Résistance et réussit à entraîner son vieil ami, l’abbé interprété par un Claude Piéplu formidable. Finalement, Prêtres interdits n’est plus seulement l’analyse de la lutte d’un homme contre son institution, mais bien une réflexion sur le libre arbitre et le respect des principes qui doivent guider la vie de chacun d’entre nous.
Alors que le long-métrage milite pour une prise de conscience de l’Église sur ses responsabilités, la fin laisse supposer que rien n’a évolué à l’aube des années 70. Et le constat est tout aussi valable 50 ans plus tard puisque l’institution n’a pas changé de discours depuis l’époque, et ceci malgré des objections de plus en plus fréquentes de la part du personnel ecclésiastique.
Une réalisation trop académique qui dessert le propos
Malgré un script qui pouvait tomber facilement dans le mélodrame paroissial – un sous-genre typique du cinéma français des années 50-60 ayant trempé sa plume dans les bénitiers – Denys de La Patellière est parvenu à éviter cet écueil. Il emploie de manière judicieuse la superbe musique de Vivaldi et évite toutes les scènes qui pourraient paraître trop sentimentales. Malheureusement, sa réalisation toujours aussi académique plombe un peu l’ensemble et rabaisse le résultat final au rang d’un simple téléfilm à thèse. C’est d’autant plus dommage que les questions posées sont les bonnes et que l’attention aux personnages est d’une belle justesse.
Cette modestie du produit fini semble avoir condamné ses chances de succès auprès d’un vaste public. Ainsi, lors de sa sortie fin novembre 1973, Prêtres interdits n’a débarqué qu’en 5ème position du box-office parisien avec 32 630 catholiques dans les salles. La semaine suivante, ils sont encore 24 607 retardataires à la messe. Le film se maintient encore en troisième septaine avec 23 352 curieux, mais les nombreuses nouveautés de mi-décembre poussent les exploitants à faire de la place et Prêtres interdits termine donc son parcours à 94 673 Franciliens.
Pour Prêtres interdits, la messe est dite au box-office
Sur la France entière, le film commence surtout à être diffusé au mois de décembre 1973 se hissant entre la 10ème et 15ème place pendant quelques semaines. Mais les chiffres ne sont pas bons et le film finira sa timide carrière à 346 025 entrées. Cette déconvenue a d’ailleurs poussé Denys de La Patellière à accepter des travaux pour la télévision durant les vingt années qui suivirent. Prêtres interdits est ainsi son tout dernier film de cinéma, et s’il demeure inégal, le métrage est loin d’être inintéressant. Apparemment jamais exploité sur le moindre support vidéo, Prêtres interdits fait partie du catalogue StudioCanal qui l’exploite sur sa plateforme dans une copie tout juste digne d’une VHS.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 novembre 1973
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Denys de La Patellière, Robert Hossein, Louis Seigner, Claude Piéplu, Pierre Mondy, Claude Jade