Portier de nuit : la critique du film + le test blu-ray (1974)

Drame psychologique, Erotique, Romance | 1h59min
Note de la rédaction :
7/10
7
Affiche de Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani

  • Réalisateur : Liliana Cavani
  • Acteurs : Charlotte Rampling, Isa Miranda, Dirk Bogarde, Gabriele Ferzetti, Philippe Leroy, Marino Masé
  • Date de sortie: 03 Avr 1974
  • Année de production : 1974
  • Nationalité : Italien
  • Titre original : Il portiere di notte
  • Titres alternatifs : The Night Porter (Internationakl, USA), Der Nachtportier (Allemagne), Nachtportier (Belgique), Natportieren (Danemark), Nattportieren (Suède), Portero de noche (Mexique), El portero de noche (Espagne), O Porteiro da Noite (Portugal), Portero de noche (Amérique du Sud), O thyroros tis nyhtas (Grèce), Az éjszakai portás (Hongrie), Nocny portier (Pologne), O Porteiro da Noite (Brésil)
  • Autres acteurs :
  • Scénaristes : Liliana Cavani, Italo Moscati, Barbara Alberti, Amedeo Pagani
  • Monteur : Franco Arcalli
  • Directeur de la photographie : Alfio Contini
  • Compositeur : Daniele Paris
  • Maquilleurs : Iole Cecchini, Cesare Paciotti, Euclide Santoli
  • Chef décorateur : Osvaldo Desideri
  • Chef costumier : Piero Tosi
  • Producteurs : Esa De Simone, Robert Gordon Edwards, Paola Tallarigo
  • Producteurs exécutifs : Joseph E. Levine
  • Sociétés de production : Lotar Film Productions, Les Productions Artistes Associés
  • Distributeur : Les Artistes Associés
  • Distributeur reprise : Splendor (2012)
  • Date de sortie reprise : Solaris Distribution
  • Editeur vidéo : Wild Side, Carlotta (2024)
  • Date de sortie vidéo : 4 juin 2024 (DVD, Blu-ray, Carlotta)
  • Budget : -
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 1 377 616 entrées / 336 107 entrées
  • Box-office France (reprise) : 8 144 entrées (3 Octobre 2012)
  • Box-office USA : 633 298$
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans (16 ans depuis 1990)
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur (35 MM, Technicolor) / Mono
  • Festivals : L'Étrange Festival (2011)
  • Nominations : -
  • Récompenses : -
  • Illustrateur/Création graphique : © Jouineau Bourduge. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1973 Lotar Film Productions. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Portier de nuit est l’une des œuvres inconfortables des années 70. Disruptif, hypnotique et dérangeant, le choc est intellectuel et sensoriel ; il est cinématographique. Du grand art.

Synopsis : Vienne, 1957. Max travaille comme portier de nuit dans un grand hôtel. Un jour débarque Lucia, en voyage avec son mari chef d’orchestre. Lorsque leurs regards se croisent, les souvenirs remontent immédiatement à la surface : ancien officier SS, Max a entretenu avec Lucia une relation sadomasochiste alors qu’elle était prisonnière dans un camp de concentration. Entre l’ancien bourreau et sa victime, la passion va bientôt ressurgir…

Critique : En 1974, Portier de nuit trouve un écho impressionnant dans les médias et impose enfin le talent de Liliana Cavani jusqu’à Cannes. Portier de nuit n’y sera pas présenté, mais distribué en France, un mois avant le festival. Le buzz autour du film sur le nazisme incitera les programmateurs à sélectionner le film suivant de la cinéaste, et quel buzz !

L’un des films scandales des années 70

Lourdement interdit aux moins de 18 ans, le drame historique relate l’histoire passionnelle entre un Nazi et une jeune femme qu’il a torturée puis sauvée des camps de la mort. L’ambiance mortifère et tendue démontre que l’on ne s’aventure aucunement dans le divertissement à scandale gratuit, mais bel et bien dans les méandres de l’âme humaine, traquée dans ses renoncements et ses travestissements. A une époque où la relation sadomasochiste entre tortionnaires et victimes est au centre des produits de séries B dit d’exploitation, entre les WIP (Women in Prison) et les films de nazisploitation qui émergent (le choquant Love Camp 7 de Lee Frost en 1969, La SS était là, les Gretchen aussi, alias Ilsa, la louve des SS, en 1974), Portier de nuit propose une œuvre plus responsable et qui évite la complaisance, celle dont Pasolini fera montre dans son explicitation graphique du fascisme dans ce qu’il a de plus fécal avec le notoire Salo ou les 120 jours de Sodome (1976)

Le film peut être vu comme une œuvre belle car élégante, mais qui évoque l’abjection,  la décomposition du monde. Jusque dans son esthétisme, Portier de nuit inocule l’idée du moisissement psychologique, d’engourdissement général qui rattrape ceux qui essaient d’échapper à l’inévitable. Le film choc, dans ses torpeurs de cinéma lent et esthétique, nous confronte aussi à une bourgeoisie mortifère qui est infiltrée à tous ses rangs par des fantômes du système nazi qui veillent en souterrain à ne pas voir leur passé resurgir, quitte à se débarrasser avec leurs propres moyens des témoins gênants.

Portier de nuit en blu-ray chez Wild Side

© 1973 – Lotar Film Productions. Tous droits réservés.

Ambiance de mort à Vienne

La beauté spectrale de Portier de nuit est de chaque plan, au sein d’un hôtel luxueux, au cœur du Vienne de 1957. La décadence y occupe chaque étage dans une ambiance mortifère. L’art y est triste, qu’il soit musique classique ou ballet, dans les deux cas, il paraît bien dérisoire face aux souvenirs des horreurs récentes montrées en alternance et en flashbacks (à peine dix ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre). Certains dans cette intrigue tortueuse souhaiteraient que le caractère sublime de l’art puisse élever leur âme et effacer les péchés, mais ils doivent composer avec la gangrène de la solitude. La solitude des corps vieillissants qui ont survécu et qui ont besoin de jeunes gens à croquer pour retrouver l’énergie vitale. On y voit un danseur homosexuel maculé d’une poudre blanche sur le visage pour dissimuler, lors d’un ballet, ses propres vertiges passionnels et criminels, mais surtout, au cœur du récit, aussi un ancien nazi qui goutte à la passion risquée que déchaîne une ancienne victime, revue accidentellement, au détour du hall de l’hôtel où il travaille, pour oublier ses propres crimes…

Dans Portier de nuit, la société putride des nuits viennoises baigne dans une photographie diaphane où l’on sent le désir de la cinéaste d’en finir avec ce monde corrompu pour bâtir l’avenir dans la lumière d’une nouvelle société qui tarde à se mettre en place. Pour cela, elle utilise l’image forte d’un pont infranchissable comme pour affirmer que la chute de chaque protagoniste du passé doit s’imposer. Au prix d’une tragédie totale, l’espoir renaîtra-t-il?

Charlotte Rampling dans le rôle d’une vie

Découvrir en 2024, Portier de nuit peut paraître déstabilisant tant l’époque a simplifié, de façon confortable et unilatérale, le statut de la victime pour éviter de trop se pencher sur la complexité des bourreaux. Dans cette prise en otage des émotions et de l’esprit de la victime qui ne peut couper avec son passé, jusqu’à refuser de dénoncer le monstre qu’elle a fini par aimer, certains y verront la manifestation évidente de l’emprise et de son pouvoir masochiste ou sadique en fonction de la position que l’on occupe. Mais il serait fort regrettable de condamner le portrait de cette jeune innocente qui pactise avec le démon qui pourrait être son père, dans le rapport d’âge, avec les yeux de l’offense tant la réalité fasciste relatée par le film mérite une pleine confrontation pour mieux être combattue.

En 1974, avec Portier de nuit, Charlotte Rampling est devenue instantanément une vedette de premier plan que tous les cinéastes ne cesseront de s’arracher, à commencer par Patrice Chéreau qui parvient à la convaincre d’accepter le premier rôle de La chair et l’orchidée d’après Hadley Chase. On peut remercier Liliana Cavani d’avoir imposé cette beauté froide, ce diamant brut au regard faussement terne qui fait miroiter la tristesse du monde. Si jeune, la comédienne impose déjà ses propres termes. Face au brillant Dirk Bogarde qu’elle retrouvait peu après Les Damnés de Visconti, Rampling excelle à provoquer des sentiments contraires. Elle impose la stature des grandes. La jeune femme y est maturité et complexité avant l’âge, une actrice totale qui retrouvera cette forme d’entièreté chez Ozon, dans Sous le sable, où elle devra faire face, à un âge avancé, à bien d’autres fantômes de l’existence.

 

Portier de nuit, affiche de la reprise 2020

© 1973 – Lotar Film Productions. Tous droits réservés.

 

Frédéric Mignard

Box-office :

Avec un démarrage à 6 112 entrées sur Paris, pour son premier jour, Portier de nuit est indéniablement l’événement du 3 avril 1974. Face au phénomène de société Les Valseuses qui poursuit brillamment sa carrière en tête en 3e semaine, Portier de nuit entre en 2e place, avec 47 946 spectateurs. Treize cinémas le diffusent alors, dont l’Elysées Lincoln, le Publicis Matignon, le Saint-Germain Studio, le Dragon, le Jean-Renoir, le Saint-Lazare Pasquier, le Cambronne, le Victor-Hugo Passé et le Hollywood Boulevard où il triomphe avec 6 108 clients. En deuxième semaine, le film sulfureux de Liliana Cavani se maintient avec 49 870 spectateurs. En 3e semaine, le bouche-à-oreille est indéniable : 46 477 curieux veulent découvrir la passion perverse entre le bourreau SS et sa jeune victime. En 4e semaine, en abaissant son seuil à 37 161 spectateurs, Liliana Cavani franchit les 180 000 spectateurs et demeure brillamment dans le Top 5. Tant pis si le film n’est pas en compétition à Cannes où l’on attend Pasolini, Comencini et Fellini en compétition, Portier de nuit est un phénomène : encore 35 252 spectateurs en 5e semaine. Cannes se rattrape en mai en sélectionnant in fine, en compétition officielle, le biopic Milarepa d’une certaine Liliana Cavani… La cinéaste retrouvera la Croisette en 1981, avec son autre chef d’œuvre, La peau, avec Marcello Mastronianni, puis en 1989, avec le méconnu Francesco, avec Mickey Rourke et Helena Bonham Carter.

21 418 entrées en 6e semaine, 15 806 entrées en 7e semaine, 18 906 entrées en 8e semaine, 12 864 entrées en 9e semaine, 8 261 entrées en 10e semaine, le film frôle alors les 300 000 entrées sur la capitale. Le drame n’est plus qu’à 4 écrans (l’Elysées Lincoln, Saint-Germain Studio, le Montparnasse 83, le Gaumont Gambetta).

Au total, en première exclusivité, le classique achève sa carrière à 2 602 entrées dans 2 salles qui affichent encore de bons scores. Au total, 336 107 spectateurs auront pu découvrir l’œuvre strictement interdite aux moins de 18 ans à Paris. Sa diffusion avec un carré blanc à la télévision française dans la première moitié des années 80 démontrera une fois de plus son puissant caractère d’attirance et de répulsion.

Les sorties de la semaine du 3 avril 1974

Affiche de Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani

© Jouineau Bourduge. Tous droits réservés / All rights reserved

Le test blu-ray (2024)

Sorti en blu-ray, en 2011, chez Wild Side, Portier de nuit connaît à nouveau une belle édition, cette fois-ci chez Carlotta, grâce à une belle restauration italienne. Portier de nuit est une errance dans les tréfonds de l’âme humaine qui nous sort de notre confort de spectateurs pour nous ouater dans sa vérité cinématographique. 

Suppléments et packaging : 3.5 /5

Le slipcover de Carlotta est élégant, mais devrait peut-être proposer un visuel alternatif à celui de la jaquette pour éviter le côté doublon et personnaliser davantage l’édition. Celle-ci est belle et riche de deux beaux suppléments de 30 et 57 minutes chacun, tous deux inédits. Tout d’abord une interview sincère de Charlotte Rampling qui évoque sa recherche du risque et de personnages à la psychologie complexe, des conséquences de Portier de nuit sur sa carrière tant le film sur lequel elle est arrivée, grâce aux conseils de Dirk Bogarde, aurait pu lui nuire.

Très pertinente, l’interview fleuve avec Liliana Cavani, réalisée pendant le grand confinement de 2020, est différente de l’entretien que l’on avait pu découvrir en 2011, même si on y retrouve des réponses communes. La cinéaste évoque ainsi la genèse du projet qui suit un documentaire sur les femmes résistantes durant la Seconde Guerre mondiale ; elle revient en profondeur sur le casting de tous les acteurs, surtout Charlotte Rampling… Evidemment, elle relate aussi les problèmes de production, de financements, les aléas d’une œuvre compliquée et vénéneuse, dont la sortie française a carrément permis un rebond en Italie et aux USA.

L’image : 5 / 5

Elle est somptueuse, avec ses couleurs d’intérieur et d’extérieur toujours diaphanes, comme un lendemain de guerre désabusé qui se perd dans la décadence. La lumière est parcimonieuse, mais juste et troublante, le grain agréable. Une vraie réussite qui confirme la nécessité d’upgrader sa collection.

Le son : 3 / 5

La somptueuse et entêtante musique d’atmosphère de Daniele Paris gagne en DTS HD Master Audio. Mais, que cela soit en VO anglais ou en VF, une sensation d’étouffement limite un peu le déploiement de dialogues cristallins.

Frédéric Mignard

Biographies +

Liliana Cavani, Charlotte Rampling, Isa Miranda, Dirk Bogarde, Gabriele Ferzetti, Philippe Leroy, Marino Masé

Mots clés :

Nazisploitation, Les Films scandales du cinéma, Les Nazis au cinéma, La deuxième guerre mondiale au cinéma, Cinéma italien, 1974, Les succès de l’année 1974

Jaquette blu-ray de Portier de nuit, avec Slipcover, édition blu-ray (2024)

Jaquette blu-ray de Portier de nuit, avec Slipcover, édition blu-ray (2024) © 1973 – Lotar Film Productions. Tous droits réservés.

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