Premier film de Catherine Corsini, Poker décrit le Paris interlope avec rigueur, mais échoue à développer son intrigue policière. Malgré de très bons acteurs, l’ensemble est assez ennuyeux.
Synopsis : Hélène, fanatique de jeu, et particulièrement de poker, perd la somme de 50 000 francs, qu’elle va devoir rembourser en moins de 24 heures. Ses amis refusent de l’aider et le temps presse…
La passion du jeu selon Catherine Corsini
Critique : Initialement passionnée par l’art dramatique et le jeu, Catherine Corsini découvre finalement les joies de l’écriture et de la réalisation au début des années 80. Elle tourne notamment trois courts-métrages qui lui permettent d’affirmer sa personnalité et de rassurer d’éventuels investisseurs sur sa capacité à mener à bien un projet. Elle écrit ainsi son premier long-métrage Poker (1987) en s’inspirant de sa propre passion du jeu. Toutefois, elle y injecte aussi son goût pour le cinéma noir américain et cherche donc à s’inscrire dans un genre assez codifié, dont elle ne maîtrise pourtant pas toutes les règles.
Produit par Alain Sarde et Philippe Guez, ce premier film bénéficie d’un casting de bonne tenue, avec notamment Caroline Cellier qui sortait de succès comme L’année des méduses (Frank, 1984) et Poulet au vinaigre (Chabrol, 1985). Pierre Arditi, quant à lui, était une tête d’affiche moins populaire auprès du grand public, car systématiquement associé au cinéma intellectuel d’Alain Resnais.
Des acteurs solides au service de personnages mal définis
Avec de tels interprètes, Catherine Corsini pouvait en tout cas s’appuyer sur de grands professionnels, capables d’imposer leurs personnages en seulement quelques minutes. On peut d’ailleurs en dire autant des acteurs plus novices comme Jean-Philippe Écoffey qui compose une figure fraternelle troublante, à la lisière de l’inceste. Jacques Mathou n’a guère de difficultés à interpréter le petit truand menaçant, tandis que François Berléand fait un deus ex machina plutôt crédible.
Pourtant, malgré cette qualité générale de l’interprétation, Poker déçoit grandement les attentes par un manque évident d’écriture. Ainsi, les personnages principaux manquent de caractérisation et d’approfondissement. On ne saura finalement pas grand-chose du personnage joué par Pierre Arditi, si ce n’est qu’il traîne la même solitude que celle de la protagoniste. De même, les malfrats et autres joueurs ne sont définis que par leurs actions et tombent un peu trop souvent dans l’archétype facile.
Poker : thriller mou, mais bon document sur le Paris interlope
Comme l’a reconnu bien plus tard Catherine Corsini au cours d’entretiens, Poker n’est pas une œuvre aboutie car la réalisatrice a succombé au désir de s’inscrire dans un genre précis alors que son histoire ne le nécessitait finalement pas. Il aurait sans doute fallu se concentrer sur la psyché chahutée de cette femme qui arpente un milieu terriblement masculin, à la recherche du grand frisson procuré par le jeu. On ne sent que trop rarement le vertige qui peut s’emparer des joueurs compulsifs dans le film. Par contre, la cinéaste s’attarde parfois trop sur des sous-intrigues destinées à faire de Poker un thriller noir. Ces éléments sont peu convaincants et parasitent l’aspect documentaire sur un monde interlope.
Thriller faiblard, Poker aurait donc gagné à rester plus proche du réel. Car les séquences les plus réussies du long-métrage sont assurément celles qui plongent le spectateur dans ces cercles privés, au cœur d’un Paris nocturne où l’on sent poindre le goût de la réalisatrice pour la vie noctambule. Entre les prostituées, les travestis, les camés et autres marginaux, Caroline Cellier trimbale sa solitude, ne sachant pas bien quoi espérer de l’existence. Si le personnage est plutôt fascinant, le long-métrage échoue à l’approfondir réellement.
Un gros échec commercial pour un film tombé dans l’oubli
Sur une musique jazzy d’Hubert Rostaing, Poker cherche donc à concilier film noir américain et description réaliste d’un milieu particulier sans y parvenir tout à fait. Le résultat, très inégal, n’a guère obtenu la clémence des critiques à l’époque. Sorti au mois de janvier 1988, le long-métrage n’a pas laissé une trace impérissable au box-office national, d’autant que la période était difficile pour le cinéma français. Catherine Corsini a d’ailleurs choisi de travailler un temps pour la télévision, avant de connaître une sorte de renaissance artistique grâce au très bon Les amoureux (1994). Elle a finalement connu son premier vrai succès public avec La nouvelle Eve (1999), porté par l’excellente Karin Viard.
Critique de Virgile Dumez