Polar inégal, Pile ou face demeure sympathique grâce à un ton ironique et désabusé porté par deux acteurs au sommet de leur art. Pas indispensable, mais agréable.

Synopsis : Intimement persuadé qu’il a poussé sa femme par la fenêtre pour fuir avec sa maîtresse, un inspecteur harcèle à outrance son suspect principal jusqu’à le pousser à bout…

Un projet porté par Michel Audiard

Critique : A la fin des années 70, le cinéaste Robert Enrico est dans une mauvaise passe après l’échec commercial de L’empreinte des géants (1979) et il compte se refaire avec une œuvre plus commerciale. Il n’est d’ailleurs pas à l’origine du projet de Pile ou face (1980) et ne sera sur le film qu’un exécutant au service du scénario et des deux stars impliquées.

A la base, l’idée initiale viendrait de Michel Audiard comme l’affirme Michel Serrault dans son autobiographie … Vous avez dit Serrault ? (2001) :

En tout cas je reçus un jour de Michel (Audiard) un roman américain intitulé en français Suivez le veuf. Audiard m’avait glissé un mot : « Lis. Si ça te plaît, on te le taille à tes mesures ». Ça me plut.

Philippe Noiret confirme les propos de Serrault (dans Philippe Noiret de Dominique Maillet, Veyrier, 1989, p 267) :

Audiard […] était au départ de tas de films, souvent même de films auxquels il ne collaborait pas forcément. C’est quelqu’un qui lisait beaucoup et comme il avait du « nez », il lui arrivait souvent de donner à l’un ou à l’autre tel roman ou telle idée.

Finalement, Audiard, Gary Graver et Marcel Jullian se sont associés pour adapter le roman d’Alfred Harris écrit en 1975 au contexte français. Ils insufflent notamment à l’intrigue une ambiance à la Simenon en insistant sur la localisation dans le port de Bordeaux et en décrivant par le menu les petites affaires qui président aux destinées d’une ville de province. Audiard en profite aussi pour donner le beau rôle aux deux stars pour lesquelles il écrit, au risque d’ailleurs de ne pas suffisamment rendre l’affaire qui secoue la ville intéressante.

© 1980 StudioCanal – France 2 Cinéma / © 2013 StudioCanal. Tous droits réservés.

Un manque de charpente au niveau du scénario

Effectivement, si l’intrigue principale qui lie les deux personnages du flic (Noiret) et du veuf (Serrault) est au cœur du film, les auteurs ont eu conscience que cela ne suffisait pas à alimenter un long-métrage. Toute l’histoire secondaire des magouilles entre politiciens, policiers véreux et malfrats n’est malheureusement pas aussi passionnante et la plupart des rebondissements tombent à l’eau. C’est assurément le plus gros défaut de Pile ou face dont la colonne vertébrale narrative n’est pas assez charpentée pour passionner.

Autre défaut significatif, le réalisateur Robert Enrico ne semble s’être impliqué que de manière superficielle dans cette œuvre de commande apportée par Georges Cravenne, publiciste et père des César qui s’offrait sa première production. Lui qui a su si souvent être efficace, voire inspiré dans sa réalisation, n’est que l’ombre de lui-même dans ce polar tourné comme un téléfilm. Peu d’efforts de mise en scène, une image un peu frustre et un découpage très routinier n’aident pas vraiment à valoriser un script déjà inégal.

Une vision très sombre des rapports humains

Que reste-t-il donc à Pile ou face qui le rend si sympathique à l’arrivée ? Tout d’abord, le jeu du chat et de la souris que se livrent Noiret et Serrault est pour le moins étonnant, dessinant progressivement une forme d’attraction – haine entre deux hommes que tout semble opposer mais qui vont se trouver un beau point commun, en l’occurrence la misogynie. Effectivement, comme souvent dans les œuvres scénarisées par Michel Audiard, les femmes en prennent pour leur grade. Toutefois, l’auteur a le mérite d’évoquer un phénomène pourtant bien réel et plus fréquent qu’on veut bien le croire : celui des hommes maltraités et battus par leurs femmes.

Malgré leur situation opposée, les deux protagonistes du film se reconnaissent finalement comme frères d’esprit dans un monde qui semble invariablement corrompu. Ces prises de position ne sont pas vraiment celles de Robert Enrico mais plutôt de Michel Audiard qui, à partir des années 80, a développé des thématiques nettement plus sombres et pessimistes, au point d’en arriver à une forme avancée de misanthropie. Ce Audiard « deuxième manière » imprègne très fortement l’ensemble de Pile ou face qui crache à la figure de la société de bien belle manière.

Un superbe duel Noiret-Serrault

Bien évidemment, tout ceci ne serait pas regardable sans la contribution majeure des deux acteurs principaux qui se renvoient la balle avec jubilation. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les deux ne cabotinent pas et demeurent parfaitement dans les marques de leur personnage. Michel Serrault démontrait sa capacité à incarner des êtres troubles, lui qui allait enchaîner avec le tournage de Garde à vue (Miller, 1981). Le film devait définitivement changer le regard de la profession sur celui qui était jusqu’alors jugé comme un comique un peu lourd. De son côté, Philippe Noiret n’avait déjà plus rien à prouver. Il retrouvait ici son metteur en scène du Vieux fusil (1975) et s’apprêtait lui aussi à interpréter un rôle majeur dans sa carrière avec Coup de torchon (Tavernier, 1981). Entre eux, on notera la présence peu envahissante de la jeune Dorothée, et surtout d’un Pierre Arditi encore bien jeune.

Film commercial fondé sur ses deux têtes d’affiche, Pile ou face est donc loin d’être indispensable, mais le long-métrage distille une petite musique fort agréable, soutenue par les dialogues bien sentis d’un Audiard en mode discret. A l’époque, les distributeurs ont fait le pari de sortir le film en plein mois d’août, période généralement creuse dans l’exploitation française. Finalement, le long-métrage a été un succès avec 1 194 710 entrées sur tout le territoire national. Le film s’est positionné en tête des entrées parisiennes du 13 août 1980, avant de se faire déloger de la première place la semaine suivante par la déferlante L’empire contre-attaque (Kershner, 1980).

Aujourd’hui passablement oublié, Pile ou face demeure un bon moment à passer pour les amoureux d’un cinéma français à l’ancienne, porté par deux acteurs au firmament. Et c’est déjà beaucoup.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 13 août 1980

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© 1980 StudioCanal – France 2 Cinéma / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.