Pas de vagues raconte une histoire profondément humaine qui révèle le malaise qui étreint aujourd’hui le milieu scolaire, avec une belle pertinence et de la nuance. A voir.
Synopsis : Julien est professeur au collège. Jeune et volontaire, il essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie. Ce traitement de faveur est mal perçu par certains camarades qui prêtent au professeur d’autres intentions. Julien est accusé de harcèlement. La rumeur se propage. Le professeur et son élève se retrouvent pris chacun dans un engrenage. Mais devant un collège qui risque de s’embraser, un seul mot d’ordre : pas de vagues…
Face aux risques du métier
Critique : Déjà auteur de deux longs-métrages remarqués (Jimmy Rivière en 2011 et Le prix du succès en 2017), le réalisateur Teddy Lussi-Modeste est parallèlement professeur de français dans des établissements scolaires de la banlieue parisienne. En 2020, il est injustement accusé par une élève de harcèlement et tombe alors dans une spirale de la peur, risquant chaque jour de se faire démolir par la famille de la prétendue victime. Dans le même temps, le professeur ne se sent aucunement soutenu par sa hiérarchie qui applique de manière évidente la philosophie du « pas de vagues ».
Cet épisode douloureux de son existence a donné lieu à l’écriture de son troisième long-métrage intitulé justement Pas de vagues. Afin de se mettre à distance raisonnable de son sujet, Teddy Lussi-Modeste a fait appel à Audrey Diwan pour l’aider à transformer cette expérience en un film qui serait particulièrement équilibré dans sa description des événements. Bien entendu, Pas de vagues n’est aucunement une œuvre destinée à discréditer la parole des victimes de harcèlement. Ainsi, la jeune Leslie (impeccable Toscane Duquesne) pense réellement avoir été la cible d’attentions particulières de la part de son professeur. Mais lorsqu’elle se rend compte de son erreur, il est trop tard pour faire marche arrière.
Un point de vue nuancé qui ne juge personne
Teddy Lussi-Modeste démontre ici la volatilité de la parole des adolescents qui ne savent pas toujours bien interpréter les signes envoyés par les adultes. De son côté, le professeur excellement interprété par François Civil est assurément un bon enseignant qui parvient à captiver son auditoire. Toutefois, il commet aussi quelques erreurs qui vont, ici, s’avérer désastreuses dans ces circonstances. Ainsi, lorsqu’il récompense certains élèves en les emmenant manger un kebab, il crée une rupture d’égalité qui ne peut que susciter la jalousie des autres membres de la classe, et notamment de la jeune Océane qui monte une cabale contre le professeur.
Dans tous les cas, l’affaire prend une dimension disproportionnée à cause d’un défaut évident de soutien de la part de la hiérarchie, représentée ici par un principal sans envergure qui entend rester en sécurité dans son bureau. Il représente parfaitement ces nombreux chefs d’établissement qui ont démissionné dans leurs têtes. Il est toutefois important de préciser que de nombreux proviseurs officient encore de manière efficace et respectueuse envers leurs troupes. Mais, le sentiment d’abandon par la hiérarchie (rectorat et ministère en première ligne) pèse lourd dans le désespoir actuel du monde enseignant qui est parfaitement retranscrit ici.
La solitude du prof en fond de cours
Par ailleurs, si le réalisateur évoque un initial mouvement de solidarité entre professeurs, il indique également que le soutien corporatiste n’existe plus vraiment et qu’être enseignant de nos jours implique beaucoup de solitude. Pour cela, le cinéaste insiste pour isoler progressivement son personnage principal, d’abord encadré par des collègues, puis, peu à peu, mis en retrait de la communauté éducative. Mais les moments les plus difficiles et stressants interviennent lorsque celui-ci constate qu’il n’a plus de prise sur des élèves qu’il avait su initialement captiver. Il s’agit assurément d’un échec douloureux, favorisé par les rumeurs et l’implication désastreuse des parents d’élèves.
D’une belle justesse dans sa description du milieu scolaire – on sent que l’auteur est lui-même enseignant – Pas de vagues profite de l’interprétation impeccable d’un François Civil qu’on croirait taillé pour la fonction. On ne voit jamais l’acteur mais bien son personnage de prof, et ceci dès les premières minutes du film. Sa performance est à saluer bien bas. Il est soutenu par un jeune casting formidable et qui constitue une classe parfaitement crédible. Enfin, si la réalisation demeure très classique, elle est soutenue par une bande sonore électronique angoissante de Jean-Benoît Dunckel (un des deux membres du groupe Air) qui souligne à loisir le malaise grandissant au sein de cet établissement.
L’école, écosystème en danger!
La dernière scène d’alerte intrusion vient rappeler avec force que l’école est désormais dans un état d’urgence absolu puisqu’elle a laissé les problèmes de la société la pénétrer de toute part, et qu’elle risque d’y perdre gros. La crise des vocations d’enseignant n’est qu’un symptôme parmi tant d’autres qui démontrent la mauvaise santé de cette institution. Le récent La salle des profs (Ilker Çatak, 2023) confirme que ce malaise touche également l’Allemagne, ainsi que d’autres pays européens. Pas sûr que cela soit rassurant.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 mars 2024
Biographies +
Teddy Lussi-Modeste, François Civil, Shaïn Boumedine, Fadily Camara, Mallory Wanecque, Agnès Hurstel
Mots clés
L’école au cinéma, La relation prof-élève au cinéma, La banlieue au cinéma