Drame scolaire tournant au thriller stressant, La salle des profs entend évoquer les tensions sociales en Allemagne par le prisme de l’éducation. Le constat est aussi accablant qu’essentiel.
Synopsis : Alors qu’une série de vols a lieu en salle des profs, Carla Nowak mène l’enquête dans le collège où elle enseigne. Très vite, tout l’établissement est ébranlé par ses découvertes…
Le poids de la preuve
Critique : Déjà auteur de plusieurs courts-métrages et de trois longs de fiction qui n’ont pas été montrés en salles en France, mais ont été diffusés sur la chaîne Arte, Ilker Çatak a évoqué avec son ami d’enfance Johannes Duncker un vague souvenir d’enfance lié à des vols dans son école. A partir de cette simple conversation, les deux hommes ont pensé que cela pouvait faire l’objet d’un long-métrage intéressant. Ainsi a débuté le processus de création de La salle des profs (2023) qui pose ses caméras dans un collège allemand.
Le postulat de départ semble particulièrement anodin puisque le cinéaste évoque de simples faits de vols qui se produisent jusque dans la salle des professeurs. Cela initie un cycle de suspicion qui va des élèves, aux professeurs et jusqu’aux personnels administratifs et d’entretien. Toutefois, le métrage se concentre sur le personnage d’une jeune prof de mathématiques qui, lors d’une séance programmatique, montre à ses élèves que toute affirmation doit reposer sur des preuves solidement démontrées.
Le microcosme scolaire comme miroir de la société allemande
Afin de mettre en application cette théorie, la jeune femme décide d’enquêter en espionnant ses collègues par le biais d’une caméra dissimulée. Elle croit alors détenir la preuve de l’implication d’une secrétaire dont le fils est justement scolarisé dans sa classe. Toutefois, la preuve est loin d’être probante et la méthode employée n’entre pas dans le cadre de la légalité. De quoi mettre la professeure dans une situation intenable. Ainsi, croyant révéler la vérité, elle se retrouve accusée de toute part, aussi bien lâchée par l’administration, ses collègues et, pire, ses propres élèves.
© 2023 if… Productions – Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF) – ARTE / Tandem Distribution. Tous droits réservés.
Bien entendu, le propos de La salle des profs ne se limite aucunement au milieu scolaire et le microcosme éducatif apparaît comme un miroir d’une société allemande en crise. Ilker Çatak s’attaque donc ici au système éducatif actuel fondé sur le primat de la parole de l’élève et le culte de l’enfant roi. Cette tendance observable en France, mais exacerbée en Allemagne, accepte des comportements inadaptés de la part de gamins qui se croient tout permis et parlent d’égal à égal avec les adultes. Mais le film montre aussi la participation parfois nocive des parents d’élèves à la prise de décision. Enfin, le métrage a l’excellente idée de détruire le mythe du corporatisme enseignant en montrant les petites haines et bassesses entre collègues.
La salle des profs, un drame filmé comme un thriller
Mais surtout, La salle des profs enferme ses protagonistes dans un système absurde et destructeur, auquel fait écho la forme même du film, marquée par un format carré étouffant (en 1.37). A l’aide d’une musique stressante et entêtante signée Marvin Miller, La salle des profs se transforme peu à peu en un thriller tendu. Même si le métrage n’aboutit pas à un drame paroxystique, il emprisonne les personnages et le spectateur dans un piège qui se referme peu à peu. Plus la prof tente de se justifier et de s’en sortir, plus elle commet d’erreurs et devient persona non grata dans son établissement.
Interprété avec beaucoup de force par Leonie Benesch, La salle des profs peut donc être vu comme le cauchemar ultime du professeur, puisque ses erreurs n’ont rien à voir avec sa pratique de tous les jours – il s’agit d’une enseignante de qualité – mais bien dans la perception qu’en ont les autres dans une société de plus en plus divisée. L’émoi suscité par le film en Allemagne vient de sa capacité à poser des questions sans y apporter de réponse ferme. Ainsi, La salle des profs interroge notre rapport à l’autorité, à la véracité, à la presse et aux réseaux sociaux, tout en évoquant le terrible phénomène de ce que l’on peut nommer la mise à mort sociale. En cela, il concerne chacun d’entre nous, puisque personne n’est à l’abri.
Présenté au Festival de Berlin dans la section Panorama en 2023, La salle des profs a connu un beau succès dans les pays germaniques, avant d’être sélectionné pour participer aux Oscars 2024 en tant que meilleur film étranger. Il débarque à cette occasion en France sous la houlette de Tandem Distribution et s’avère effectivement une bonne surprise.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 mars 2024
© 2023 if… Productions – Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF) – ARTE / Affiche : Jeff Maunoury. Tous droits réservés.
Biographies +
Ilker Çatak, Goya Rego, Padmé Hamdemir, Leonie Benesch
Mots clés
Cinéma allemand, L’école au cinéma, Les relations entre profs et élèves au cinéma