Olivia est l’un des premiers grands films féministes français, signé par une réalisatrice qui mérite d’être redécouverte.
Synopsis : 1890. Mademoiselle Julie dirige avec professionnalisme, bienveillance et bonne humeur, le pensionnat des Avons, réservé à des jeunes filles de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Mademoiselle Cara, son amie et associée, dépressive et fragile, se complaît dans l’immaturité et les caprices, percevant les élèves comme des rivales. L’arrivée d’Olivia, nouvelle pensionnaire très attachée à Mademoiselle Julie, sème le trouble dans l’institution.
Portrait de groupe avec dames
Adapté d’un roman de Dorothy Bussy, Olivia est le quatrième long métrage de Jacqueline Audry, qui était, en ce début des années 50, la seule femme réalisant des longs métrages de fiction en France. Passionnée par les transpositions littéraires (on lui doit aussi des adaptations de Colette), cette ancienne assistante de Pabst et Ophuls a été épaulée pour le scénario du présent film par sa sœur, l’écrivaine féministe Colette Audry ; et par son époux, le dialoguiste Pierre Laroche. Jacqueline Audry, bien intégrée dans la profession malgré le sexisme ambiant de l’époque (elle était l’exception qui confirme la règle), a en outre bénéficié d’un budget confortable, de par la présence de stars et du gratin des collaborateurs artistiques et techniques, dont le directeur de la photo Christian Matras et le chef décorateur Jean d’Eaubonne. Conscient du caractère sulfureux du sujet qui évoquait un sujet tabou à l’époque (l’homosexualité féminine), les producteurs ont fait confiance à Jacqueline Audry pour le traiter avec retenue, en exigeant de garantir un dénouement conforme à la bienséance morale. Il n’empêche que le récit apparaît bien audacieux pour l’époque, la relation entre Mademoiselle Julie et Mademoiselle Cara dépassant explicitement le cadre de la complicité amicale et professionnelle.
Et si le mot amour est prononcé avec toutes ses acceptions, le sentiment d’Olivia envers Mademoiselle Julie ne laisse guère de doute sur sa teneur. Quant au baiser furtif de la directrice le soir de la cérémonie du bal, il apparaît clairement comme une pulsion physique, davantage qu’un geste maternel ou protecteur. Même si le scénario ne laisse aucunement la place au graveleux et ne narre que des rapports platoniques, la différence d’âge entre les protagonistes et le déroulement de cette confusion des sentiments dans un cadre éducatif renforcent le caractère transgressif du film, ce qui n’a pas échappé aux ligues de vertu qui crieront au scandale, alors que même la commission de censure avait fermé les yeux. Olivia est par ailleurs l’une des premières œuvres du cinéma français à évoquer le désir féminin et la volonté d’émancipation des femmes. Et s’il fallait citer un lien avec d’autres cinéastes dans ce portrait de groupe avec dames, c’est bien le nom d’Ophuls, et pas seulement en raison de la distance prise avec les conventions du film à costumes, ou de la musique de Pierre Sancan, qui évoque les partitions de Georges van Parys.
Olivia ou la confusion des sentiments
Les désillusions de la passion, l’exil affectif ou les trahisons amoureuses que vivent (ou suscitent) Mademoiselle Julie et Olivia font écho aux turpitudes qu’avaient rencontrées (ou rencontreront) des personnages de Joan Fontaine dans Lettre d’une inconnue ou Danielle Darrieux dans Madame de… L’interprétation des adultes est un régal. Edwige Feuillère (Mademoiselle Julie) est magnifique dans un rôle à risque pour son image, tout en restant fidèle à sa distinction et sa personnalité théâtrale ; la scène où elle déclame des vers d’Andromaque, suscitant le trouble chez ses élèves, est un grand moment de cinéma, digne de Renoir ou Rohmer. On apprécie aussi l’exquise Simone Simon (Mademoiselle Cara), encore dans un emploi de femme-enfant, alors qu’elle approchait la quarantaine. Yvonne de Bray en cuisinière gouailleuse et Suzanne Dehelly en prof de maths sosie d’Olive Oyl, et qui « a toujours eu des problèmes avec les chiffres », forment de délicieux seconds rôles. On regrettera juste la fadeur des jeunes actrices, dont Marie-Claire Olivia dans le rôle-titre, et quelques tournures de dialogues qui supportent mal l’épreuve du temps.
Le film fut un succès en salle mais suscita des controverses de par son sujet licencieux. Curieusement, il est tombé ensuite dans un injuste oubli, tout comme sa réalisatrice, qui tournera pourtant jusqu’à la fin des années 60. Les critiques réactionnaires se déchaînèrent : « On a envie (…) de voir entrer un beau malabar qui distribuerait quelques gifles, histoire de remettre le cœur de ces dames à la place que la nature lui a assignée » (Aux Écrits, 1951). Les plus progressistes n’y virent que préciosité et joliesse féminines. Quant aux futurs thuriféraires de la Nouvelle Vague, ils assimilèrent le métrage au reste de la production d’une « qualité française » et d’un cinéma de studio dépassé. Tous ces reproches n’étaient pas fondés, et l’œuvre fut longtemps invisible. Olivia a bénéficié d’une restauration numérique effectuée par les Films de la Pléiade, en collaboration avec les Films du Jeudi, à l’aide des négatifs originaux du CNC et d’une copie de la Cinémathèque française. L’œuvre, ressortie en salles et éditée en DVD, a été l’un des événements du 42e Festival international de films de Femmes de Créteil en 2019.
Critique de Gérard Crespo