Michel-Ange déploie ses charmes esthétiques avec majesté sur un script qui évite le biopic académique par une immersion totale dans une époque folle et jamais idéalisée. Il s’agit assurément d’un grand film d’histoire.
Synopsis : Michel-Ange à travers les moments d’angoisse et d’extase de son génie créatif, tandis que deux familles nobles rivales se disputent sa loyauté́.
Konchalovsky effectue sa Renaissance
Critique : Au cours des années 2010, le cinéaste russe Andreï Konchalovsky souhaite à nouveau aborder la vie d’un peintre, comme il le fit autrefois en écrivant le scénario d’Andrei Roublev (1966) avec Andreï Tarkovski. Cette fois-ci, le réalisateur choisit de se pencher sur la vie de Michel-Ange, peintre et sculpteur de génie de la Renaissance italienne. Toutefois, il ne souhaite pas livrer un biopic académique qui reprendrait chaque étape de la vie de l’artiste. D’ailleurs, le titre original du film (Il Peccato) nous indique que le but du réalisateur n’était pas de se concentrer uniquement sur la vie et l’œuvre de Michel-Ange, mais bien sur les rapports de l’artiste avec son temps.
Michel-Ange n’est donc pas tant un biopic classique qu’une évocation d’une autre époque où se jouaient des rapports de pouvoir particulièrement complexes. A l’aide de nombreux historiens, Konchalovsky est parvenu à toucher du doigt la réalité d’une époque, comme a su si bien le faire autrefois un cinéaste comme Ermanno Olmi. Dans son Michel-Ange, les gens sont sales, les costumes ont vécu, les décors sont à la fois splendides et dégoutants, tandis que le spectateur a l’impression de sentir les odeurs nauséabondes s’échappant des pièces et des ruelles où s’entassent les excréments.
Michel-Ange, une reconstitution naturaliste
D’ailleurs, le cinéaste ne s’en cache pas et a même déclaré à la sortie :
Je ne veux pas voir de jolis portraits dans le cadre. Je veux voir des gens avec des vêtements sales, couverts de sueur, de vomi et de salive. L’odeur doit traverser l’écran et atteindre le spectateur.
Mission parfaitement accomplie dans ce domaine puisque le naturalisme domine cette œuvre qui respecte au mieux la réalité historique de l’époque. On s’y croirait vraiment et chaque plan fixe – au cadre resserré en 1.33 – exhale la vie sous toutes ses formes. Comme dans beaucoup de films slaves, le chaos s’invite très souvent au cœur du plan, lui donnant ainsi une vitalité extraordinaire, alors même que la caméra reste fixe afin de composer des tableaux vivants.
L’artiste navigue au gré des pouvoirs en place
Pour autant, le long-métrage ne serait pas aussi passionnant s’il n’évoquait pas la rivalité entre les deux familles qui se disputent le pouvoir pontifical de l’époque. D’un côté les Della Rovere et de l’autre les Médicis. Bien entendu, le génial Michel-Ange doit sans cesse composer avec les deux entités rivales pour tenter d’obtenir les contrats les plus juteux. Ainsi, le cinéaste évoque la rapacité de la famille de Michel-Ange qui réclame toujours plus de deniers et qui vit à ses crochets. L’artiste sous pression est donc régulièrement en proie au doute et à la dépression, d’autant qu’il ne semble guère avoir de vie personnelle (son homosexualité n’est que suggérée lors d’une séquence dialoguée avec son assistant interprété par Jakob Diehl).
Bien entendu, derrière ce portrait d’un artiste en proie à la censure des dirigeants en place, on peut lire un autoportrait du cinéaste lui-même. Celui-ci n’a-t-il pas dû composer tout d’abord avec le pouvoir communiste dans les années 60-70, puis avec les dirigeants des studios américains dans les années 80-90, avant de devoir se plier aux exigences de Vladimir Poutine, dont il est le protégé de nos jours. Michel-Ange est-il un moyen pour Konchalovsky de répondre aux critiques qui voient désormais en lui un agent du pouvoir lié au maître du Kremlin ? Peut-être.
Un traitement original qui détourne les codes du biopic
En tout cas, si c’est le cas, il le fait de bien belle manière, grâce à une réalisation ample et une réelle imagination pour détourner les codes du biopic. Ainsi, le cinéaste ne montre jamais Michel-Ange au travail, préférant le suivre dans ses errances et divagations poétiques, ainsi que dans ses moments de grande dépression. Au détour d’un plan, l’amateur du sculpteur pourra saisir une source d’inspiration qui infusera par la suite dans son travail d’artiste. Au centre du film, Konchalovsky insiste également sur la recherche de la matière première dans les carrières de marbre de Carrare. Il fait alors de la matière la source même de l’inspiration artistique. La séquence avec le bloc de marbre appelé « monstre » fait ainsi écho à celle de la fonte de la cloche dans Andrei Roublev.
Dominé par l’interprétation fiévreuse d’Alberto Testone qui ressemble beaucoup à son modèle sur le plan physique, Michel-Ange est également sublimé par la belle photographie d’Alexandre Simonov, tandis que la musique électronique d’Edouard Artemiev vient enrichir les sensations fortes éprouvées pendant la projection, rappelant ses compositions pour le grand Tarkovski.
Une carrière entravée par la crise de la Covid-19
Malgré la maestria déployée, le long-métrage manque parfois de clarté dans l’enchaînement des différentes séquences et l’on sent que le montage n’est pas toujours pleinement satisfaisant. De même, il manque sans aucun doute un grand moment de poésie inoubliable qui ferait du film un incontournable de la cinéphilie mondiale. Michel-Ange n’en demeure pas moins une œuvre remarquable et largement au-dessus de la mêlée, évoquant notamment les grands films fous produits dans les années 70-80.
Malheureusement, sa sortie française à la fin du mois d’octobre 2020 a correspondu à la fermeture des salles de cinéma pour une durée de six mois à cause de la pandémie de la Covid-19. Son exploitation a donc été interrompue dès sa semaine d’investiture. UFO Distribution a opté pour une mise sur le marché d’un support vidéo dès le mois de mars 2021 afin de limiter les pertes sèches. Toutefois, lors de la réouverture du 19 mai 2021, Michel-Ange a été repris et a pu continuer sa carrière en salles pour atteindre 113 859 amateurs d’art.
Critique de Virgile Dumez
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Andrei Konchalovsky, Julia Vysotskaya, Orso Maria Guerrini, Alberto Testone, Jakob Diehl
Mots clés
Cinéma russe, L’Italie au cinéma, L’art au cinéma, La peinture au cinéma