C’est dans les silences et les regards que gagne en puissance Mademoiselle Chambon, magnifique histoire d’amour sans issue. Les comédiens, dans la retenue, sont tous magistraux.
Synopsis : Jean est quelqu’un de bien : un bon maçon, un bon fils, un bon père et un bon mari. Et dans son quotidien sans heurt, entre famille et travail, il croise la route de Mademoiselle Chambon, l’institutrice de son fils. Il est un homme de peu de mots, elle vient d’un monde différent. Ils vont être dépassés par l’évidence des sentiments.
Stéphane Brizé affine sa fibre sociale
Critique : En s’intéressant aux tourments du cœur des petites gens, Stéphane Brizé (Entre adultes, Je ne suis pas là pour être aimé) offre au cinéma français l’une de ses plus belles histoires d’amour. Avec la retenue d’un Claude Sautet, il parvient à capter l’émotion dévorante de la passion, celle qui tombe du ciel pour chambouler votre routine et s’insinue dans vos sentiments jusqu’à l’obsession. Celle aussi qui vous ronge dans sa frustration quand elle ne peut se déployer, et qui finit par faire jaillir des larmes de sincérité.
Ce qui frappe immédiatement le spectateur dans ce récit de passion réprimée, c’est la modestie du trio de personnages au cœur du triangle amoureux (un maçon et sa femme, Lindon et Aure Atika, et l’institutrice de leur fils, Sandrine Kiberlain). Il y a d’abord l’expression d’ignorance des parents qui essaient d’aider leur enfant à faire un exercice de grammaire lors d’une séquence d’ouverture signifiante. L’approche est à la fois drôle et dramatique, et elle situe le couple d’ouvriers en dehors des canons sociaux de la réussite (aucune culture et aucunes connaissances intellectuelles). De l’autre côté du couple se tient l’institutrice remplaçante, rayonnante et formidable d’humanité auprès de ses élèves, en qui on sent une fêlure, une blessure inexprimée, si ce n’est par son refus de rester dans les postes qu’on lui propose. Ne s’agirait-il pas d’un manque d’amour et d’un décalage affectif vis-à-vis de sa famille froide et méprisante ?
Mademoiselle Chambon, un trésor de finesse et de subtilité
Son désir d’union et de communion se manifeste immédiatement par son coup de foudre, un soir après les cours, pour le père de famille humble et maladroit devant le savoir et la culture qu’est Jean (donc Lindon…). Touchée par sa simplicité, frappée par son naturel, l’instit fond et lui demande d’intervenir dans son cours pour présenter son métier. Lui, le rustre qui n’est jamais parvenu à apprivoiser les mots… Il vient aussi, timidement, réparer sa fenêtre à son domicile – celui d’une vieille fille qui vit dans les livres et les CDs de musique classique, dans un appartement qui pâtit de l’absence d’un homme.
La grâce et les regards fuyants de Sandrine Kiberlain, la force virile et paradoxalement la grande fragilité de Lindon se conjuguent dès lors. Elle veut l’approcher, mais n’ose le faire. Il souhaite l’effleurer, mais se contente de parcourir son corps du regard alors quelle gît endormie sur son lit… Lui, le paternel, heureux en famille, responsable et aimant, partageant sa vie avec une épouse simple, mais aimante (Atika est méconnaissable !)… il se surprend à voir son existence prendre du relief, alors que l’institutrice lui joue un air de violon. Une épiphanie musicale, celle d’un désir de transgression conjugale, mais aussi sociale. Une envie de croquer dans la pomme pour mieux croquer la vie tout court, alors que son existence, jusqu’à présent, consistait, plus ou moins, à aligner des parpaings et à veiller sur son vieux père (Jean-Marc Thibault).
Entre les silences, l’amour infuse
Les deux amoureux, dans la répression de leur désir physique, s’échappent par les silences, se donnent à l’autre grâce aux regards, tremblants mais expressifs d’une authenticité qui pourrait remettre toute leur vie en question. Mais Jean, dont la femme est enceinte est un homme bien et sa nouvelle bienaimée n’est pas une dévoreuse d’hommes dont le but est de briser les ménages.
L’amour dramatique se dessine peu à peu. Stéphane Brizé, à travers la peinture fine d’un milieu social, travaille sur la passion malheureuse et la répression des sentiments, donnant systématiquement aux deux protagonistes l’impression révoltante de passer à côté du bonheur. Il parvient, notamment à travers une direction d’acteurs exemplaire et à des plans gracieux, à créer un suspense sur l’issue d’une histoire d’amour, somme toute bouleversante, qui ne parvient pas à s’assumer physiquement. D’après le roman d’Eric Holder, il s’agit là d’une approche brillante qui permet aux comédiens d’offrir l’une de leurs meilleures compositions, tout dans la subtilité.
© TS Productions – Photo : Michaël Crotto
Box-office :
Mademoiselle Chambon a été le film de la reconnaissance pour Stéphane Brizé. Je ne suis pas la pour être aimé (290 616 entrées en 2005) et son petit budget de moins de deux millions d’euros avait été une belle surprise qui avait permis de remettre sur les rails Patrick Chesnais. En 2007, Entre adultes, production Claude Lelouch pour une poignée d’euros (230 000 euros, mais un budget distribution plus élevé, à 388 000 euros) était passé inaperçu (46 499 entrées). Jusqu’en 2015 et le triomphe cannois de La loi du marché (1 million de spectateurs), Mademoiselle Chambon restera longtemps le plus beau score du cinéaste au cinéaste. L’épure émotionnelle qui a convaincu la critique sera de toutes les envies cinéphiles à l’automne 2009 ; le duo Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain berce de leur passion sourde 504 385 spectateurs, ce que le duo parviendra presque à accomplir, en 2022, lorsque Brizé les dirigera à nouveau dans Un autre monde (490 408 spectateurs).
Un autre monde : Brizé, Kiberlain, Lindon, 13 ans plus tard
Lors de sa sortie, le 14 octobre 2009, Mademoiselle Chambon trouve 193 écrans, devancé par Mission-G de Disney (498), le flop monumental de Gérard Jugnot, Rose & Noir (377), Divorces de Valérie Guignabodet (un nouvel échec hexagonal cette semaine-là, distribué dans 333). The Descent Part 2 parlera à un autre public dans 134 cinémas.
Lors de la première séance, Kiberlain et Vincent Lindon séduisent 1 374 spectateurs à Paris intra-muros (21 salles), derrière le blockbuster aux cochons d’Inde espions qui ouvre à 1 808. The Descent 2 est 3e. Le premier jour France du film de Stéphane Brizé est à la hauteur des attentes avec 23 023 spectateurs, soit une moyenne de 119, exæquo avec celle de Mission-G.
Le 6e plus gros succès de Rezo Films
Sur toute la France, à l’issue de sa première semaine, Mademoiselle Chambon entre en 4e place, avec 165 891 spectateurs. En fait, cette semaine est surtout parisienne, puisque le coefficient Paris Province est de 3.01. Le film se maintiendra en 2e semaine (-17% de sa fréquentation) grâce à 47 écrans supplémentaires qui viennent exploiter cette belle percée, dont la promotion en salle se fit via une bande-annonce consistant d’un court extrait, tout en silence. La romance muette reste deux semaines au-dessus des 100 000 et commence à manifester des signes de fatigue en 4e semaine (-51%, 44 710).
En 2009, Vincent Lindon sort de Welcome de Philippe Lioret, mélodrame prophétique sur le drame des migrants qui traversent la mer au péril de leur vie (1 205 000 entrées, cette même année). Vincent Lindon conclut donc la décennie de façon brillante avec ce doublet de finesse et de sobriété qui sera plus ou moins la tendance qu’il suivra par la suite, notamment chez Stéphane Brizé (La loi du Marché, En guerre, Un autre monde). Il investit avec un succès qui ne pâlira pas dans les années 2010, la carapace d’un homme a priori brut de décoffrage, mais à la sensibilité à fleur de peau sous le vernis de sa virilité triste et meurtrie. L’un de nos plus grands comédiens, cela va sans dire.
Pour le distributeur Rézo Films, il s’agira, depuis sa création en 1992 et plus de 200 sorties, du 6e plus gros succès (en termes d’entrées du moins) de la société derrière Vipère au poing (1 204 000, 2004), Le papillon (1 138 000, 2002), Bernie (849 000, 1996), Mademoiselle (728 000, 2001) et Rien sur Robert (590 000, 1999). Dans ce dernier figurait déjà Sandrine Kiberlain. Depuis 2009, Rezo Films ne fera pas mieux.
Les sorties de la semaine du 14 octobre 2009
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Biographies +
Stéphane Brizé, Sandrine Kiberlain, Vincent Lindon, Aure Atika, Jean-Marc Thibault, Bruno Lochet, Geneviève Mnich