Entre thriller et portrait psychologique, Madeleine Collins entraîne le spectateur dans une spirale croissante de mystère et de rebondissements pour ne plus le lâcher. Fascinant !
Synopsis : Judith mène une double vie entre la Suisse et la France. D’un côté Abdel, avec qui elle élève une petite fille, de l’autre Melvil avec qui elle a deux garçons plus âgés. Peu à peu, cet équilibre fragile, fait de mensonges, secrets et allers-retours, se fissure dangereusement. Prise au piège, Judith choisit la fuite en avant, au risque de tout perdre.
La double vie de Madeleine
Critique : La première scène, théâtrale et troublante, ouvre l’énigme. Qui est cette femme ? Que cherche-t-elle ? La douleur insupportable liée à la mort de sa sœur ou les relations que l’on devine complexes avec sa mère l’auraient-elles amenée aux portes de la folie ? Y a-t-il deux femmes en elle, celle que la vie lui impose d’être et qui s’oppose à celle qu’elle rêve d’être ?
Le métier d’interprète permet à Judith de voyager aux quatre coins du monde et se fait le complice de mensonges destinés à préserver la cohérence de cette double vie qu’elle s’est inventée.
En France, Judith (Virginie Efira) mène une vie bourgeoise et paisible entre un mari (Bruno Salomone) chef d’orchestre et ses deux fils adolescents. Prétextant quelque obligation professionnelle, elle s’envole pour la Suisse où elle devient Margot et s’immerge dans un milieu plus populaire en compagnie d’Abdel (Quim Gutierrez), le père de Ninon, sa fille de quatre ans.
Le récit trouble et fascinant de Madeleine Collins
Dès à présent, les contours de l’énigme se floutent. Rêve ou réalité ? Par quel subterfuge a-t-elle pu cacher à son mari cette récente grossesse ? Semant subrepticement quelques indices pour mieux replonger dans les méandres inextricables d’une quête existentielle dans laquelle s’enfonce insidieusement l’héroïne, le scénariste bâtit un récit solide que l’on voit se fissurer au fur et à mesure de rencontres hasardeuses, révélations malencontreuses, doutes émis par l’entourage. Un procédé ingénieux pour installer le spectateur au cœur d’un suspense dont plus rien ne pourra le détourner. D’autant que peu intéressé par les fêlures qui ont conduit cette femme à se perdre dans cette spirale infernale, Antoine Barraud choisit, avec la précision d’un entomologiste, de décortiquer les raisons de ce besoin vertigineux de jouer à être une autre, ouvrant ainsi la voie à un précipice métaphysique dans lequel la principale intéressée risque de se perdre elle-même et d’entraîner dans sa chute les êtres qui lui sont chers.
Une comédienne aux multiples facettes
Passionné dès son premier long-métrage (Les gouffres) par les thématiques identitaires, Antoine Barraud dresse habilement le portrait d’un être que certains jugeront monstrueux, tandis que d’autres admireront sa capacité à se libérer du carcan d’une existence pré-établie. Pour incarner ce personnage hautement ambigu, il lui convenait de s’adjoindre le concours d’une comédienne douée d’un jeu aux multiples facettes. Mission pleinement remplie par Virginie Efira qui, il y a peu, révélait déjà dans Benedetta tout son talent à restituer l’étonnante complexité féminine. Sa beauté solaire tient à distance le risque d’un sentiment négatif à son égard, pour laisser la place au seul désir de compréhension face à cette folie troublante dont elle joue admirablement. Si sa présence éclipse quelque peu ses partenaires, il convient de rendre hommage à l’excellente performance des seconds rôles parmi lesquels Bruno Salomone, Nadav Lapid, Jacqueline Bisset et quelques autres. Tous contribuent à nourrir ce thriller ingénieux qui, sous ses allures retorses, laisse entrevoir une émouvante recherche de liberté et d’amour.