Moins abordable que Limbo par son aspect pluriel et bordélique, Mad Fate est toujours brillant sur le plan formel, mais échoue à faire partager le sort de ses personnages, tous dingues et hystériques. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose.
Synopsis : Par une nuit d’orage, un maître de feng shui tente de sauver une prostituée d’une mort certaine, mais le destin en a décidé autrement. Arrivé à son domicile, il découvre le corps de la jeune femme, victime d’un abject serial killer. Un livreur déboule à son tour sur la scène de crime, hypnotisé et fasciné par ce qu’il voit. Le maître de feng shui prédit au garçon un avenir sombre et meurtrier. Mais cette fois, il jure de tout faire pour changer le cours des choses. Mais l’inspecteur chargé de l’enquête est convaincu que le livreur est un psychopathe-né dont la soif de sang ne peut être arrêtée…
L’après Limbo pour Soi Cheang
Critique : Si le réalisateur Soi Cheang est présent depuis fort longtemps dans le paysage cinématographique hongkongais et que plusieurs de ses films ont été diffusés en France (Motorway en DTV et Accident au cinéma), c’est le coup de poing Limbo (2021) qui a mis à nouveau en lumière son travail auprès des cinéphiles français. Ainsi, l’éditeur DVD-blu-ray Carlotta Films s’est emparé de Mad Fate (2023) pour le distribuer dans les salles françaises à partir du 17 juillet 2024, tandis que son film suivant City of Darkness (2024) sera lancé par Metropolitan Filmexport au mois d’août. L’été 2024 sera donc sous le signe de Soi Cheang ou ne sera pas.
Pourtant, si Limbo remettait en selle un cinéaste souvent passé sous les radars grâce à un noir et blanc crépusculaire et une ambiance sombre et ultraviolente, Mad Fate risque bien de doucher les espoirs placés en un auteur qui serait d’une impeccable régularité. N’oublions pas que Soi Cheang est avant tout un exécutant – certes souvent brillant – au sein d’une compagnie de production menée par Johnnie To. La qualité de ses films varie donc en fonction des scripts qu’on lui propose, et ceci même si le cinéaste y appose une patte visuelle indéniable.
Une approche plurielle déstabilisante
C’est justement au niveau du script que le bât blesse dans Mad Fate. Son point de départ est en tout point comparable à celui de Limbo avec la traque d’un serial killer, tueur de femmes, par la police. Pourtant, le cinéaste se renouvèle avec ce nouvel opus et réoriente son œuvre vers une vision chorale de la société hongkongaise. Très rapidement, le réalisateur se désintéresse de sa trame policière puisqu’il n’y a aucun suspense quant à l’identité du tueur, donnée d’emblée. Il préfère suivre le destin de plusieurs personnages, dont un maître de feng shui et un jeune livreur qui n’aspire qu’à devenir un meurtrier, à l’image du serial killer qui sévit dans les rues hongkongaises. Parallèlement, Soi Cheang suit également l’enquête poussive d’un inspecteur de police pas franchement doué.
© 2023 MakerVille – Noble Castle Asia. Photo proposée par Carlotta Films. Tous droits réservés.
Tout ce petit monde s’agite dans une atmosphère sombre de fin du monde, et ceci malgré la présence de la couleur, retravaillée à la palette graphique pour l’occasion. Comme dans Limbo, les plans s’avèrent souvent somptueux, les cadrages démentiels, tandis que la violence est constante, parfois de manière franchement dérangeante par son extrême voyeurisme. Pourtant, la sauce ne prend pas totalement à cause d’une histoire qui appuie le principe qu’il semble impossible d’échapper à son destin. Afin de démontrer cette théorie, le réalisateur nous fait suivre les faits et gestes de personnages tous plus dingues et obsessionnels les uns que les autres.
Des personnages tous plus fous les uns que les autres
Le maître de feng shui (Gordon Lam, en mode hystérique, parfois franchement énervant) pense qu’il peut changer la destinée des gens, mais il finit par provoquer les événements qu’il souhaite éviter. Face à lui, le jeune livreur (incarné par la star du groupe de pop MIRROR Lokman Yeung) poursuit de manière inlassable son but qui est d’occire quelqu’un. Enfin, le véritable serial killer est un tueur malade qui ne passe à l’acte que durant des épisodes pluvieux (comme autrefois celui de Trauma de Dario Argento). Tous sont marqués par des traits obsessionnels et maladifs qui en font de parfaits candidats pour l’asile.
Sauf qu’à force de ne proposer que des protagonistes déments, Soi Cheang finit par se tirer une balle dans le pied et le spectateur ne parvient pas à s’impliquer dans une œuvre qui manque à ce point d’empathie envers qui que ce soit. Cela n’est guère aidé par un jeu d’acteur outrancier et grimaçant qui tire franchement vers la comédie. Le mélange n’est guère heureux et peut même mettre mal à l’aise à la longue. D’autant que Soi Cheang n’évite pas toujours la sortie de route, notamment lorsqu’il propose un chat intégralement réalisé en images de synthèse totalement foireux.
Assurément ovniesque, Mad Fate n’est aucunement raté, mais constitue un spectacle à réserver à un public averti et qui n’est pas rétif aux outrances typiquement hongkongaises, aussi bien en matière de violence que d’humour. Pour notre part, on préférera largement revoir Limbo que ce délire pas toujours maîtrisé.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 17 juillet 2024
© 2022. Makerville Company Limited and Noble Castle Asia Limited. Tous droits réservés. Affiche : L’Etoile Graphique
Biographies +
Soi Cheang, Gordon Lam (Lam Ka-tung), Lokman Yeung
Mots clés
Cinéma hongkongais, Hong Kong au cinéma, Les films dingues des années 2020, Les films hystériques du cinéma