Dernier film de la regrettée Sophie Fillières, Ma vie ma gueule fait toujours preuve d’originalité et d’espièglerie malgré un sujet plus sombre que d’habitude. Le style iconoclaste de la réalisatrice nous séduit toujours autant.
Synopsis : Barberie Bichette, qu’on appelle à son grand dam Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être… Aujourd’hui, c’est noir, c’est violent, c’est absurde et ça la terrifie : elle a 55 ans (autant dire 60 et bientôt plus !). C’était fatal mais comment faire avec soi-même, avec la mort, avec la vie en somme…
Le dernier film d’une réalisatrice chère à notre cœur
Critique : Réalisatrice et scénariste à l’univers totalement décalé et anticonformiste, Sophie Fillières a eu le temps d’écrire le scénario de Ma vie ma gueule alors qu’elle luttait contre la maladie qui allait l’emporter juste après le tournage. Le script a ensuite été proposé à Agnès Jaoui par l’intermédiaire de son agent car les deux femmes ne se connaissaient pas. Ce fut un coup de foudre artistique et amical en même temps. Séduite par l’univers particulier de la réalisatrice, Agnès Jaoui s’est donc battue avec la productrice Julie Salvador pour faire aboutir ce projet qui risquait bien d’être l’ultime opus de son autrice.
© 2024 Christmas In July. Tous droits réservés.
Et de fait, peu de temps après l’achèvement des prises de vues, Sophie Fillières nous as quittés, emportée par la maladie alors qu’elle n’avait que 58 ans. Elle laisse derrière elle une famille éplorée et aussi des cinéphiles très peinés par la disparition de celle qui nous as enchantés à plusieurs reprises avec des œuvres comme Gentille (2005) ou encore Un chat un chat (2009). Selon ses dernières volontés, ce sont ses deux enfants Agathe et Adam Bonitzer qui ont été chargés de finaliser la post-production de son ultime témoignage.
Comment garder contact avec le réel ? Telle est la question!
Visionner Ma vie ma gueule n’est donc pas anodin puisqu’il s’agit d’une œuvre testamentaire évoquant le désarroi d’une cinquantenaire dont la vie semble être derrière elle. Grâce à son sens toujours intact de la dérision et du décalage, Sophie Fillières réussit l’exploit de nous faire régulièrement sourire, voire carrément rire, alors même que le fond de son sujet est particulièrement sombre. L’air de rien, le long métrage parle du terrible sentiment de vieillir, mais aussi de perdre pied avec la réalité au point de devoir être interné en hôpital psychiatrique. Malgré le constat peu reluisant effectué par la réalisatrice à propos de la vie de cette femme, Ma vie ma gueule n’est jamais plombant ou sentencieux par la grâce d’une écriture qui se veut toujours aussi fine et légère.
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Certes, tous ceux qui sont déjà passés par des phases plus ou moins importantes de dépression et de décrochage émotionnel se reconnaitront dans le parcours de cette femme originale, mais sans que cela sonne de manière glauque ou triste. Grâce au jeu très juste d’Agnès Jaoui – qui se régale dans le contre-pied – le personnage échappe à toute logique terrestre et séduit par son caractère ovniesque. On imagine que Sophie Fillières a mis beaucoup d’elle-même et de son désarroi dans cet ultime opus, mais elle s’est fait un point d’honneur de ne pas marteler son malaise. La réalisatrice a donc parfaitement appliqué l’aphorisme de Chris Marker qui disait que « l’humour est la politesse du désespoir ».
Lire notre hommage à Sophie Fillières
Des comédiens épatants
Suivant pas à pas les mésaventures de son héroïne, le scénario enchaîne donc les saynètes afin de mieux définir les contours pourtant mouvants du personnage central. Tous les autres gravitent autour de cet être comme détaché des réalités terrestres. Pour accompagner Agnès Jaoui dans ce périple intérieur, la cinéaste a fait appel à des comédiens aguerris qui ne font que passer comme Philippe Katerine, Valérie Donzelli, Laurent Capelluto ou encore Emmanuel Salinger.
Leurs interactions demeurent toujours étonnantes, voire inattendues au point que le long métrage se termine en Ecosse dans un coin totalement perdu, mais magnifié par la simple beauté de la nature. Et quoi de plus beau pour tirer sa révérence que de signer une scène poétique, tout en étant encore décalée ?
Ma vie ma gueule, plus gros succès de la carrière discrète de Sophie Fillières
Présenté à la Quinzaine des Cinéastes au mois de mai 2024 dans le cadre du Festival de Cannes, Ma vie ma gueule a su séduire les critiques et les cinéphiles. Par la suite, la comédie dramatique est sortie le 18 septembre 2024 par le distributeur indépendant Jour2fête sur une petite combinaison de 190 copies. Le métrage a attiré 59 737 spectatrices quinquagénaires, se plaçant à la 10ème place du box-office national. Cette semaine, le métrage avait à lutter contre Ni chaînes ni maîtres (Simon Moutaïrou) et Les graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof) qui pouvaient attirer à eux le même type de public cinéphile.
En injectant une soixantaine de copies supplémentaires, le distributeur est parvenu à limiter la baisse en deuxième semaine (moins 35%) avec 38 402 retardataires. En quinze jours, le long métrage est donc aux portes des 100 000 tickets vendus. Malgré une augmentation significative du nombre de copies en troisième semaine, Ma vie ma gueule donne des signes de fatigue à 20 401 spectatrices et termine sa carrière à 145 706 entrées. Il s’agit pourtant du plus gros succès de la réalisatrice dont le style très particulier a toujours été apprécié d’une petite frange de cinéphiles triés sur le volet. En tout cas, nous, elle nous manquera beaucoup tant on aimait son univers hors norme.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 septembre 2024
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© 2024 Christmas In July / Affiche : Jeff Maunoury. Tous droits réservés.
Biographies +
Sophie Fillières, Philippe Katerine, Valérie Donzelli, Agnès Jaoui, Laurent Capelluto, Isabelle Candelier, Angelina Woreth, Emmanuel Salinger, Édouard Sulpice
Mots clés
Cinéma français, Comédie dramatique, La santé mentale au cinéma, Festival de Cannes 2024