Avec Les Graines du figuier sauvage, le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof décrypte avec une acuité diabolique les conséquences de la paranoïa générée par le gouvernement de son pays.
Synopsis : Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement...
Critique : Le cinéma est généralement considéré comme un simple divertissement. Mais il peut aussi servir de porte-parole à de valeureux guerriers prêts, quel qu’en soit le prix, à dénoncer l’horreur de situations insupportables. Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien, est l’un d’eux. Condamné à de nombreuses années de prison pour œuvre jugées subversives par les mollahs de son pays, privé de son passeport, il a du avoir recours à des passeurs comme n’importe quel migrant, pour arriver jusqu’au tapis rouge de Cannes. S’il est aujourd’hui à l’abri en Europe, les techniciens et artistes qui ont collaboré à son film sont encore victimes d’incessantes persécutions.
Après Le Diable n’existe pas, et malgré les menaces, le cinéaste iranien continue à décrypter les rouages du despotisme gouvernemental, à travers le sort infligé à cette famille bien sous tous rapports, à l’heure où le mouvement « Femme, vie, liberté » porté par les protestations des femmes après le décès suspect de l’une d’entre elles placée en garde à vue pour port inapproprié du hijab, s’amplifie.
La condition des femmes dans le monde
Iman (Missagh Zagreb) vient d’être nommé juge d’instruction. Un poste qui offre quelques privilèges financiers et sociaux mais aussi quelques inconvénients, entre autres, celui de devoir condamner à mort et sans procès des innocents, ce qui ne manquera pas de lui attirer bien des inimitiés. Ses filles Rezvan (Mahsa Rostami) et Sana (Setareh Maleki) se réjouissent d’abord de pouvoir vivre dans un appartement plus grand mais comprennent vite que cette ascension paternelle n’est pas sans inconvénients. Elle doivent faire attention à leurs fréquentations, leurs paroles. Les autorités les surveillent autant que leurs parents. La mère (formidable Soheila Golestani), tiraillée entre les obligations de son mari et le bonheur de ses filles, s’échine à maintenir un équilibre fragile jusqu’à ce que la disparition de l’arme de service d’Iman fasse voler cette belle stabilité en éclats.
Dans un huis clos quasi total, Rasoulof avance ses pions sans précipitation avançant habilement les preuves de cette brutalité absolue. Tout d’abord l’arrivée de l’amie de Rezvan, une jeune fille venue de province au visage horriblement tuméfié après avoir été passée à tabac. Malgré ses blessures les parents de Rezvan, qui ne sont pourtant pas des monstres, refusent de l’héberger par crainte des représailles pour avoir protégé une manifestante, si jeune soit-elle. Elle est donc renvoyée vers ce que l’on imagine aisément être un destin funeste. Suivront des images insoutenables de jeunes gens massacrés ou baignant dans leur sang. Confronté à des décisions de plus en plus dévoyées, Iman s’enferme dans une confusion mentale de plus en plus évidente tandis que ses filles, consciente de l’agitation qui règne dans leur pays se révoltent et réclament, elles aussi, leur part de liberté. Autant d’éléments patiemment réunis pour imprégner le spectateur stupéfait de cette inconcevable répression.
Les Graines du figuier sauvage, Prix Spécial du Jury Cannes 2024
Puis, le récit change de rythme. Alors que le noyau familial éclate, le huis clos s’ouvre et laisse échapper ses secrets. Face aux sanctions qui l’attendent suite à la disparition de son arme, Iman, doux père de famille et mari aimant, se laisse submerger par la domination patriarcale, telle que la prône les dirigeants de son pays. Pour mieux soumettre les femmes de sa vie , il les entraîne dans un étonnant rodéo à la campagne avec course en voiture et effrayant jeu de cache-cache dans un village abandonné donnant au film des allures de thriller, doté d’ une mise en scène digne des plus grands films d’action américains.
La fin, qui trace le portrait d’une jeune génération féminine pleine de ressources et de détermination, laisse planer un vrai message d’espoir. Espérons que la réalité dépasse la fiction !
Les sorties de la semaine du 18 septembre 2024
Mots clés :
Festival de Cannes 2024, La condition des femmes dans le monde, Cinéma iranien