Note des spectateurs :

Un hommage à Sophie Fillières, et non un simple article d’actualité. La réalisatrice de 58 ans nous a quittés et cela nous rend triste. Elle était la singulière réalisatrice d’une filmographie du mot et de l’esprit, de l’espièglerie et de l’humour doux dingue. Depuis longtemps, elle nous avait conquis.

Sophie était la sœur d’Hélène Fillières. Elle l’avait notamment dirigée dans sa deuxième réalisation et film de la révélation, Aie. Cet étrange portrait d’une femme déphasée et lunaire, dans son étrangeté d’approche de l’autre, avait donné le ton à un cinéma parisien exquis. C’était la rentrée 2000, avant 2001. On était tous innocents. Ou naïfs. Et immédiatement séduit par son film. Depuis, nous n’avons pas raté un seul de ses longs. Et pour cause. Le personnage extra-terrestre et éponyme d’Aie resterait l’un des plus aériens de la décennie, jouant du chapeau à chaque regard et chaque réplique émise à un André Dussollier déconcerté. On n’a jamais oublié cette projection.

Sophie Fillières avait son univers et ses habitués. Un réseau de comédiens qui se répondaient avec justesse dans cette constellation délicieuse d’un cinéma de la joute. Appelons “Un chat un chat”, son cinéma était celui d’une autrice entièrement plumée pour un spectateur urbain un peu bobo qui aimait les mots et les situations qui désorientaient, gentiment.

Outre Hélène, elle a dirigé Emmanuelle Devos (souvent), Anne Le Ny, Bulle Ogier, Agathe Bonitzer (forcément), Chiara Mastronianni, Malik Zidi, Mathieu Amalric, Melvil Poupaud, Sandrine Kiberlain… Un vivier d’acteurs épatant qui confine à une cohérence ronde et gourmande.

Affiche du film Aie, avec Hélène Fillières.

© Pierre Grise Productions. Tous droits réservés.

Son cinéma demeure peu connu et pas forcément du goût de tous. Depuis l’oxymorique Grande petite, minuscule production tournée en 1993, avec Judith Godrèche, Hugues Quester, Emmanuel Salinger, Helene Fillières (ce plaisir des noms, pour un film rare que nous n’avons pas vu), le public a sûrement été affecté par certain de ses scénarios à l’écran.

Elle a collaboré avec Lvovsky (Oublie-moi, en 1995), Grandrieux (le barré de l’image et de l’esprit Sombre, en 1999), le social et psychologique De bon matin de Jean-Marc Moutout, avec Darroussin, écrit à l’époque de la crise financière des subprimes, Week-ends d’Anne Villaceque, chronique d’un “dimanche à la campagne”, avec Lvovsky et Viard, actrice que l’on aurait tant aimée voir dirigée par ce tempérament. Par ailleurs, Sophie Fillières a coécrit avec Julie Bertucceli La dernière folie de Claire Darling, dans lequel Deneuve jouait encore avec son image bourgeoise, dans une forme de simplicité saisissante. Plus récemment, Fillières scénariste avait aidé Nicolas Maury sur son premier long en tant que réalisateur, Garçon chiffon, projet un peu sacrifié par les confinements, lors de sa sortie en 2020.

Pour son 7e film en tant que réalisatrice, projet qu’elle venait d’achever en juillet, Sophie Fillières retrouvait le fidèle Emmanuel Salinger, et étendait sa complicité créatrice à Agnès Jaoui, Philippe Katherine, Edouard Sulpice (A l’abordage) et Valérie Donzelli. Ma vie ma gueule, tourné dans une Ecosse que l’on imagine inspirante, devrait évoquer la vie d’une femme de son âge, dans la cinquantaine. Celle de Barberie Bichette, surnommée, selon le synopsis officiel, “Barbie”. La réalité qui rattrape la fiction. Il nous tarde plus que jamais de le découvrir pour un ultime hommage à cette grande dame.

Un chat chat de Sophie Fillières, avec Chiara Mastroianni.

© Pierre Grise Productions. Tous droits réservés.

Sa vie, celle de Sophie Fillières, on ne la connaissait pas, car un monde nous sépare. On l’appelle l’écran. Mais on lit ici et là qu’elle était malade et qu’elle a succombé à cette maladie. A 58 ans, évidemment, c’était trop tôt. C’est même révoltant. Cette disparition nous attriste et on avait envie de l’écrire. Chacun de ses films nous a touchés pour des raisons de subjectivité ; on l’assume. Ses galeries de personnages décalés nous ont apporté foison de raisons de nourrir notre sensibilité. On se lovait avec confort dans son œuvre, volontairement à part, hors des standards du cinéma français, et de ses canons récompensés.  Sophie Fillières part en laissant une œuvre sûrement trop méconnue, mais qui doit être revisitée.

La dernière fois qu’on l’avait vue, c’était chez Justine Triet. Un petit rôle en tant qu’actrice dans une Palme d’or. Une œuvre vraiment aboutie, mature et intelligente. Une Palme pour Sophie Fillières. Le raccourci est tentant. Le public pourra s’en rendre compte en août. Les spectateurs vont beaucoup parler d’Anatomie d’une chute, notamment pour le jeu toujours juste de Sandra Hüller. Désormais, nous y penseront aussi avec un certain chagrin. pour Sophie Fillières.

A cet instant, on pense à ses proches, sa famille. Sa fille, Agathe Bonitzer, qui semble être née pour son cinéma lunaire. Son époux, Pascal Bonitzer.

Sophie Fillières est partie. Et, ce ne sont pas que des mots, elle nous manquera.

Frédéric Mignard

Affiche du film La belle et la belle, de Sophie Fillières, avec Agathe Bonitzer et Sandrine Kiberlain

© Christmas in July.

Un hommage à Sophie Fillières