L’origine du mal confirme le bien que l’on pense du cinéma de Sébastien Marnier, ici sous haute influence de Claude Chabrol pour son atmosphère bourgeoise et perverse fondée sur le mensonge. Pertinent et efficace.
Synopsis : Dans une luxueuse villa en bord de mer, une jeune femme modeste retrouve une étrange famille : un père inconnu et très riche, son épouse fantasque, sa fille, une femme d’affaires ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Quelqu’un ment. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…
Sébastien Marnier réitère dans le thriller à l’atmosphère trouble
Critique : Réalisateur qui n’aime rien tant que les ambiances troubles, Sébastien Marnier nous as déjà offert deux premières œuvres sur le mode du thriller étrange avec Irréprochable (2016) mené par Marina Foïs, puis L’heure de la sortie (2019) avec l’excellent Laurent Lafitte. Il réitère avec L’origine du mal (2022) qui ressemble beaucoup à son tout premier long par la thématique du personnage principal névrosé et qui s’enfonce au fur et à mesure dans la spirale du mensonge, au point d’y croire elle-même.
Pour écrire ce nouveau thriller, Sébastien Marnier s’est inspiré de sa propre histoire familiale, et notamment de la rencontre tardive de sa mère avec son père qu’elle n’a pas connu avant l’âge de 60 ans. Pour croquer les différents protagonistes, l’auteur s’est également employé à portraiturer certains membres de sa propre famille. Toutefois, l’aspect dramatique du film tient bien entendu de la pure fiction. Il s’agissait donc pour lui de fonder l’écriture sur une base réelle pour mieux s’échapper et aborder la fiction.
L’origine du mal flingue la famille dans son ensemble
Et de fait, Sébastien Marnier parvient à créer avec L’origine du mal un thriller chabrolien tout à fait intéressant, fondé sur le mensonge, la duplicité et sur des retournements de situation qui permettent de faire évoluer le point de vue du spectateur. Si le film semble d’abord s’inscrire dans le style d’un François Ozon période 8 femmes (2002) en décrivant une sorte de gynécée maléfique qui semble tourner autour de la fortune d’un pauvre vieux incarné avec justesse par Jacques Weber, la suite du film viendra nuancer fortement ce premier sentiment.
Toutefois, si Sébastien Marnier fait bien de ce personnage masculin un repoussoir qui pourrait servir d’illustration aux dérives du patriarcat, il ne tombe pas dans le piège de faire des femmes qui gravitent autour de lui des victimes inoffensives. Chez Sébastien Marnier, peu de personnages échappent à une vision finalement très sombre de l’humanité, quel que soit son genre.
La lutte des classes est toujours d’actualité
Comme dans ses œuvres précédentes, l’auteur insiste également sur les différences de classes sociales. Si Marina Foïs essayait désespérément de se fondre dans l’élite parisienne dans Irréprochable (2016) et que l’enseignant joué par Laurent Lafitte était confronté à des gosses de riches dans L’heure de la sortie (2019), l’ouvrière interprétée par Laure Calamy tente par tous les moyens de pénétrer dans cette famille à la tête d’un empire industriel forgé par le travail acharné d’un homme qui se révélera parfaitement odieux avec son entourage. Encore une fois, la lutte des classes structure donc le récit policier, sur le modèle défini par un certain Claude Chabrol.
Quand Dominique Blanc incarne à merveille la duplicité et l’intérêt à peine dissimulé, Doria Tillier apparaît comme un bloc de haine (dont on comprend peu à peu les raisons), la servante jouée par Véronique Ruggia ne peut que se servir au passage, tandis que Laure Calamy vient ajouter du désordre dans une famille totalement dysfonctionnelle et marquée par des enjeux de succession. Finalement, l’un des seuls personnages un peu plus sympathiques, car non intéressée, est interprété par Suzanne Clément dans un rôle de victime du début jusqu’à la fin malgré une caractérisation initiale peu aimable.
Un thriller séduisant, malheureusement passé inaperçu
Dans tous les cas, le casting est parfaitement à l’aise et propose des prestations assez jubilatoires, ce qui est aidé par des dialogues qui savent être cinglants, sans tomber dans l’excès d’écriture. L’intrigue quant à elle se développe de manière harmonieuse, ne laissant guère la place à la redite. On peut sans doute regretter une fin qui ressemble un peu trop à celle de Merci pour le chocolat (Chabrol, 2000), mais L’origine du mal n’en demeure pas moins une bonne surprise, aidé par une réalisation fluide et surtout une bande originale séduisante de Pierre Lapointe qui traduit parfaitement l’atmosphère mystérieuse et perverse qui émane de cette famille décidément pas comme les autres.
Sorti dans les salles au début du mois d’octobre 2022, le thriller trouble s’est installé en quatrième position des nouveautés en attirant 7 786 spectateurs (dont 2 414 en avant-première) dans 185 salles pour son premier jour d’exploitation sur l’ensemble du territoire. Il a ainsi terminé sa première semaine avec 56 107 amateurs de polar cocasse sur toute la France. Par la suite, le film est resté neuf semaines à l’affiche avec des chutes d’environ 50 % de semaine en semaine, au point de terminer sa carrière avec 138 384 orphelins au compteur. Ce score ne parvient donc pas à égaler celui d’Irréprochable (164 330 spectateurs en 2016), mais le contexte en 2022 était moins favorable à l’exploitation. Pour la comédienne Laure Calamy, le score sera à rapprocher de celui du truculent Bonne conduite, comédie noire déjantée qui sera l’un de ses plus gros échecs personnels.
Les amateurs de thrillers familiaux nappés de mystère auront tout le loisir de se rattraper en format physique et en VOD. Ils auraient tort de passer à côté.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 octobre 2022
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Sébastien Marnier, Laure Calamy, Doria Tillier, Jacques Weber, Dominique Blanc, Céleste Brunnquell, Suzanne Clément, Naidra Ayadi, Véronique Ruggia
Mots clés
Thrillers français, La famille au cinéma, L’identité au cinéma