Beau drame intense, Leurs enfants après eux parvient à peindre le portrait de la France provinciale des années 90 grâce à une réalisation efficace et des comédiens pour la plupart formidables. A découvrir.

Synopsis : Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule.

L’amour ouf des années 90

Critique : Projet porté à bout de bras par l’acteur Gilles Lellouche, l’adaptation du prix Goncourt 2018 de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux est finalement réalisé par les frères Ludovic et Zoran Boukherma car le comédien préfère se concentrer sur sa propre réalisation aux thèmes similaires, à savoir L’amour ouf (2024). Visiblement, l’acteur ne s’est pas trompé puisque son film sur les années 80 triomphe actuellement (il a dépassé les 4,5 millions d’entrées à l’heure où nous écrivons ces lignes).

© 2024 Chi-Fou-Mi Productions – Trésor Films – France 3 Cinéma – Cool Industrie / Warner Bros. Tous droits réservés.

L’adaptation du prix Goncourt a donc été confectionnée par les frères Boukherma qui ne nous ont jamais vraiment enchantés au cinéma, que ce soit dans le film de genre (Teddy) ou la parodie (L’année du requin). Avec Leurs enfants après eux, ils semblent enfin trouver leur voie en livrant une adaptation, certes imparfaite, mais régulièrement enthousiasmante, avec quelques scènes fortes et mémorables. Alors que le livre était essentiellement naturaliste, les frangins ont opté pour une vision véritablement cinématographique de cette histoire sociale.

La France des fractures sociales

Notamment, ils parviennent à décrire avec une belle justesse cette France provinciale des hauts fourneaux ruinée par le chômage. Ainsi, les différents protagonistes appartiennent tous à des milieux sociaux différents. Le jeune héros Anthony représente parfaitement cette petite classe ouvrière qui survit à peine, notamment grâce à la possession d’une maison achetée du temps de la magnificence industrielle. Celui-ci tombe éperdument amoureux d’une jeune fille issue de la haute bourgeoisie dont le destin est déjà tout tracé, entre baccalauréat obtenu avec mention, grandes écoles et voyage à l’étranger pour mieux se former.

Enfin, au cœur de cette histoire d’amour contrariée intervient le jeune beur Hacine qui, lui, habite dans un petit appartement de banlieue avec son père, issu de la première vague de migration maghrébine. Victime de son statut social inférieur et du racisme ordinaire de la population locale, celui-ci va commettre l’irréparable en volant la moto d’Anthony. Cet acte en apparence anodin va déclencher une spirale de violence et de vengeance qui tient de la plus pure vendetta, et ceci par-delà les années. Effectivement, l’intrigue parcourt l’ensemble des années 90, débutant en 1992 pour s’achever lors de la Coupe du monde de football 1998.

Une playlist variée, mais pas toujours bien exploitée

L’occasion pour les cinéastes de dérouler une playlist de titres emblématiques de l’époque, comme le ferait un réalisateur comme Martin Scorsese, ou plus récemment Gilles Lellouche. Pourtant, les choix peuvent étonner de prime abord puisque les frangins sélectionnent beaucoup de titres issus de la scène metal (Iron Maiden, Alice Cooper et Metallica sont de sortie). Le seul véritable groupe emblématique de la décennie demeure en réalité les Red Hot Chili Peppers. Pour le reste, comme le long métrage se déroule dans la France profonde, les chansons entendues lors des bals populaires ressortent de la variétoche bien franchouillarde comme Jean-Jacques Goldman, Francis Cabrel et Johnny Hallyday. Ceux qui n’apprécient pas le rap pourront toujours se réconforter puisqu’un seul titre s’immisce dans cette bande-son finalement assez consensuelle et pas toujours utilisée à bon escient.

© 2024 Chi-Fou-Mi Productions – Trésor Films – France 3 Cinéma – Cool Industrie / Warner Bros. Tous droits réservés.

Réalisé avec talent, Leurs enfants après eux s’appuie sur des interprètes très solides pour susciter l’émotion. Si l’histoire d’amour avortée ne peut pas être foncièrement touchante puisqu’elle est systématiquement empêchée, les relations conflictuelles entre les parents et leurs enfants, mais aussi entre les deux antagonistes principaux sont fortes de plusieurs scènes mémorables.

Leurs enfants après eux propose plusieurs scènes fortes

Parmi elles, on adore la première grosse confrontation entre Anthony et Hacine qui amène le premier à humilier le second. Par la suite, l’intervention du père d’Anthony (Gilles Lellouche) dans le conflit fait également son petit effet par son extrême violence. On citera encore l’unique séquence avec Raphaël Quenard qui incarne un caïd inquiétant. Celui-ci drogue et bat son chien (hors champ, mais la scène scandalise tout de même) tandis qu’il menace les jeunes de son flingue. La séquence est tout bonnement glaçante grâce au jeu halluciné du comédien.

Marqué par des sentiments à vif, Leurs enfants après eux est donc un drame puissant auquel on peut toutefois reprocher la relative faiblesse du jeu de Paul Kircher. Pour notre part, nous l’avons trouvé fragile par rapport aux autres membres du casting, même si le comédien se consolera avec les prix qu’il a reçus à la Mostra de Venise et au Festival de Séville. Face à lui, on saluera la présence magnétique du jeune Sayyid El Alami, ainsi que celle d’Angelina Woreth et de Louis Memmi. Tous ces jeunes espoirs font preuve d’un beau talent d’incarnation.

Un film dominé par les interprétations de Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche

Ils demeurent toutefois surclassés par leurs ainés. Outre une Ludivine Sagnier très convaincante en mère de famille qui finit par relever la tête après des années de soumission à un mari violent, on soulignera une fois de plus la puissance de jeu de Gilles Lellouche. Avec les années qui passent, le comédien parvient à faire évoluer son personnage de manière impressionnante. Il incarne ainsi un homme fier de sa puissance, régnant tel un tyran sur sa famille. Puis, lorsqu’il perd sa femme et son fils, le personnage se réfugie dans l’alcool et Gilles Lellouche parvient à le rendre plus humain et même franchement tragique vers la fin. Dans les dernières scènes, le spectateur parvient à sentir le poids des années qui pèse sur les épaules des différents protagonistes.

Si sombre soit le constat, le film se termine toutefois sur une note d’espoir en l’avenir et sur une potentielle réconciliation autour d’un événement fédérateur – ici la coupe du monde. Beau récit d’apprentissage, Leurs enfants après eux n’évite pas toujours les digressions inutiles et quelques facilités d’écriture, mais le métrage a le mérite de raconter la vie de ses personnages sans chercher à imposer une vision unique de la société française. Les auteurs ont su au contraire décrire une France multiple qui portait en elle les germes du présent. Ce qui est une indéniable qualité!

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 4 décembre 2024

© 2024 Chi-Fou-Mi Productions – Trésor Films – France 3 Cinéma – Cool Industrie / Affiche : Le Cercle Noir pour Silenzio d’après photo de Marie-Camille Orlando. Tous droits réservés.

Biographies +

Zoran Boukherma, Ludovic Boukherma, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier, Christine Gautier, Béatrice Facquer, Angelina Woreth, Bilel Chegrani, Raphaël Quenard, Paul Kircher, Louis Memmi, Anaïs Tellenne, Sayyid El Alami

Mots clés

Cinéma français, Récit d’apprentissage, Les drames de l’adolescence, Les histoire d’amour malheureuses, Reconstitution des années 90, Festival de Venise 2024