Thriller inégal, Les yeux de Laura Mars bénéficie surtout d’une certaine qualité documentaire, évoquant l’ambiance du New York des années 70. Faye Dunaway y est formidable.
Synopsis : Photographe de mode engagée contre la guerre et le sexisme, Laura Mars mène une brillante carrière. Aucune ombre au tableau de ses spectaculaires compositions, du moins jusqu’au jour où, par la pensée, elle capte les agissements d’un tueur en série, vivant en direct le meurtre qu’il commet. Un cauchemar qui se répète et dont elle pourrait bien être l’une des prochaines victimes…
Une conception dans la douleur
Critique : Alors que sa carrière ne décolle toujours pas au milieu des années 70, le cinéaste John Carpenter écrit un certain nombre de traitements qu’il entend vendre aux studios. Cela lui permet de survivre et d’espérer percer dans le domaine de la réalisation. Il arrive à vendre Eyes au producteur Jack Harris qui compte en faire une petite série B. Finalement, le script est racheté par le jeune loup Jon Peters qui veut en faire un véhicule pour la star Barbra Streisand.
Après le refus de cette dernière qui ne souhaite pas être associée à un film d’horreur, le script remanié est proposé à Faye Dunaway qui accepte le défi. Au niveau de la réalisation, Irvin Kershner accepte le projet, mais uniquement si le script est largement retouché. Désormais, ils seront près de huit scénaristes différents à se pencher sur le traitement de John Carpenter, dont on peut estimer qu’il ne reste pas grand-chose à l’arrivée.
Un tournage effectué en extérieurs
Irvin Kershner insiste pour insérer cette histoire passablement fantastique – une jeune femme est troublée par des visions qui la mettent en connexion avec un serial-killer – dans une réalité quotidienne bien tangible. Au lieu d’opter pour une stylisation extrême, Kershner souhaite ancrer son intrigue dans un New York palpable et reconnaissable à chaque instant. Il refuse donc de tourner en studio (à part pour quelques intérieurs) et insiste pour réaliser le tout comme un documentaire pris sur le vif, d’où le recours assez fréquent à une caméra à l’épaule.
Le réalisateur transpose aussi de nombreuses séquences prévues en intérieur à l’extérieur, afin de profiter des décors naturels de la cité tentaculaire. Il capte ainsi l’effervescence de la ville, mais aussi la déliquescence de certains quartiers et l’atmosphère de saleté et de violence sourde qui y règne.
Une description bien documentée du New York de la fin des années 70
Plus que l’intrigue proprement dite – un banal whodunit avec retournement de situation classique basé sur une psychologie freudienne mal digérée – c’est cet aspect quasi-documentaire qui fascine encore de nos jours dans ce thriller. On apprécie également la description du monde de la mode, coincé entre velléités artistiques et obligations commerciales. Les auteurs abordent notamment la fameuse thématique de l’influence de la publicité sur les comportements des êtres humains. Kershner pose la question de la responsabilité des artistes dans la propagation de la violence. Il y répond d’ailleurs de manière assez claire en se prononçant contre l’exploitation de celle-ci par des artistes irresponsables.
Si lui-même n’a pas recours à des plans trop putassiers, il se sert toutefois de procédés voyeuristes pour dénoncer les excès de sexe et de violence dans la mode. Il se retrouve donc face à une équation impossible à résoudre puisqu’il est obligé de fournir une certaine dose de violence et de sexe afin de satisfaire le public venu dans la salle sur une promesse de sensations fortes.
Le giallo à la sauce américaine
Rétrospectivement, on peut d’ailleurs estimer que le film s’inscrit pleinement dans cette vague du giallo italien dont on retrouve ici de nombreux aspects. Outre le tueur ganté, on y trouve également la femme traquée, les meurtres à l’arme blanche, le commentaire sur une société en décadence. Toutefois, Les yeux de Laura Mars serait à ranger dans la catégorie du giallo aseptisé, sans les fulgurances latines. La faute à une réalisation plus anodine et classique.
Le long-métrage, parfois un peu routinier dans ses développements narratifs, demeure agréable à suivre grâce aux acteurs, et surtout à Faye Dunaway. L’actrice qui venait tout juste de recevoir un Oscar de la meilleure actrice pour Network (Lumet, 1977) se livre à une belle prestation dans le rôle de cette femme déstabilisée par une situation qui la dépasse. Face à elle, Tommy Lee Jones est plutôt correct, sans être exceptionnel. On lui préfère Brad Dourif ou encore Raul Julia dans des rôles secondaires bien troussés.
Boudé aux Etats-Unis, le film a davantage convaincu en France
Diversement accueilli à sa sortie par les critiques, Les yeux de Laura Mars n’a pas rencontré un franc succès aux Etats-Unis où il a à peine remboursé ses frais de production (7 millions de dollars de budget, auquel il faut ajouter la copieuse enveloppe de 6 millions en publicité). En France en revanche, le métrage a tout de même convaincu plus d’un million de spectateurs, ce qui en fait un succès, essentiellement provincial.
Inégal, parfois maladroit, mais cherchant à développer des thématiques sociologiques pertinentes, Les yeux de Laura Mars est donc une œuvre intéressante qui aurait sans doute mérité un auteur plus incisif pour donner corps à ses idées.
Le test du Mediabook
Compléments & packaging : 3,5 / 5
Ce Mediabook bénéficie d’une présentation classique se rapprochant des produits créés pour ESC Editions. On retrouve donc le blu-ray et le DVD au cœur d’un joli packaging avec un livret en son sein. Rédigé par Marc Toullec, le texte est très informatif et les 24 pages proposent aussi une affiche italienne du film et de nombreuses photos. C’est donc du beau travail.
Sur le plan des bonus vidéo, il faut se contenter d’assez peu de choses. On peut visionner un making of de 7min qui est en réalité une featurette d’époque sans grand intérêt. Par la suite, des photos de production sont commentées par Laurent Bouzereau pendant 9min. Toutefois, ce spécialiste des suppléments en profite surtout pour évoquer les différentes versions du script, ce qui n’a rien à voir avec les photos présentées.
Enfin, le morceau de choix est sans conteste le commentaire audio d’Irvin Kershner enregistré pour l’édition spéciale du DVD au début des années 2000. Le réalisateur y livre ses réflexions, ses exigences artistiques, tout en minorant le travail de John Carpenter qu’il n’a visiblement pas apprécié. Par contre, on peut regretter que le cinéaste se complaise parfois un peu trop dans la paraphrase de ce qui se déroule à l’écran. Cela rend l’écoute parfois un peu pénible et longuette.
Pas de bande-annonce, ni de trailers. C’est bien dommage !
L’image du blu-ray : 4 / 5
Belle restauration HD pour ce long-métrage vieux désormais de plus de quarante ans. Non seulement les images sont propres et nettoyées de toute impureté, mais les couleurs sont resplendissantes, notamment lors des séances photo volontairement kitsch. Certains plans plus sombres laissent apparaître un peu de grain, mais rien de désagréable, tandis que d’autres plans en éclairage tamisé demeurent un peu flous. Là encore, ce ne sont que quelques détails dans un ensemble qui tient vraiment bien la route.
Le son du blu-ray : 4 / 5
Les deux pistes sonores (anglaise et française) sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0. La piste d’origine est plus naturelle dans son rendu et propose un spectre sonore plus large que le doublage français. Toutefois, celui-ci n’a pas trop à rougir de la comparaison grâce à des doubleurs de talent (Pierre Arditi pour Tommy Lee Jones) et à une restauration qui a éliminé tout souffle parasite. Là encore, du bon boulot, respectueux du film d’origine.
Critique du film et test blu-ray de Virgile Dumez