Film d’une époque plus libertaire, Les vies de Loulou brise tous les tabous et livre le portrait audacieux de l’intimité d’une femme des années 80. A ne pas mettre devant tous les publics.
Synopsis : Loulou qui a quinze ans est séduite par Pablo, le meilleur ami de son frère Marcelo, qui part travailler aux États-Unis. Loulou espère depuis des années que Pablo va revenir dans sa vie. Lorsqu’il revient, il lui fait sa demande en mariage. Pablo et Loulou ont une relation passionnée, développant un goût pour les jeux sexuels.
Un roman sulfureux rapidement adapté au cinéma
Critique : En 1989, le premier roman d’Almudena Grandes intitulé Les vies de Loulou rencontre un très grand succès dans les librairies espagnoles. Le récit de l’initiation d’une jeune femme à la sexualité est débordant d’érotisme et de perversité, ce qui séduit le public espagnol, peu habitué à une telle exploration de la part d’une femme. Immédiatement, le producteur Andrés Vicente Gómez (qui a déjà travaillé avec Pedro Almodovar ou Fernando Trueba) se porte acquéreur des droits d’adaptation et propose même à l’auteure de participer à la rédaction du script. Le producteur propose le projet au réalisateur Luis García Berlanga qui refuse le challenge, mais indique le nom du cinéaste Bigas Luna qui s’est fait remarquer à la fin des années 70 par des œuvres sulfureuses.
Et effectivement, le cinéaste qui venait tout juste de tourner le film d’horreur Angoisse (1988) s’avère très intéressé par le sujet, lui qui a déjà abordé à plusieurs reprises les rapports entre hommes et femmes sur le plan sexuel. Connu pour son absence de filtre, le réalisateur était tout désigné pour adapter une œuvre au parfum de soufre. Cela a d’ailleurs effrayé l’actrice Angela Molina qui devait initialement interpréter le rôle de Loulou. Au vu du traitement très érotique des scènes chaudes, l’actrice préfère se retirer. Même cas de figure pour la toute jeune Penelope Cruz qui tournera pourtant dans le film suivant de Bigas Luna, le très cochon Jambon, jambon (1992). Finalement, seule l’actrice italienne Francesca Neri a accepté le défi, ce qui l’a obligé à être doublée en espagnol.
Une initiation à la perversité particulièrement glauque
Il faut dire que le rôle n’était pas facile du tout. Tout d’abord, l’actrice a accepté d’interpréter le personnage à l’âge de 15 ans, ce qui a permis de tourner une scène scandaleuse où la gamine se fait raser le sexe par un ami de son frère, avant de se faire déflorer. Toutefois, le gros plan sur le sexe offert de la jeune femme demeure quelque peu troublant puisqu’elle est censée être mineure dans le film. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique audace d’un long-métrage qui a pourtant le mérite de conserver un point de vue féminin.
Ainsi, la jeune fille d’une très grande naïveté est initiée par un homme plus âgé (excellent Óscar Ladoire) qui se sert d’elle pour satisfaire ses propres fantasmes. Les féministes d’aujourd’hui parleraient d’emprise et c’est bien cela qui se joue ici, même si les deux protagonistes s’aiment véritablement. C’est d’ailleurs ce curieux mélange entre amour et perversité qui dérange à ce point dans Les vies de Loulou. Le chemin parcouru par la protagoniste principale est tout de même houleux et parsemé de moments terriblement glauques.
Des acteurs très impliqués
Effectivement, si l’on excepte les ébats entre les deux époux, le sexe n’est guère heureux dans Les vies de Loulou. Le cinéaste n’hésite pas à plonger dans des milieux qui n’avaient jusque-là pas le droit de cité dans le cinéma espagnol, et ceci même si Pedro Almodovar a ouvert la voie à ce type de spectacle sans filtre. Ainsi, Bigas Luna décrit sans détour le milieu de la prostitution et nous offre des scènes de sexe assez explicites avec un transsexuel (joué en réalité par l’actrice María Barranco qui a obtenu un Goya du meilleur second rôle pour sa prestation), mais aussi avec des homosexuels. Parmi eux, on notera la présence du jeune Javier Bardem, bien loin de ses rôles à Oscars d’aujourd’hui. Ici, tous les acteurs payent de leur personne en dévoilant leurs corps dans des scènes, certes simulées, mais qui ne peuvent laisser indemne.
Ainsi, après avoir été larguée par l’amour de sa vie, Loulou – magnifique et audacieuse Francesca Neri – se lance dans une quête de plaisir par le sexe. Cette plongée au cœur d’un désir féminin sans fard était particulièrement osée à l’époque, d’autant que le sida faisait déjà rage depuis plusieurs années dans le monde. Le métrage aligne donc les situations les plus incongrues, avec même des séquences qui tirent quasiment vers le film d’horreur si l’on songe à l’hallucinante scène d’inceste non consenti ou encore à l’orgie sadomasochiste finale. On pense immédiatement à l’œuvre future de Gaspar Noé dans cette description crue d’un milieu où la perversion est reine.
Un improbable succès espagnol passé inaperçu en France
Réalisé avec un réel talent par un Bigas Luna qui n’a jamais été un manchot avec une caméra, Les vies de Loulou est donc une œuvre assez incroyable qui ose repousser toutes les frontières du bon goût en plongeant au cœur de tabous sexuels fortement ancrés en nous. Autant dire que le spectacle, interdit aux moins de 16 ans à l’époque de sa sortie, est effectivement à ne pas mettre devant tous les yeux tant il peut s’avérer choquant. On peut sans doute regretter une fin trop abrupte et qui sonne comme une tentative de faire rentrer le personnage féminin dans le droit chemin de l’amour conjugal, mais Les vies de Loulou a eu le temps de bousculer le spectateur à maintes reprises.
Sorti avec un certain succès en Espagne (où le film a cumulé 882 645 entrées), Les vies de Loulou n’a pas connu le même destin sur le territoire français où les films ibériques ont toujours eu des difficultés à s’imposer, hormis le cinéma d’Almodovar. Ainsi, le film choc de Bigas Luna n’a pas suscité l’enthousiasme des critiques et ils n’ont été que 47 844 spectateurs à acheter un ticket en France en plein cœur du mois de juillet 1991. Par la suite, le long-métrage n’est sorti qu’en VHS chez Antarès & Travelling, avant de tomber dans l’oubli le plus total. Les vies de Loulou n’a, à ce jour, jamais été édité en France ni en DVD ni en blu-ray, ce qui est bien dommage.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 juillet 1991
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