Les vies de Loulou : la critique du film (1991)

Drame, Érotique | 1h35min
Note de la rédaction :
7/10
7
Les vies de Loulou, affiche du film de Bigas Luna (1991, Bac Films)

  • Réalisateur : Bigas Luna
  • Acteurs : Pilar Bardem, Javier Bardem, Santiago Segura, Francesca Neri, Óscar Ladoire, María Barranco
  • Date de sortie: 10 Juil 1991
  • Nationalité : Espagnol
  • Titre original : Las edades de Lulú
  • Titres alternatifs : The Ages of Lulu (USA) / As Idades de Lulú (Portugal) / Lulu (Pologne) / Le età di Lulù (Italie) / Lulú (Allemagne) / As Idades de Lulu (Brésil)
  • Année de production : 1990
  • Scénariste(s) : Bigas Luna et Almudena Grandes d'après son roman Les Vies de Loulou
  • Directeur de la photographie : Fernando Arribas
  • Compositeur : Carlos Segarra
  • Société(s) de production : Iberoamericana Films Internacional, Apricot
  • Distributeur (1ère sortie) : Bac Films
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Antarès & Travelling Productions (VHS, 1993)
  • Date de sortie vidéo : 1993 (VHS)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 47 844 entrées / 29 127 entrées
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Interdit aux moins de 16 ans
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleurs et Noir & Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : Goya 1991 : Goya de la meilleure actrice dans un second rôle María Barranco ; 1 nomination pour la meilleure adaptation
  • Illustrateur / Création graphique : S.S.K.T. (agence)
  • Crédits : Iberoamericana Films Internacional, Apricot
Note des spectateurs :

Film d’une époque plus libertaire, Les vies de Loulou brise tous les tabous et livre le portrait audacieux de l’intimité d’une femme des années 80. A ne pas mettre devant tous les publics.

Synopsis : Loulou qui a quinze ans est séduite par Pablo, le meilleur ami de son frère Marcelo, qui part travailler aux États-Unis. Loulou espère depuis des années que Pablo va revenir dans sa vie. Lorsqu’il revient, il lui fait sa demande en mariage. Pablo et Loulou ont une relation passionnée, développant un goût pour les jeux sexuels.

Un roman sulfureux rapidement adapté au cinéma

Critique : En 1989, le premier roman d’Almudena Grandes intitulé Les vies de Loulou rencontre un très grand succès dans les librairies espagnoles. Le récit de l’initiation d’une jeune femme à la sexualité est débordant d’érotisme et de perversité, ce qui séduit le public espagnol, peu habitué à une telle exploration de la part d’une femme. Immédiatement, le producteur Andrés Vicente Gómez (qui a déjà travaillé avec Pedro Almodovar ou Fernando Trueba) se porte acquéreur des droits d’adaptation et propose même à l’auteure de participer à la rédaction du script. Le producteur propose le projet au réalisateur Luis García Berlanga qui refuse le challenge, mais indique le nom du cinéaste Bigas Luna qui s’est fait remarquer à la fin des années 70 par des œuvres sulfureuses.

Et effectivement, le cinéaste qui venait tout juste de tourner le film d’horreur Angoisse (1988) s’avère très intéressé par le sujet, lui qui a déjà abordé à plusieurs reprises les rapports entre hommes et femmes sur le plan sexuel. Connu pour son absence de filtre, le réalisateur était tout désigné pour adapter une œuvre au parfum de soufre. Cela a d’ailleurs effrayé l’actrice Angela Molina qui devait initialement interpréter le rôle de Loulou. Au vu du traitement très érotique des scènes chaudes, l’actrice préfère se retirer. Même cas de figure pour la toute jeune Penelope Cruz qui tournera pourtant dans le film suivant de Bigas Luna, le très cochon Jambon, jambon (1992). Finalement, seule l’actrice italienne Francesca Neri a accepté le défi, ce qui l’a obligé à être doublée en espagnol.

Une initiation à la perversité particulièrement glauque

Il faut dire que le rôle n’était pas facile du tout. Tout d’abord, l’actrice a accepté d’interpréter le personnage à l’âge de 15 ans, ce qui a permis de tourner une scène scandaleuse où la gamine se fait raser le sexe par un ami de son frère, avant de se faire déflorer. Toutefois, le gros plan sur le sexe offert de la jeune femme demeure quelque peu troublant puisqu’elle est censée être mineure dans le film. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique audace d’un long-métrage qui a pourtant le mérite de conserver un point de vue féminin.

Ainsi, la jeune fille d’une très grande naïveté est initiée par un homme plus âgé (excellent Óscar Ladoire) qui se sert d’elle pour satisfaire ses propres fantasmes. Les féministes d’aujourd’hui parleraient d’emprise et c’est bien cela qui se joue ici, même si les deux protagonistes s’aiment véritablement. C’est d’ailleurs ce curieux mélange entre amour et perversité qui dérange à ce point dans Les vies de Loulou. Le chemin parcouru par la protagoniste principale est tout de même houleux et parsemé de moments terriblement glauques.

Des acteurs très impliqués

Effectivement, si l’on excepte les ébats entre les deux époux, le sexe n’est guère heureux dans Les vies de Loulou. Le cinéaste n’hésite pas à plonger dans des milieux qui n’avaient jusque-là pas le droit de cité dans le cinéma espagnol, et ceci même si Pedro Almodovar a ouvert la voie à ce type de spectacle sans filtre. Ainsi, Bigas Luna décrit sans détour le milieu de la prostitution et nous offre des scènes de sexe assez explicites avec un transsexuel (joué en réalité par l’actrice María Barranco qui a obtenu un Goya du meilleur second rôle pour sa prestation), mais aussi avec des homosexuels. Parmi eux, on notera la présence du jeune Javier Bardem, bien loin de ses rôles à Oscars d’aujourd’hui. Ici, tous les acteurs payent de leur personne en dévoilant leurs corps dans des scènes, certes simulées, mais qui ne peuvent laisser indemne.

Ainsi, après avoir été larguée par l’amour de sa vie, Loulou – magnifique et audacieuse Francesca Neri – se lance dans une quête de plaisir par le sexe. Cette plongée au cœur d’un désir féminin sans fard était particulièrement osée à l’époque, d’autant que le sida faisait déjà rage depuis plusieurs années dans le monde. Le métrage aligne donc les situations les plus incongrues, avec même des séquences qui tirent quasiment vers le film d’horreur si l’on songe à l’hallucinante scène d’inceste non consenti ou encore à l’orgie sadomasochiste finale. On pense immédiatement à l’œuvre future de Gaspar Noé dans cette description crue d’un milieu où la perversion est reine.

Un improbable succès espagnol passé inaperçu en France

Réalisé avec un réel talent par un Bigas Luna qui n’a jamais été un manchot avec une caméra, Les vies de Loulou est donc une œuvre assez incroyable qui ose repousser toutes les frontières du bon goût en plongeant au cœur de tabous sexuels fortement ancrés en nous. Autant dire que le spectacle, interdit aux moins de 16 ans à l’époque de sa sortie, est effectivement à ne pas mettre devant tous les yeux tant il peut s’avérer choquant. On peut sans doute regretter une fin trop abrupte et qui sonne comme une tentative de faire rentrer le personnage féminin dans le droit chemin de l’amour conjugal, mais Les vies de Loulou a eu le temps de bousculer le spectateur à maintes reprises.

Sorti avec un certain succès en Espagne (où le film a cumulé 882 645 entrées), Les vies de Loulou n’a pas connu le même destin sur le territoire français où les films ibériques ont toujours eu des difficultés à s’imposer, hormis le cinéma d’Almodovar. Ainsi, le film choc de Bigas Luna n’a pas suscité l’enthousiasme des critiques et ils n’ont été que 47 844 spectateurs à acheter un ticket en France en plein cœur du mois de juillet 1991. Par la suite, le long-métrage n’est sorti qu’en VHS chez Antarès & Travelling, avant de tomber dans l’oubli le plus total. Les vies de Loulou n’a, à ce jour, jamais été édité en France ni en DVD ni en blu-ray, ce qui est bien dommage.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 10 juillet 1991

Les vies de Loulou, affiche du film de Bigas Luna (1991, Bac Films)

Copyright : S.S.K.T. (agence)

Box-office :

Film rare en France, Les vies de Loulou a connu une sortie essentiellement parisienne. Proposé à partir du 10 juillet, la production érotique très glauque de Bigas Luna était parée d’un circuit profus de 17 salles à Paris-Périphérie :

Un film érotique présent dans 17 salles

L’UGC Biarritz, l’UGC Rotonde, l’UGC Danton, le Rex, l’UGC Lyon Bastille, le Ciné Beaubourg, le ST Lazare Pasquier, le Mistral et le Gambetta en intra muros, proposaient ce film qui serait dans les années 2020 totalement inenvisageable : inceste, pédophilie, emprise de la femme, viol… Peu importe, les thèmes, BAC Films de Jean Labadie avait envie d’y croire.

Quelles étaient les nouveautés le 11 juillet 1991?

La même semaine, le choix était multiple avec pas moins près de 15 nouveautés : La manière forte de John Badham avec Michael J. Fox (28 écrans), le film de gangs New Jack City (26 salles), Sean Penn et Robin Wright dans Les anges de la nuit, Envoyé Spécial avec Dolph Lundgren, La malédiction IV (14), Danny le champion du monde (10), Rien à perdre de Gary Sinise avec Richard Gere (7), La guerre des nerfs avec Donald Sutherland (4), Le secret de Sarah Tombelaine (3)…

Dans un contexte mauvais, Les vies de Loulou ne s’en tire pas si mal

En première semaine, le film érotique pervers se hisse en 10e place, avec 11 584 entrées quand la meilleure nouveauté de la semaine, La manière forte se hissait en 2e place, avec 34 049 entrées. Les chiffres globaux sont très médiocres, mais le mauvais temps avait ramené les spectateurs du côté des salles. Bigas Luna pouvait s’enorgueillir d’avoir réalisé le 4e démarrage de la semaine, avec quasiment autant de spectateurs que Les anges de la nuit, mais avec 3 écrans de moins et une lourde interdiction aux moins de 16 ans.

Les vies de Loulou se maintient

En 2e semaine, c’est la catastrophe, la production espagnole s’écroule avec 6 487 entrées, perdant 12 écrans. Désormais BAC Films pouvait seulement compter sur l’UGC Biarritz, l’UGC Rotonde, l’UGC Danton, le Ciné Beaubourg et le St Lazare Pasquier, pour un total de 18 071 entrées. Dans 7 cinémas, Les anges de la nuit attirait encore moins. Quant à La Malédiction IV, le téléfilm propulsé en salle, n’était plus que sur 2 écrans. Les arrivées des Tortues Ninja II, de Kickboxer II, FX2, effets très spéciaux, ou de L’œil de la veuve nécessitaient beaucoup d’écrans disponibles.

En semaine 3, Les vies de Loulou est stable dans ses écrans (5), et se retrouve désormais à une jauge de 5 051 entrées. Les vies de Loulou rempile donc pour une 4e semaine, avec 2 924 spectateurs et 4 salles.

Et en France?

L’UGC Rotonde conservera le film en solo pour 4 semaines de plus, ce qui permettra au film de quasiment tripler sa mise de départ avec un total pas folichon, mais au moins durable de 29 127 spectateurs.

En première semaine, sur la France, Les vies de Loulou était présent dans 12 villes, dont Bordeaux, Grenoble, Lille, Marseille (2 salles), et Toulouse. La production ibérique ne restera que deux semaines dans le top 30 national pour un final de 47 844 spectateurs.

Attention, le succès espagnol, lui, sera réel, avec deux nominations aux Goyas.

Box-office de Frédéric Mignard

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