Les tortionnaires du camp d’amour N°2 est l’ultime film de cinéma d’Eduardo Mulargia, une fausse suite à un film d’exploitation sulfureux, Les évadés du camp d’amour sorti en France un an plus tôt, mais tourné à la suite par le cinéaste, dans les mêmes décors.
Synopsis : Au cœur de la jungle amazonienne, le contrebandier Jordan utilise des femmes esclaves pour exploiter une mine d’émeraudes, leur faisant subir les pires sévices. Le révolutionnaire Laredo convoite la mine pour financer sa cause, et entreprend d’attaquer Jordan, comptant sur l’aide des prisonnières.
© 1982 IFM World Releasing Inc / Illustrateur affiche : Michel Landi. Tous droits réservés.
Les tortionnaires du camp d’amour, film de camp, de femmes en prison et de sévices érotiques
Critique : Après Les évadés du camp d’amour, sorti à Paris le 21 mai 1980, Eurogroup ne perd pas de temps et enchaîne avec la distribution d’une fausse suite, Les tortionnaires du camp d’amour N°2. Les deux titres sont putassiers et renvoient à une production de Hong Kong des années 70, Camps d’amour pour Chiens jaunes. Il faudra nous expliquer où se trouvent l’amour dans ces productions salaces pour spectateurs vicieux à qui l’on vendait des idées extrêmes à travers un titre explicite et violent, et des affiches qui, ici, évoquent volontiers le nazisme et les camps de concentration. Bienvenue dans le genre de l’exploitation en vogue dans les années 70, ici celui des WIP movies, c’est-à-dire des Women in Prison, dont Pam Grier fut l’émissaire américaine dans les années 70 dans des films comme Women in Cages, Big Doll House, et The Big Bird Cage. Roger Corman les produisait en série. Jack Hill les réalisait comme des petits pains.
Dessinateur : Inconnu – © 1977 Elite Film, Cinépix. Tous droits réservés.
W(h)IP me if you can
Si l’on ajoute à ce phénomène américain, la vague abyssale des nazisploitation ou films de “camp”, dont Ilsa (la fameuse tigresse du goulag) et Greta, avec la prêtresse du bis Dyanne Thorne, sont les égéries, tout était en place pour les producteurs peu regardants sur l’art et l’éthique pour commettre nos fameux Camp d’amour où il sera question de mélanger sévices, tortures, viols et nudité gratuite.
Evidemment, dit comme ceci, ces films paraissent être des abjections, mais la réalité filmique les rend finalement très fréquentables pour les amateurs de cinéma bis. Dans le cas des Evadés du camp d’amour et des Tortionnaires du camp d’amour N°2, les produits sont fauchés, mal écrits, mal joués, et accompagnés de doublages forcément risibles qui les précipitent dans un pan de cinéma riche. Ce sont évidemment deux parangons du nanar et de la comédie involontaire où la subversion de ce qui est proposée est réduite en cendres par l’esprit bricoleur de ces fignolages d’une autre époque. Les spectateurs visés étaient ceux des cinémas de quartier, des villages, pour des copies vagabondes qui passaient d’un cinéma où l’on déversait un peu n’importe quoi à des sociologies masculines algorithmées par leur géographie. Et en cela réside notre attachement à ces productions qui auraient pu être oubliées de tous, sans l’avènement de l’internet qui a raccordé les souvenirs des uns et les envies des autres de découvrir ces ovnis inimaginables dans les années 90, devenues si lisses, pour permettre à l’histoire du cinéma dans ses étranges évolutions de ne pas disparaître.
VHS Virginia Distribution du film Les tortionnaires du camp d’amour. Copyrights : All Rights Reserved.
Les tortionnaires du camp d’amour N°2 : le box-office !
Les tortionnaires du camp d’amour N°2 a donc été réalisé dans le cadre d’un package de deux produits par le même Edoardo Mulargia, avec un casting quasi identique, dans les mêmes décors, seuls les personnages changent. Donc pour le distributeur naissant (Eurogroup semblerait être né à l’automne 1979 avec Les Douze secrets du Kung Fu), il faut capitaliser sur la proximité entre les deux films. Ainsi Orinoco Prigioniere del Sesso devient La Fin des tortionnaires du camp d’amour N°2 (en province ?) et Les tortionnaires du camp d’amour N°2. Le film sort le 7 octobre 1981 dans 6 cinémas de France, mais ne reste qu’une seule semaine à l’affiche sur Paname où il est retiré de l’affiche après avoir rincé l’oeil de 4 344 spectateurs contre 20 386 pour Les évadés du camp d’amour. Est-ce la fin d’un genre ? Ou le résultat d’une médiocrité enfin prise en compte par le public ?
© Ferrari
La fin d’un genre ?
Au vu du nombre de films de sévices en prison de femmes sortant jusqu’en 1985, notamment avec Laura Gemser, le sous-genre était encore bien vivant pour nourrir un type d’écrans indépendants. L’énorme succès d’Ilsa, tigresse du Goulag de Jean Lafleur en 1982, montre que les infâmies avaient encore de quoi séduire les esprits malsains prêts à tout pour voir de généreuses poitrines se faire avilir par des tortionnaires crasseux et des lesbiennes sadiques. Mais en donnant à la série Z un titre improbable, particulièrement long, et en l’affublant d’un numéro 2, alors que finalement peu de monde avait vu ou connaissait le numéro 1, Eurogroup s’est un peu fourvoyé.
Qualitativement, Les tortionnaires du camp d’amour N°2 est probablement supérieur aux Evadés. Comme le souligne Christophe Bier dans les suppléments du DVD-Blu-ray Artus (2023), l’intrigue est un peu plus complexe avec l’arrivée d’enjeux extérieurs au camp d’esclaves femmes, en occurrence l’arrivée de révolutionnaires qui utilisent les femmes brutalisées et humiliées pour renverser leurs bourreaux qui tiennent la mine de pierres précieuses. Cela ne fait pas du scénario – qui s’étire en longueurs, répétitions et lieux communs érotiques et brutaux -, un script pertinent pour autant. On évitera d’ailleurs de parler d’écriture, tout relevant d’une relative improvisation où l’on sent les contraintes budgétaires peser sur le récit.
Les personnages, tantôt déchaînés (Gota Gobert, forcément) ou tantôt réflexifs (Ajita Wilson, actrice transgenre, particulièrement émouvante par moment) offrent un florilège d’émotions et font la qualité du film. Certains chercheront l’érotisme qu’ils trouveront forcé, malhabile, dans des situations gratuites, d’autres s’amuseront des emblèmes autoritaires des B-movies où les tortionnaires sont toujours plus comiques qu’une comédie mainstream de l’époque contemporaine. Mais finalement, c’est surtout l’attachement de voir les gloires de la veille (Luciano Rossi, Anthony Steffen, Attilio Dottesio) tomber si bas qui génère l’excitation du divertissement ultime.
© Artus Film. Tous droits réservés.
Rareté d’une époque en roues libres strictement interdite aux moins de 18 ans
Dans cette curiosité d’une époque charnière (le passage des années 70 aux années 80), la musique du grand Marcello Giombini séduit également, avec notamment son hymne révolutionnaire que l’on croirait issu d’un western spaghetti. Le DVD/Blu-ray permet ainsi de mettre la main sur cette bande son d’un grand auteur du bis italien qui reste difficilement trouvable.
Rareté d’une époque en roues libres et ultime film de cinéma d’Edoardo Mulargia qui passera définitivement à réalisation de divertissements pour la télévision, Les tortionnaires du camp d’amour N°2 (on reste attaché à son titre cinéma) saura séduire les aficionados et s’avèrera sociologiquement intéressant pour les autres, s’érigeant en illustration d’une époque décomplexée et décentralisée où les fantasmes les plus inavouables étaient convoités de façon pépère par des commerçants peu regardants qui prospéraient au sein du pays du catholicisme. L’Italie, dans toute sa dégénérescence, mériterait bien un mondo à elle toute seule.
Les sorties de la semaine du 7 octobre 1981
Les Women in Prison Movies (WIP) sur Cinédweller
Affichiste : Faugère. Tous droits réservés.
Le test blu-ray
Quarante ans après la VHS de Virginia, Artus propose depuis le 3 avril 2023 une édition cartonnée avec un packaging de luxe, combo DVD-Blu-ray. Sur le digipack, on apprécie énormément la présence de l’affiche française et de l’affiche italienne. Le fourreau est de toute beauté !
Compléments et packaging : 4 / 5
Longue intervention de 34 minutes de Christophe Bier, pape du cinéma bis et érotique. Le Monsieur n’est pas le plus dynamique pour exposer ses connaissances (infos sur le cinéaste, les acteurs…), mais son savoir est toujours une source de fascination pour ceux qui cherchent une approche érudite et profuse du cinéma de genre. Il nous conseille par ailleurs de découvrir Savage Island, film montage des deux opus de Mulargia, auxquels 20 minutes de scènes avec Linda Blair ont été ajoutées.
Savage Island de Ted Nicolaou (Terrorvision), visuel VHS © Empire Pictures, Roger Amante Productions. Artiste inconnu. Tous droits réservés. All Rights Reserved.
Le chef op Maurizio Centini, survivant de cette époque (le cinéaste étant décédé en 2005), propose un témoignage important, à savoir sa vision du tournage, des relations humaines entre les acteurs et l’équipe technique. Il sait être impitoyable (à l’égard d’Anthony Steffen), tout comme élogieux (Ajita Wilson, son humanité et ses souffrances). Un point de vue passionnant.
Image : 3.5 / 5
Le rendu est propre, souvent très net. Si le contraste est irrégulier, il reste globalement appuyé et favorise une belle introspection dans le film.
Son : 3.5 / 5
Le film bénéficie du doublage français d’époque, notre piste favorite pour le divertissement supplémentaire. Quelques rares passages en italien subsistent car non présents dans le montage salle français initial.
La qualité sonore est au rendez-vous avec un mixage équilibré.
Les puristes choisiront la VOSTF que nous avons survolées, forcément plus justes
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