Les Suffragettes relève du militantisme romanesque à l’anglaise, par une poignée d’artistes féminines, plutôt inspirées, mais qui ne permettent toutefois pas à cette recomposition d’époque d’imposer ses idées autrement que par les rouages du mélodrame social. Scolaire, mais néanmoins pertinent de par sa portée féministe.
Synopsis : Angleterre, 1912. Des femmes de toutes conditions se battent pour obtenir le droit de vote. Réalisant que les manifestations pacifiques ne mènent à rien, le mouvement commence à se radicaliser. Maud, une jeune ouvrière travaillant dans une blanchisserie, s’engage auprès de celles que l’on appelle les suffragettes. Dans ce combat pour l’égalité, elle est prête à tout risquer : son travail, sa famille, et même sa vie…
Les Suffragettes le film ne restera pas dans l’Histoire
Critique : Le cinéma britannique social aime afficher des portraits de femmes. Battue, violée, dépressive, et donc poussée au crime dans le terrassant Tyrannosaur, l’épouse britannique est aussi l’héroïne de productions plus enjouées, militantes, destinées à un public populaire. On les avait laissées dans les années 60, revendicatrice pour obtenir l’égalité des salaires des ouvrières, dans le truculent We Want Sex, Equality, et dans Les Suffragettes l’on nous invite à remonter un peu plus loin dans le temps pour un combat encore plus révolutionnaire, la guerre -puisque l’on peut qualifier ainsi leur lutte acharnée- pour l’obtention du droit de vote des femmes. L’objet féministe revendiqué est noble et, contrairement aux films We Want Sex, Equality ou encore dans le même genre le très récent Pride qui mêlait aux revendications homo celles des mineurs gallois, ce n’est pas le ressort humoristique qui est ici exploité, mais davantage la fibre mélodramatique.
Le droit de vote, le droit de vie
La réalisatrice Sarah Gavron (Rendez-vous à Brick Lane) part aux combats exaltée par les passions, les sentiments de révolte d’épouses bafouées, de travailleuses assujetties au joug patriarcal… Les ficelles du mélo sont déployées habilement, au milieu d’un contexte de déterminisme social et de sexe qui ne rend pas justice, à quelques personnalités près, à la gente masculine. Dans le Londres de 1912, l’image parfois un peu crue vient flirter avec le réalisme d’œuvres à la Ken Loach. Dans un contexte ouvrier difficile, la femme est abusée en qualité de travailleuse, malmenée physiquement, porte les stigmates des violences sexuelles ; elle est surtout promise à une espérance de vie courte. Le droit de vote pour, notamment, permettre une revendication de l’amélioration des conditions de travail, devient dès lors une question de vie ou de mort.
Habilement, le scénario mélange histoire et fiction, et relate une expérience fictive au milieu de figures reconnues du militantisme de l’époque. Les suffragettes, regroupement politique considéré par le pouvoir et les autorités comme un groupe d’anarchistes, est décrit comme l’alliance inespérée des classes, la complicité des structures ouvrières que l’on voit ici succomber au discours d’une bourgeoisie aux commandes, avec la personnalité charismatique de la sophiste Emmeline Pankhurst. Celle-ci est jouée par Meryl Streep, aux apparitions de balcon, à la Evita, assez furtive, à l’image de son personnage traqué et contraint à manœuvrer en coulisses.
Un classicisme décevant
Les Suffragettes appartient aux beaux films historiques, mais lisses. Le combat relaté est romanesque dans sa retranscription d’un décor londonien historique vivant, dans son déploiement de costumes canoniques, et son attachement à une musique illustrative, celle du Français Alexandre Desplat, qui exalte les bons sentiments pour mieux souligner les drames tire-larmes vécus par les héroïnes. On n’est jamais surpris par le point de vue artistique qui répète, sur un thème différent, le travail réalisé par tant d’autres auparavant, jusque dans la narration chronologique n’échappant pas au classicisme. La lutte des genres pour une égalité nécessaire ne devient, de ce fait, qu’une cause de plus dans un moule cinématographique bienveillant qui exploite les combats de façon quasi identique. On rêve alors de Suffragettes dirigées par la caméra radicale d’Andrea Arnold (Red Road, Fish Tank, Les Hauts de Hurlevent) ou, d’un point de vue masculin, par la caméra d’hommes comme Yann Demande (’71) ou Paul Greengrass (Bloody Sunday), ou l’œil chirurgical de Mike Leigh, dont la tendance à la dépression aurait pu donner plus de crudité au dénuement social et au calvaire vécus par ces femmes militantes devenues parias aux yeux d’une société phallocrate dont la majorité féminine se faisait complice.
Les Suffragettes est un film à Oscars pollué par les vapeurs industrielles du Londres post-victorien qui n’a pas le souffle d’un combat pour les plus hautes statuettes, mais demeure un divertissement scolaire charismatique et donc, malgré tout, recommandable pour sa valeur historique.