Mêlant drame historique et comédie avec un classicisme assumé, Les leçons persanes s’attache avant tout à décrire entre subtilité et émotion l’incroyable force de survie dont est capable l’être humain.
Synopsis : 1942, dans la France occupée, Gilles est arrêté pour être déporté dans un camp en Allemagne. Juste avant de se faire fusiller, il échappe à la mort en jurant aux soldats qu’il n’est pas Juif mais persan. Ce mensonge le sauve momentanément puisque l’un des chefs du camp souhaite apprendre le farsi pour ses projets d’après-guerre. Au risque de se faire prendre, Gilles invente une langue chaque nuit, pour l’enseigner au capitaine SS le lendemain. La relation particulière qui se crée entre les deux hommes ne tarde pas à éveiller la jalousie et les soupçons des autres…
Critique : Dans ce convoi qui conduit vers une mort assurée quelques jeunes hommes affamés, Gilles, l’un d’entre eux, accepte d’échanger son sandwich contre un livre écrit en farsi… Troc qui, s’il paraît particulièrement incongru, lui sauvera pourtant la vie.
Alors qu’il échappe de justesse à une fusillade, il parvient, grâce à la possession de cet ouvrage, à convaincre ses bourreaux qu’il ne peut être juif, puisqu’il est perse. En effet, le chef de camp cherche depuis longtemps à rencontrer quelqu’un qui puisse lui enseigner cette langue, car après la guerre, il projette de rejoindre son frère, restaurateur en Iran. Voilà qui garantit quelques sursis à notre jeune aventurier mais attention à ne pas se faire prendre. La sentence serait immédiate et brutale.
Shéhérazade en sursis
Bénéficiant d’une relative protection, il est affecté aux services de cuisine du camp dans la journée tandis que le soir, il est censé dispenser les cours du précieux langage au gradé allemand. S’installe entre eux une relation complexe et inconfortable, qui esquisse les contours d’une amitié à laquelle la raison nous interdit d’adhérer tandis que le goût de l’illusion nous incite à nous en emparer.
Pour sauver sa peau, le jeune déporté doit faire preuve d’une imagination débordante pour enseigner une langue dont il ne possède pas le moindre rudiment. Une situation rocambolesque qui donnera lieu à moult rebondissements jusqu’à mener l’intrigue aux portes du thriller. Derrière ce jeu du chat et de la souris qui réserve autant de moments d’amusement que d’effroi se dessine une étude psychologique, révélatrice de l’enchevêtrement des rouages de la perfidie.
Les leçons persanes, conte cruel de la jeunesse dans un camp nazi
S’il use d’un réalisme saisissant pour installer son décor au cœur de ces camps de transit dont la barbarie n’est plus à démontrer, le réalisateur ukrainien Vadim Perelman renoue avec ce sens du mystère teinté d’onirisme qui, en 2007 déjà, servait de toile de fond à La vie devant ses yeux, son deuxième long-métrage. Un procédé efficace pour faire jaillir tout à la fois émotion et humour et transformer cette tragédie en conte, malgré une réalisation conventionnelle qui bride la puissance de cette incroyable course vers la survie.
Une œuvre formidablement cosmopolite
Toutefois ces techniques scéniques ne seraient rien sans la présence et le talent des deux comédiens principaux. Nahuel Perez Biscayart (acteur argentin, César du Meilleur Espoir masculin en 2018 pour son rôle dans 120 battements par minute que l’on retrouve un peu plus tard dans Au revoir là-haut d’Albert Dupontel) prête sans défauts sa silhouette et son visage d’adolescent à ce personnage pas tout à fait aussi naïf qu’il voudrait nous le faire croire. De son côté, Lars Eidinger, grâce à un jeu tout en subtilité entre cruauté et candeur, n’a aucun mal à étoffer d’une singulière humanité ce nazi prétendument tout-puissant.
Basé sur la nouvelle de Wollfgang Kohlhaase Erfindung einer Sprache (Invention d’une langue), ce film cosmopolite, russe, allemand et biélorusse, rend un hommage sans esbroufe mais néanmoins chaleureux à tous ceux qui, sous toutes les latitudes et en tous les temps, ont su user et abuser de leur intelligence et leur débrouillardise pour se sortir d’un mauvais pas.